« Le premier État interactif du monde, le meilleur et le plus libre » se trouve dans le nord de l’Allemagne. Créé il y a 3 ans par un youtubeur populaire outre-Rhin, et soutenu par l’audiovisuel public, cet État oscille entre humour potache et projets créatifs.

Avec sa caserne de pompiers, sa maison de la jeunesse, son gymnase et ses 248 habitants, le village de Rüspel, en Basse-Saxe, ne partait pas favori pour figurer parmi les hauts lieux de la scène Youtube allemande.

C’est pourtant là, à mi-chemin entre Hambourg et Brême, que depuis plus de 3 ans sont tournées chaque semaine les vidéos d’une chaîne suivie par près de 500 000 personnes.

Loin des scores atteints par les plus célèbres youtubeurs du pays, à l’image de Bibis Beauty Palace ou de Simon Desue, qui cumulent les centaines de millions de vue mais dont les formats se rapprochent de ceux récemment dénoncés en France par certains vidéastes, les vidéos produites à Rüspel font le pari d’une certaine originalité, à laquelle s’ajoute le refus de la publicité.

Lüttenshoff Trailer // Source : YouTube/Lüttenshoff

Lüttenshoff Trailer

Source : YouTube/Lüttenshoff

Bienvenue au Kliemannsland !

Ici, le lieu de tournage ne se limite pas à une seule chambre ou à l’intérieur d’un appartement mais se mesure en hectares. Trois pour être précis. Sur le terrain d’un ancien corps de ferme composé de sept bâtiments, c’est un véritable « État interactif » qui a vu le jour en septembre 2016. Son nom : le Kliemannsland. Appellation directement dérivée du nom de son créateur, le youtubeur multi-facettes Fynn Kliemann.

 

Né en 1988, celui qui est surnommé dans la presse allemande « le Elon Musk de Rüspen » a grandi dans un village voisin. Après des études qu’il finance en partie à travers un premier site internet (où il liste entre autres les 10 meilleurs sites pornographiques gratuits) il se fait connaître pour ses vidéos de bricolage et d’expérimentations musicales. Une philosophie du faire soi-même (do it yourself – DIY), combinée à un sens aigu du marketing, qui fait depuis sa marque de fabrique.

L’acquisition de l’ancienne ferme, à quelques kilomètres de là où il vit et travaille désormais, s’inscrit dans cette démarche. Si l’ensemble est acheté par Fynn Kliemann lui-même, en collaboration avec une société de production basée à Hanovre, un partenariat est rapidement noué avec la branche jeunesse et online de l’audiovisuel public allemand qui diffuse les vidéos.

Ce qu’il veut y mettre en avant ? La possibilité d’apprendre et d’expérimenter en-dehors du seul système scolaire. « Ici il n’y a pas d’obligations, il n’y a pas de règles. On fait ce qu’on veut avec les gens avec qui on a envie de le faire », déclare-t-il dans l’une des premières vidéos, avant d’inviter toutes les personnes créatives à venir réaliser sur place leurs projets.

« Il faut un peu d’imagination »

Mais avant d’en arriver aux espaces soigneusement aménagés d’aujourd’hui, les 270 vidéos publiées jusqu’à ce jour montrent avant tout les importants travaux de réaménagement réalisés.

Première prise en main du tracteur, aménagement des espaces verts, installation du studio d’enregistrement, nettoyage des combles envahis par les toiles d’araignée, transformation des étables en restaurant… autant de défis, relevés ou abandonnés, qui sont autant d’occasions de tourner des vidéos où l’aspect tutoriel côtoie un humour plus potache et absurde. Les séances de travail sont ainsi régulièrement ponctuées de courses de chariots contre tondeuses, d’expéditions acrobatiques dans les balles de paille ou d’initiations improvisées au wakeboard.

Roi du Kliemannsland, Fynn Kliemann est tout autant « le bouffon et le gourou » de la communauté qui se réunit autour du projet. À peine annonçait-il le lancement de celui-ci que de nombreuses bonnes volontés ont en effet proposé soutien et assistance.

Pour ceux qui ne peuvent pas forcément se rendre sur place, une demande de nationalité sur le site internet de cet « État libre et interactif » est possible. Début décembre 2019, le registre des citoyens du Kliemannsland recensait plus de 50 000 personnes. À la manière d’un Tinder, rebaptisé Fynnder, ces citoyens peuvent notamment soumettre et/ou se prononcer sur des prochains projets à réaliser.

Entre WuWiZaKliKa et SchnabuTröMaTa

Les gros travaux prenant fin, ce sont de plus petits projets créatifs qui ont progressivement pris le relai dans la chaîne youtube. Les internautes peuvent ainsi (grâce aux différentes vidéos, toujours très écrites) améliorer leurs techniques de jardinage, construire une guitare électrique à partir d’une pince coupe-boulons, ou encore, monter une table de ping-pong dans une porte.

L’aménagement des locaux a aussi permis de réaliser un autre objectif poursuivi par le Kliemannsland et annoncé dès sa création : ramener de la vie au village, en faisant de cet espace un point de rencontre pour les habitants de la région.

Un café a ainsi été implanté sur site, ouvert chaque weekend, et différents événements sont organisés tout au long de l’année, à l’image du festival culinaire gratuit SchnabuTröMaTa ou encore du marché de Noël « le plus beau, le meilleur et peut-être le plus fou d’Allemagne » : le WuWiZaKliKa, dont l’édition 2019 est prévue les 14 et 15 décembre.

« Pas une communauté hippie »

Si le Kliemannsland a fait une demande de reconnaissance auprès du quartier de Christiana (Copenhague, autogéré jusqu’en 2013), il ne faut cependant pas y voir un signe politique particulier : « C’est pour nous un gag ».

Bien qu’il partage certaines valeurs promues par d’autres initiatives alternatives — comme l’idée d’une société ouverte, solidaire envers les organisations qui viennent au secours des migrants en mer Méditerranée, et visant à long terme une certaine autonomie alimentaire — le Kliemannsland n’est pas pour autant « une communauté hippie », comme le répète régulièrement Fynn Kliemann.

Il est vrai que le profil et métier des personnes qui l’entourent fait davantage penser à une startup berlinoise qu’à une communauté de l’Ariège. Et si les contenus vidéos ne sont pas monétisés, ce qui rend agréable la navigation, le business n’est jamais loin. En plus d’en être le roi, le fou et le gourou, Fynn Kliemann est également le chef d’entreprise du Kliemannsland : de la conception des sites internet à la location des espaces, tout passe par ses propres sociétés. Habile.

À l’ouverture à toutes et tous, c’est aussi une approche plus restrictive qui a été mise en place : les personnes qui souhaitent rejoindre l’aventure doivent faire part de leur projet ou, tout du moins, de leurs qualités. Un acte de candidature en quelque sorte, qui déterminera s’ils ont le droit de venir poser leur tente sur le sol du Kliemannsland et de goûter aux joies de la vie à la campagne… avec les mauvaises herbes et Internet.

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