YouTube peut-il encore faire rêver les youtubeurs ? Durant ce mois de novembre, plusieurs vidéastes ont pris la parole pour exprimer leur lassitude et déceptions vis-à-vis de la plateforme, qu’ils comparent à la télévision — ce qui n’est en l’occurrence pas un compliment –, ou regrettent le manque de renouvellement des contenus.
Trop de collaborations et de « fun »
Le joueur du grenier est youtubeur depuis 10 ans. Sur sa chaîne principale, il a plus de 3,3 millions d’abonnés. Malgré ce succès, il se dit aujourd’hui lassé. Le 6 novembre, il a publié sur sa chaîne Bazar du grenier une vidéo au titre évocateur : « YouTube m’ennuie. »
Il raconte que ce sujet le « travaille » depuis maintenant 2 ans. La première chose qui l’embête, c’est de comprendre pourquoi certains contenus de divertissement qu’il n’arrive pas à apprécier marchent aussi bien. Il cite quelques exemples, comme les vidéos de RedBox, un collectif de youtubeurs, ou la chaîne de McFly et Carlito et « le fameux « double F » » qu’ils prôneraient. Ce « double F » désigne ce qui fait le succès de ces chaînes selon lui : des « feats » (collaborations entre artistes) et du « fun ».
Ces contenus sont de plus en plus nombreux sur YouTube. Il y a dix ans, les vidéastes étaient encore des personnes isolées, qui se filmaient seules depuis leur chambre ou salon. Il y avait bien des tentatives de partenariats, comme les « collabs » dans le milieu de la beauté et du lifestyle, ou des échanges à distances comme les « swaps » qui consistaient à s’échanger un colis de cadeaux, mais elles n’étaient pas omniprésentes.
Aujourd’hui, les collaborations entre youtubeurs et youtubeuses sont devenues légion. La monétisation des contenus a joué un rôle prépondérant dans ce phénomène. Elle a amené les créateurs et créatrices à se rencontrer lors d’événements ou voyages organisés par les marques, lors de soirées YouTube ou au sein des agences qui gèrent leurs contrats. Ils sont aussi de plus en plus nombreux à rejoindre des organisations comme des collectifs de vidéastes ou des organisations qui défendent leurs droits — à l’image de la Guilde des vidéastes. Résultat : ils deviennent amis ou partenaires, se rencontrent, échangent, et… tournent des vidéos ensemble.
Cela donne des collaborations plutôt étonnantes, comme ici sur la chaîne de Pierre Croce, avec une vidéo qui semble correspondre à ladite règle des deux F. Pendant 16 minutes, on observe Léna Situations, Pierre Croce, Daniil le russe et Benjamin Verrecchia jouer à des petits jeux et boire des shooters d’alcools forts.
Tous les quatre sont issus de branches différentes de YouTube et ils ont des communautés à priori très différentes. Le concept est plutôt basique, digne d’une soirée étudiante. Pourtant, le cocktail fonctionne. Grâce au montage et l’humour des participants, la vidéo a vite décollé. Elle a été visionnée près d’1,7 million de fois, ce qui est un très bon score pour la chaîne.
YouTube est-il devenu fade ?
Selon le Joueur du grenier, le succès de ces vidéos s’accompagnerait, pour certains, d’une uniformisation regrettable sur YouTube. « Tout le monde fait tout et tout est devenu fade, dit-il. Il n’y a plus d’identité, YouTube est devenu cynique et on a mis une couche de lol pour vous faire avaler ça. Tout est fait pour maximiser les vues, c’est devenu une obsession ». C’est aussi lié aux moyens de production des chaînes populaires. Des vidéastes se sont entourés d’équipes de montage ou tournage. Ils se sont professionnalisés, publient désormais à heures fixes des contenus travaillés. Selon lui, tout ceci fait que YouTube ressemblerait de plus en plus à la télévision.
Norman partage globalement son point de vue. Le 20 novembre, l’un des « premiers youtubeurs français » à avoir vraiment percé s’est exprimé sur le sujet au micro de L’instant M, sur France Inter. Il a regretté l’omniprésence des contenus basés sur le « feats and fun ». Pour lui aussi, ce format se rapproche de plus en plus de ce que l’on voit à la télévision. « C’est dommage, dit-il, il y a 5 ou 6 ans, on jouait un peu les révolutionnaires, seuls contre tous. C’était les petits youtubeurs contre la télévision. »
Pour les vidéastes, comparer YouTube au petit écran est une insulte. Depuis l’émergence des créateurs de contenus sur le Web, plusieurs émissions se sont illustrées pour leur méconnaissance du sujet et leur mépris. Des interviews devenues cultes témoignent d’un véritable choc des générations.
Norman, qui était le deuxième Français à atteindre les 10 millions d’abonnés sur YouTube, regrette qu’il y ait aussi… trop de personnes qui publient des contenus sur la plateforme. Lorsqu’il a débuté, leur nombre était effectivement restreint, et il était sûrement plus simple de se démarquer. La multiplication du nombre de chaînes a créé une belle diversité de contenus, mais elle peut parfois être perçue comme une menace. « À l’époque où j’ai commencé, j’étais hyper fier de me dire youtubeur, raconte Norman (…) Aujourd’hui je découvre chaque jour un nouveau compte, qui a un million d’abonnés. Il y a tellement de gens qui ne me ressemblent plus, j’ai l’impression que ça a été banalisé. »
Des formats jugés trop proches de la télé-réalité
Il associe désormais le terme « youtubeur » à la télé-réalité, ce qui est là également péjoratif. « Ce mot, je ne l’aime plus du tout, je trouve ça moche », assène-t-il. Les formats qui ressemblent à la télé-réalité sont effectivement de plus en plus populaires sur YouTube. En France, le maître en la matière s’appelle Anthonin. Plusieurs fois par an, il publie de longues vidéos, d’une quarantaine de minutes, appelées « Amour, gloire et excès ».
Les fans peuvent suivre ses aventures avec des amis également youtubeurs, à travers le monde. Leur vie de rêve (en apparence du moins), leur insouciance et bêtises génèrent à chaque fois plusieurs centaines de milliers de vues. C’est la preuve que si ces formats déplaisent à quelques vidéastes… ils plaisent aussi à beaucoup d’abonnés.
Critique ou jalousie ?
Norman, qui présentera bientôt son prochain one-man show appelé « le spectacle de la maturité », reconnaissait d’ailleurs chez France Inter que l’audience voulait des contenus « funs et divertissants ». « YouTube est assez jeune, ça c’est quelque chose qu’on ne pourra jamais changer », ajoute-t-il. Le Joueur du grenier admet aussi : « C’est peut-être moi qui ait vieilli (…) Il y a forcément une forme de jalousie de ma part. »
De leur côté, McFly et Carlito, que Norman qualifie de « génies », trouvent la plateforme « toujours géniale. » « Évidemment qu’elle évolue et heureusement, disent-ils. Aujourd’hui sur YouTube il n’y a jamais eu autant de contenus, de créateurs et de gens qui regardent. »
Ils invitent leurs confrères et consœurs à ne pas être condescendants vis-à-vis de la nouvelle génération de vidéastes. « Il y a toujours eu la génération des vieux qui voit les jeunes arriver et qui dit ‘ah mais c’est quoi cette merde’, c’est toujours comme ça », s’amuse le duo. Pour eux, le Feat and fun n’est pas non plus nécessairement négatif. C’est aussi ce qui marche, arguent-ils, et ce qui les amuse. Les commentaires sont plus partagés…
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