Il n’est pas prévu dans l’immédiat de faire bouger l’arsenal législatif face à l’émergence des deepfakes. Tel est le message qu’a transmis le gouvernement à une députée qui lui demandait justement en début d’année si un plan d’action particulier était dans les tuyaux pour « lutter efficacement » contre ces vidéos truquées qui détournent l’image de personnalités ou de particuliers.
Ce procédé utilise la puissance informatique et des algorithmes pour remplacer numériquement un visage par un autre, dans une vidéo, de façon à donner l’illusion que c’est une autre personne qui est mise en scène.
Le secrétariat d’État au numérique explique, dans sa réponse publiée au Journal officiel le 15 octobre, que le droit français est déjà équipé avec la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, en vigueur depuis le 22 décembre 2018. Ce texte, observe-t-il, « s’applique dans l’ensemble de ses dispositions à la lutte contre toutes les fausses informations, y compris celles se fondant sur des hypertrucages ».
En effet, les deepfakes sont l’une des facettes des fausses informations. Ils permettent par exemple de faire tenir à une personnalité politique des propos qu’elle n’a jamais dits, en manipulant les animations de son visage, en modifiant sa voix, en coordonnant le tout pour que le rendu soit criant de réalisme ou, en tout cas, difficilement repérable à l’œil nu. Il est même possible de truquer les mouvements corporels.
Or, considère le gouvernement, le texte « fournit de premières armes pour lutter contre ce phénomène ». Elles sont essentiellement au nombre de trois :
- la création d’un référé spécifique pour faire stopper en urgence la diffusion des fausses informations en période électorale ;
- une plus grande transparence des sites en période électorale pour connaître l’origine des messages sponsorisés et savoir qui a payé et combien pour augmenter la propagation d’une information, et une coopération accrue en dehors des scrutins avec le concours du Conseil supérieur de l’audiovisuel ;
- des pouvoirs de régulation accrus pour le CSA lui permettant de faire faire cesser la diffusion sur le territoire français d’une chaîne de télévision étrangère diffusant des fausses informations.
Plus généralement, le gouvernement fait observer que la lutte contre les deepfakes ne passe pas que par la législation : plusieurs entreprises américaines de premier plan sur le net et aux activités variées (comme Pornhub, Twitter, Gfycat, Reddit) appliquent depuis peu une politique de suppression systématique des deepfakes et de fermeture de tout compte et espace d’échange qui en proposent.
Facebook est aussi mobilisé sur ce sujet : début septembre, le réseau social a annoncé la tenue d’un concours spécial, le Deepfake Detection Challenge, qui invite la recherche en informatique à progresser dans la lutte contre les deepfakes. Le site communautaire, qui participe à ce concours, propose même des récompenses pour motiver les troupes à s’y attaquer sérieusement.
Quid des deepfakes pornographiques ?
Le problème, toutefois, c’est que l’engouement des deepfakes est de toute évidence avant tout animé par des considérations pornographiques. Deeptrace, une entreprise spécialisée dans la cybersécurité, a publié un rapport en octobre qui établit que la quasi-totalité (96 %) des vidéos analysées est de nature sexuelle. Les fausses vidéos mettant en scène des politiques sont pratiquement inexistantes.
Or, les outils législatifs prévus par la loi contre la manipulation de l’information ne semblent pas être en mesure de traiter les cas de deepfakes pornographiques, puisqu’il ne s’agit pas à proprement de fausses nouvelles, mais plutôt de comportements pouvant se rapprocher de délits comme le harcèlement, le chantage ou le « revenge porn » (le porno revanchard), qui sont tous sanctionnés par la loi.
Il est vrai que la question de la députée ne portait pas spécifiquement sur la question des deepfakes pornographiques, même si les trucages « impliquant des actrices mondialement connues » dans des scènes X sont mentionnés. Aussi, l’exécutif n’a pas élaboré sa réponse sur cet angle-là, même s’il évoque aussi l’enjeu des « fausses vidéos érotiques mettant en scène des célébrités et de la « porno divulgation ».
La loi interdit aussi la diffusion de montages pornos, qu’importe les intentions qui se trouveraient à l’origine du deepfake. Les sanctions sont d’un an de prison et 15 000 euros d’amende, au maximum, s’il est établi que la diffusion d’un « montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne » a eu lieu sans consentement, si aucune mention de ce montage n’est apportée ou s’il est impossible de le voir à l’oeil nu.
Le gouvernement promet toutefois d’être « particulièrement attentif à l’évolution des technologies sur le sujet ». Et s’il faut « réguler les usages qui en sont faits s’ils s’avèrent néfastes», il invite aussi à « ne pas blâmer le développement d’une technologie prometteuse dans de nombreux domaines », rappelant que la filière industrielle de l’image de synthèse emploie 300 000 personnes en France.
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