Emmanuel Macron passe à l’offensive contre les sites pornographiques. Non pas pour les interdire en France, mais pour éviter que les mineurs ne puissent y accéder un peu trop facilement. À l’occasion de la journée mondiale de l’enfance, qui se déroule tous les 20 novembre, le président de la République a détaillé son plan de bataille, qui comporte deux grands volets.
Le premier consiste à activer par défaut le contrôle parental, sous six mois. Le chef de l’État a fait observer qu’aujourd’hui, ce dispositif n’est actif qu’après une démarche volontaire. « Ce n’est pas suffisant », a-t-il fait valoir. Les « acteurs de l’Internet » ont donc quelques mois « pour proposer [au gouvernement] des dispositions robustes ». Dans le cas contraire, ce sera le législateur qui l’imposera par la loi.
À la tribune de l’UNESCO, Emmanuel Macron n’a pas indiqué ce que recouvre l’expression d’acteurs de l’Internet : s’agit des fournisseurs d’accès à Internet, comme Orange, Free, SFR et Bouygues Telecom ? Des moteurs de recherche, comme Google, Yahoo! ou Bing ? Des réseaux sociaux, à l’image de Facebook ou Twitter ? Ou en fin de compte, ces trois catégories, plus toutes les autres ?
Aujourd’hui, il existe des réglages permettant de filtrer les contenus pour adultes. Il y a même des services qui les masquent par défaut, comme Google : la recherche d’images évite en principe de montrer des photos explicites, sauf en cas d’utilisation de termes bien précis et si le paramètre « SafeSearch » est désactivé. Ces options existent aussi sur le smartphone et la tablette, dans le forfait mobile et la box Internet.
Vérifier l’âge des visiteurs de sites X
La deuxième mesure sera à coup sûr celle qui causera le plus de difficulté et sera la plus controversée à mettre en place. En effet, il est question de mettre en place une vérification effective de l’âge des internautes qui se rendent sur les sites classés X, parce que tout le monde sait bien que le simple fait de cocher la case « Oui, je suis majeur » (quand elle est proposée, ce qui n’est pas toujours le cas) ne prouve rien.
Cette mesure vous dit quelque chose ? Rien d’étonnant : c’est exactement ce que voulait mettre en place le Royaume-Uni il y a peu, avant d’y renoncer devant l’ampleur de la tâche. De toute évidence, le gouvernement semble convaincu de pouvoir réussir là où Londres a échoué. Le chef de l’État a ainsi évoqué de nouvelles obligations associées à de nouvelles sanctions en cas d’infraction.
« On va maintenant, enfin, préciser dans notre code pénal que le simple fait de déclarer son âge en ligne ne constitue pas une protection suffisante contre l’accès à la pornographie des mineurs de moins de quinze ans », a déclaré Emmanuel Macron. Dès lors, il y aura une généralisation des « dispositifs de vérificateur d’âge efficaces sur les sites pornographiques », sous peine de blocage sur décision des juges.
Quels seront ces dispositifs ? Le président de la République ne le dit pas : il laisse le choix des armes aux sites pornographiques eux-mêmes, qui sont après tout en première ligne sur ce sujet. Tout ce que réclame l’exécutif, c’est que la solution retenue soit « efficace et réelle ». Ce sera le CSA (et bientôt l’ARCOM) qui aura la charge de contrôler le bon respect de la loi et il aura aussi des pouvoirs de sanction.
Évidemment, toute la question est de savoir qu’est-ce qui sera retenu pour (tenter de) contrôler l’âge des internautes voulant visiter tel ou tel site pour adultes, sans toutefois aboutir à des dérives ou faire naître des risques. Y aura-t-il des « pass » qui seront proposés dans des points de vente dédiés, comme un kiosque ou un bureau de tabac, piste qui a été un temps envisagée outre-Manche ?
Ce pass pourrait contenir un code d’accès pour les sites engagés dans le dispositif. Lors de l’achat, le vendeur vérifierait alors l’âge du client en consultant sa pièce d’identité. Mais si ce pass est propre aux sites classés X, bien des individus risquent de ressentir une gêne à l’idée de se rendre chez leur marchand de journaux habituel et repartir avec le précieux sésame en poche.
L’hypothèse de la vérification par carte bancaire a aussi été mise sur la table (ces moyens de paiement ne peuvent être délivrés qu’à des majeurs au Royaume-Uni). Une piste qui pourrait aussi être réfléchie dans l’Hexagone : seules des cartes de retrait sont proposées aux mineurs, ce qui pourrait être un élément permettant de discriminer les détenteurs d’une CB classique de ceux ayant une CB limitée.
D’autres solutions pourraient être envisagées, par exemple en mobilisant la plateforme FranceConnect (à la base, ce portail sert à accéder à ses comptes sur les services publics). Cela dit, on devine le risque à faire d’un outil étatique le point de passage pour voir des contenus pornographiques. Même si des engagements sur l’anonymat sont à prévoir, ce n’est pas un rapprochement qui soulèvera les foules.
Pour éviter un tel rapprochement, le Royaume-Uni avait imaginé l’existence d’un site tiers, qui ferait office d’interface entre les sites pornographiques et le dispositif permettant de vérifier si tel ou tel internaute est bien majeur. L’objectif était d’éviter que l’on puisse savoir qui consulte de tels contenus, en particulier s’il s’agit d’un outil mis en œuvre par l’État, car cela relève de l’intime.
Problèmes et obstacles à l’horizon
Mais en passant par une plateforme tierce, d’autres difficultés sont à résoudre : quelle sera sa porosité ? Même si un cloisonnement est prévu dès le départ, rien ne permet d’avoir la certitude absolue qu’il n’y aura jamais aucune fuite de données ni de piratage. Une fois dans la nature, les informations compromises pourraient être utilisées pour causer du tort à des particuliers.
En effet, si des bases de données sont impliquées, et cela devrait être en toute logique le cas, des questions sur l’accès à ce qu’elles contiennent vont se poser : qui y aura accès ? Les sites pornographiques ? L’État ? Des tiers ? Lesquels ? Qui en assurera la gestion ? Est-il judicieux de créer des fichiers regroupant les consommateurs de pornographie ? Quelles sécurités pour la vie privée face aux menaces de piratage ?
Par ailleurs, le web est très vaste : même si le gouvernement brandit la menace du blocage des sites récalcitrants, on devine que de nombreux sites de petite envergure — notamment ceux tenus et alimentés par des amateurs — passeront entre les mailles du filet. Le risque va surtout peser sur les ténors du genre, mais ceux seront aussi eux qui se conformeront à la législation, parce qu’ils en ont les moyens.
Ainsi, de nombreux sites étrangers, qui ne s’adressent pas nécessairement aux internautes français, n’auront que faire des exigences de Paris et des conséquences judiciaires en cas d’infraction à la loi. Le CSA aura des milliers de sites à contrôler, pour ne pas dire plus, et un engorgement des tribunaux — qui sont déjà bien encombrés — est à craindre s’il faut lancer des procédures de blocage pour chaque site contrevenant.
L’efficacité des futures mesures techniques constitue un autre point d’interrogation : outre les effets de bord qui pourraient émerger (des sites web légitimes pourraient être atteints par ricochet : c’est ce qu’on appelle le surblocage), les internautes pourraient « rejoindre le maquis », en multipliant les stratagèmes : utilisation d’un VPN pour passer leur connexion depuis l’étranger, ou en modifiant certains paramètres (typiquement le DNS, qui permet de ne plus être soumis au filtrage de son FAI).
Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour deviner que l’envie de gruger le système sera fort chez de nombreux internautes qui voudront toujours consulter de la pornographie sans être contraints de devoir dire quel âge ils ont (et donc qui ils sont). Certes, on peut toujours imaginer une escalade technique, en interdisant l’usage de VPN ou de DNS tiers, mais c’est prendre un virage répressif.
Le « pass porno » était un projet discuté depuis des années au Royaume-Uni. Le sujet est sur la table depuis au moins 2015. Précédemment, l’idée de réguler les contenus pour adultes sur le net était envisagée à travers le prisme du filtrage pur et simple des sites et par défaut (mais avec une option à désactiver pour lever le filtrage). Une piste que suit donc aussi la France.
En France aussi, cela fait quelques années qu’une réflexion similaire existe au sein de la classe politique. On se souvient par exemple qu’en février 2017, Laurence Rossignol, alors ministre de la Famille –, se disait favorable à l’interdiction de tous les sites pornos aux mineurs, estimant que le porno « est une violence faite aux femmes » et que « l’accès facile à la pornographie » constitue aussi « une violence faite aux enfants ».
Dans le droit, l’article 227-24 du code pénal condamne de trois ans de prison le fait « de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message […] pornographique […] lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». En lisant rigoureusement cet article, la loi impose déjà aux éditeurs de s’assurer que les photos ou vidéos X ne soient pas vues par des enfants.
Mais en pratique, les sites ne se basent que sur la bonne foi de l’internaute — quand ils la demandent. Il reste à voir comment le gouvernement et la majorité présidentielle vont mettre en musique cette partition. Car si le principe est motivé par des considérations morales, éducatives et sociétales tout à fait audibles, la façon de le traduire juridiquement et techniquement pourrait produire quelques fausses notes
En somme, la fin ne justifie pas forcément tous les moyens, et le mieux est parfois l’ennemi du bien..
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