Les plans du gouvernement contre le piratage sur Internet étaient connus depuis 2018. C’est donc sans aucune véritable surprise que l’on retrouve leur présence dans le projet de loi sur la communication audiovisuelle et la souveraineté culturelle à l’ère numérique, texte qui a été déposé le 5 décembre à l’Assemblée nationale. L’exécutif entend aller vite : la procédure accélérée a été engagée, ce qui signifie que chaque chambre du Parlement ne pourra examiner le document qu’une seule fois.
Comme cela avait été annoncé, la future législation organise la fusion entre la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). La nouvelle entité s’appellera l’ARCOM : l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle numérique. Le ministre de la Culture, Franck Riester, avait officialisé ce rapprochement début septembre, avec comme objectif de réorganiser la régulation sur le net.
Et pas question que cette nouvelle structure soit un tigre de papier : le projet de loi en profite pour étendre ses pouvoirs contre les sites contrefaisants, c’est-à-dire tous les sites permettant aux internautes de consulter ou de télécharger illégalement des contenus protégés par les droits d’auteur, qu’il s’agisse d’œuvres culturelles (films, séries, musique, jeux vidéo, etc) ou d’évènements sportifs qui sont retransmis en direct sans autorisation, sur des plateformes de streaming.
Ainsi, le texte entend faciliter le déréférencement et le blocage de ces sites en France, sous l’égide de l’ARCOM, et de mieux lutter contre le phénomène des « sites miroirs ». Comme le rappelle l’étude d’impact du texte de loi, ce sont des sites qui se servent de noms de domaine non pris pour cible par la décision du juge et dont le rôle est de reproduire le contenu du site bloqué ou déréférencé, ou bien de rediriger les internautes vers ce site, qui utilise donc une nouvelle adresse.
Faire appliquer dynamiquement une décision
Comme nous l’indiquions début 2018, aucune de ces dispositions n’est vraiment neuve. Ces pistes (qu’il s’agisse du blocage des sites web par les fournisseurs d’accès à Internet, la mise en place de listes noires pour inciter les acteurs de la publicité et les intermédiaires du paiement en ligne à se détourner des sites contrefaisants, de la lutte contre les sites miroirs ou encore de leur déréférencement au niveau des moteurs de recherche) étaient déjà envisagées en 2014 et 2015.
Concrètement, le projet de loi confie à l’ARCOM le pouvoir de demander le blocage ou le déréférencement d’un site jugé illicite en application d’une décision initiale du juge. Par ailleurs, pour tenir compte des sites miroirs, l’ARCOM a la possibilité d’élaborer des accords que peuvent conclure les ayants droit, les opérateurs, les fournisseurs de noms de domaine et les moteurs de recherche de manière à « exécuter de manière dynamique ladite décision judiciaire ».
Cette évolution part du constat de la « persistance à un niveau élevé de la contrefaçon en ligne », lit-on dans l’étude d’impact. Cette situation, poursuit le document, « conduit à s’interroger sur la pertinence d’un mécanisme de réponse graduée qui cible uniquement les échanges de pair-à-pair (P2P) et ignore les autres formes de piratage telles que la lecture en flux (streaming) ou le téléchargement direct ». En effet, les internautes, pour échapper aux radars de la Hadopi, emploient des alternatives.
En outre, est-il ajouté, si des actions judiciaires permettent de faire fermer ou de bloquer l’accès aux sites contrefaisants, y compris lorsqu’ils sont établis hors du territoire, elles sont parfois réduites à néant « par la réapparition rapide de sites miroirs ». Une situation d’autant plus frustrante que la saisine des tribunaux « implique des procédures longues et coûteuses ». Dès lors, cela pose un problème d’effectivité de la décision de justice, celle-ci étant contournée en général peu de temps après.
Un jugement comme base légale
C’est pourquoi l’idée est de construire un mécanisme qui permettrait à l’ARCOM, sur la base d’une première décision de justice prise en bonne et due forme, de demander le blocage ou le déréférencement des sites miroirs en lien avec celui ou ceux mentionnés dans le jugement initial. L’ARCOM agirait sur demande des ayants droit et, si sa requête n’est pas suivie d’effet, pourrait alors se tourner vers l’autorité judiciaire, y compris en référé, pour faire cesser l’accès à ces contenus, par toute mesure appropriée.
Un bémol apparaît toutefois dans les pages de l’étude d’impact.
Si l’ARCOM se voit reconnaître, sous le contrôle du juge, le pouvoir d’enjoindre aux intermédiaires techniques de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser les atteintes aux droits, notamment dans l’hypothèse de sites miroirs, cette évolution pourrait susciter des « interrogations importantes au regard du droit constitutionnel. Il n’est en effet pas certain que l’atteinte causée à la liberté d’entreprendre, à la liberté d’expression et à la liberté de communiquer par une mesure administrative de blocage d’accès à un site comportant des contenus contrefaisants serait considérée comme proportionnée ».
Et cela, même si d’autres textes vont déjà dans ce sens : c’est le cas de la proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet, qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale en juillet 2019. Le texte permet à un juge se prononçant sur le retrait d’un contenu haineux d’habiliter une autorité administrative (ici l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication) à demander aux opérateurs, aux fournisseurs de noms de domaine ou encore aux moteurs de recherche de tout mettre en œuvre pour qu’un contenu identique à celui jugé illicite ne soit plus accessible en France.
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