Comment protéger la vieille économie en se réfugiant vers des lois qui handicapent la nouvelle. Nous rapportions fin novembre les déboires du marchand en ligne Amazon, qui était poursuivi par le Syndicat de la Libairie Française (SLF) pour avoir offert gratuitement les frais de port à ses clients. Pour Amazon comme pour ses concurrents en ligne, il s’agit de proposer les livres à un coût final qui n’excède pas celui que paierait le client en allant dans un libraire fait de briques et de mortier. Quoi de plus normal ? Mais le SLF, qui représente environ 520 de ces libraires traditionnels, accuse Amazon de dissimuler par cette remise une vente à prime interdite par la loi Lang… et vient d’obtenir gain de cause. Amazon doit verser 100.000 euros de dommages et intérêts au syndicat, sous astreinte de 1000 euros par jour dans un délai de 10 jours.
La loi d’août 1981 fixe un prix unique du livre quelque soit le détaillant, avec un rabais maximum de 5 % par livre. Il interdit d’offrir des remises ou des promotions, de façon à ne pas créer de concurrence tarifaire entre les libraires. L’idée en 1981 n’était pas tellement de protéger les libraires, mais de protéger les éditeurs et les écrivains en les mettant à l’abri des règles traditionnelles du marché. Pourtant, c’est au nom de la protection des libraires que le TGI de Versailles a donné raison mardi au SLF en jugeant que la gratuité des frais de livraison était assimilable à la « vente « donnant droit à titre gratuit à une prime consistant en produits, biens ou services« , proscrite par la loi Lang. Le tribunal a même admis que la livraison sans frais « génère une vente à perte pour les ouvrages à prix modeste et une concurrence déloyale« .
C’est idiot. Un libraire physique paye un loyer, parfois très cher, pour exposer les quelques milliers de livres qu’il offre aux clients. C’est un loyer beaucoup plus important que celui payé par Amazon pour ses entrepôts. Dit-on de ces librairies des villes qu’elles dissimulent une vente à prime en ne répercutant pas le prix du loyer sur chacun des livres ? Dit-on qu’ils vendent à perte un livre lorsque son stockage pendant plusieurs mois coûte finalement plus cher en loyer que ce qu’il a rapporté à la vente ?
La décision du tribunal de grande instance, qui n’est pas unique (Alapage avait déjà été condamné sur le même fondement), a pour seul effet de renforcer la position des libraires physiques en obligeant les librairies en ligne à faire payer plus cher un service équivalent. C’est pourtant une décision totalement absurde sur le plan économique et culturel, que le législateur devra corriger en révisant la loi. Amazon propose dans ses rayons virtuels plusieurs millions de références, dont l’immense majorité ne trouvent pas leur place dans les librairies traditionnelles. Ils sont pourtant vendus car sur Internet tout livre peut trouver son acheteur (98 % des 100.000 premières références sont vendues au moins une fois par trimestre). La dématérialisation des librairies est une chance formidable pour la culture littéraire, enfin libérée des contraintes de la distribution traditionnelle. Et pourtant cette décision judiciaire, qui se fonde sur une loi censée protéger la culture en empêchant la distorsion de concurrence, crée une distorsion de concurrence au profit des marchands qui bénéficient le moins à la culture.
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