En prévision de l’élection présidentielle américaine de 2020, Twitter vient d’annoncer sa position officielle au sujet des publicités politiques : elles ne seront plus acceptées. C’est Jack Dorsey, le fondateur et actuel patron du réseau social, qui explique cette position dans un long et pompeux thread publié le 30 octobre 2019. La décision intervient peu de temps après que Twitter a pourtant précisé qu’il faisait des exceptions à ses règles d’utilisation pour les personnalités politiques, en raison de l’intérêt public de leurs tweets.
Le timing de cette annonce est à mettre en relation avec un débat effervescent ces dernières semaines au sujet du rôle des réseaux sociaux dans la campagne présidentielle américaine. Début octobre, le cabinet de campagne de Joe Biden, avait écrit une lettre ouverte à Facebook, Twitter ou même YouTube pour leur demander d’interdire des publicités politiques qui le visaient en diffusant de fausses informations à son sujet (elles auraient été achetées par le camp de Donald Trump). Tous les réseaux sociaux avaient alors refusé la requête de Joe Biden.
La liberté d’expression absolue de la constitution américaine
Twitter fait machine arrière pour, finalement, bannir les publicités politiques à partir du mois de novembre 2019. Et il n’est pas seulement question de la publicité politique provenant de candidats à la Présidentielle : il s’agit bien de tous les messages politiques qui seraient achetés via la plateforme pour viser des cibles précises. « Pour nous, ce n’est pas crédible de dire : ‘Nous travaillons dur pour empêcher les gens de se servir de notre système pour diffuser des informations trompeuses, mais si quelqu’un nous paie pour cibler et forcer les gens à voir leur publicité politique… alors… ils peuvent faire ce qu’ils veulent !’ », indique Jack Dorsey dans son thread.
Cette déclaration apparaît comme un tacle à la position de son concurrent Mark Zuckerberg. Le patron de Facebook a effectivement exprimé un regard bien différent sur la question des publicités politiques, qu’il ne compte pas du tout bannir, bien au contraire. Que ce soit dans une interview au Washington Post ou dans un discours officiel, Mark Zuckerberg explique que son réseau fait primer avant tout la liberté d’expression. C’est la raison qui est invoquée en réponse à la demande de Joe Biden de supprimer les publicités mensongères à son sujet.
« Je suis fier que les valeurs de Facebook soient inspirées par la tradition américaine »
Ce choix du patron de Facebook est une approche très « américaine ». Dans son discours du 17 octobre, Mark Zuckerberg s’épanche longuement sur la constitution des États-Unis… et plus spécifiquement sur le premier amendement. Si vous n’en êtes pas familier, il faut savoir que celui-ci a un rôle majeur dans toute la vie politique outre-Atlantique et imbibe l’état d’esprit américain. L’idée : la liberté d’expression est quasiment supérieure à tout ; de manière bien plus prégnante que dans une grande majorité de démocraties. « Je suis fier que les valeurs de Facebook soient inspirées par la tradition américaine, laquelle soutient plus la liberté d’expression que n’importe où ailleurs », déclarait Mark Zuckerberg.
C’est en se voulant fidèle à la constitution que Facebook refuse tout autant de supprimer des pages complotistes ou encore des deepfakes — y compris celui qui met en scène Zuckerberg lui-même (image au-dessus). L’idée du Premier amendement est que toute idée doit pouvoir s’exprimer et Facebook prend cela à la lettre. « Ce n’est pas parce que c’est faux qu’ils sont en violation des standards de notre communauté », justifiait John Hegeman, responsable des fils d’actualité, en juillet 2018. « Nous ne devons pas devenir les gardiens de la vérité sur les publicités des candidats », ajoute une tribune publiée le 29 octobre dernier pour réaffirmer cette position, concernant l’élection présidentielle à venir.
L’argument de Twitter : la publicité freine la liberté
Si Facebook justifie sa position à partir de la tradition américaine et la nécessité de montrer aux électeurs toutes les positions des candidats, même leurs mensonges, alors pourquoi Twitter ne fait pas de même ? Le choix de Twitter est-il de se distancier de la constitution des États-Unis et de la liberté d’expression ? Pas du tout, selon Jack Dorsey, qui prend soin d’expliquer que la décision n’a rien à avoir avec cela : « Ce n’est pas une question de liberté d’expression. C’est le fait de payer pour avoir un impact. Et payer pour accroître la portée d’un discours politique a des ramifications importantes que l’infrastructure démocratique actuelle pourrait ne pas pouvoir gérer. Cela vaut la peine de prendre du recul pour y remédier. »
Jack Dorsey explique que tout à l’inverse de favoriser la liberté, les publicités politiques nous en retirent. Un message politique « gagne du terrain lorsque les gens décident de suivre un compte ou de retweeter », or le fait de payer pour atteindre des personnes précisément ciblées retire la liberté de choisir pleinement l’adhésion à tel ou tel message. « Nous croyons que cette décision ne devrait pas être compromise par l’argent », affirme Jack Dorsey.
Les deux patrons s’appuient sur la notion de liberté politique pour justifier leurs décisions. Mais l’annonce de Twitter profite aussi de l’effet d’annonce lancé par son concurrent qui s’appuie sur un historique long en matière de règles liées aux publicités politiques, en se distinguant avec des annonces plus structurées. Là où Facebook se réserve des choix discrétionnaires sur la façon de modérer sa plateforme, la responsable des politiques publiques chez Twitter, Vijaya Gadde, a aussitôt annoncé un début de définition aux publicités politiques bannies : « 1/ Les pubs qui se réfèrent à une élection ou à un candidat, ou 2/ Les pubs qui défendent ou s’opposent à des sujets législatifs d’importance nationale (changement climatique, santé, immigration, sécurité, taxes) ».
Le coup de com’ parfait avant la Présidentielle 2020
Au-delà des argumentations respectives, la position de Twitter est à comprendre comme un parfait coup de communication. Facebook est plus que jamais au cœur d’un tumulte critique pour toutes les implications politiques de ses décisions : un militant s’est récemment présenté aux élections juste pour s’engouffrer dans la brèche et pouvoir publier de fausses infos sur le réseau en toute impunité. Résultat, à la veille de la période électorale, il y a de quoi manquer de confiance envers Facebook, qui, paradoxalement, est celui qui ne souhaite pas se peindre en censeur.
Parallèlement, en montrant l’image d’une plateforme capable de trancher le débat, d’adopter une politique cadrée qui modère l’influence politique payée, Twitter prépare déjà sa position pour la Présidentielle : être la « safe place » politique, le réseau social protégé de toute fake news et où il faut donc aller. Ce choix est guidé par une argumentation certes solide, mais surtout par une stratégie de communication elle-même au fond très politicienne. Reste à savoir si la définition finale des « publicités politiques » bannies par Twitter n’aura pas à son tour des effets pervers… et si le réseau social aura les moyens d’appliquer sa décision. Ce dont des médias américains doutent déjà.
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