La version française de Wikipédia devrait-elle laisser plus de place à l’écriture inclusive ? Et si oui, quelle forme faudrait-il lui donner, puisqu’il existe plusieurs manières de faire ? Ce sont sur ces questions que les bénévoles de l’encyclopédie en ligne étaient invités à se positionner au cours d’une consultation qui s’est ouverte le 1er décembre et achevée le 5 janvier.
Il ressort de cette enquête que les internautes contribuant régulièrement aux articles du site (seules les personnes ayant un compte comptabilisant au moins 50 éditions avant le 29 octobre 2019 étaient autorisées à participer, pour éviter des coups de force extérieurs dans un sens comme dans l’autre) sont globalement conservateurs sur les règles d’écriture.
Six propositions d’écriture inclusive, ou épicène, étaient proposées :
- Les termes englobants : « le personnel d’une société » plutôt que « les salariés d’une société » ;
- La double flexion : « les joueurs et les joueuses de tennis » plutôt que « les joueurs de tennis » ;
- L’accord en genre des noms et titres de fonction : « la cheffe de service », si c’est une femme ;
- L’accord de proximité ou de la majorité : « le policier et la policière sont intervenues » au lieu de « le policier et la policière sont intervenus » ;
- La typographie : « salarié.e.s », « salarié·es », « salarié(e)s », pour ne citer que trois choix d’écriture parmi d’autres ;
- Les termes non-binaires conçus pour présenter le masculin et le féminin en même temps : « iel », « celleux » ou encore « contributeurice » ;
Des propositions mieux acceptées que d’autres
Dans le détail toutefois, les propositions ont reçu un accueil très différent selon leur énoncé. Si les propositions les plus avancées (usage de la typographie dans les termes eux-mêmes ou utilisation de mots inventés non-binaires) ont reçu l’opposition la plus marquée, avec à chaque fois plus de 75 % de votes négatifs, d’autres qui ne bousculent pas les règles du français sont mieux acceptées.
Ainsi, il n’y a pas eu de majorité absolue contre la proposition des termes englobants. Seuls un peu moins de 44 % des votants l’ont refusée. Les autres se partagent entre les avis positifs (un peu plus de 34 %), les appels à la tolérance (17 % environ) et les votes neutres (un peu moins de 5 %). Ce sont à peu près ces ordres de grandeur que l’on retrouve pour la troisième proposition, à savoir la féminisation des noms et titres.
Il convient toutefois de signaler que même si une ou plusieurs propositions avaient été approuvées pendant cette consultation, cela n’aurait pas forcément changé grand-chose en pratique pour la version française de Wikipédia. Il s’agissait surtout de prendre la température de la communauté sur un sujet qui existe aussi bien dans l’encyclopédie que dans la société, y compris dans l’administration ou dans les rédactions.
Comme l’explique la page décrivant les sondages organisés sur Wikipédia, ceux-ci « ne sont pas des prises de décisions et sont juste là à titre indicatif ». Cela étant, s’il existe une forte tendance dans un sens ou dans un autre, la communauté peut estimer qu’il y a consensus et envisager alors de revoir ses règles de participation à l’encyclopédie en ligne. Cela veut dire aussi que l’écriture inclusive n’est pas interdite stricto sensu.
Il est tout à fait possible de rédiger des articles en écriture inclusive, du moins si ce sont les formes les plus courantes qui sont utilisées, c’est-à-dire celles qui sont le mieux acceptées, comme les termes englobants, la double flexion et l’accord en genre des noms et titres de fonction. En revanche, les autres formes d’écriture, moins fréquentes et pouvant être vues comme plus radicales, risquent d’aboutir à des guerres d’édition si elles sont employées.
Un sondage qui interroge la place des femmes dans Wikipédia
Quoiqu’instructif, le sondage conduit par Wikipédia souffre évidemment d’un biais : il est établi depuis longtemps que les hommes sont les premiers contributeurs, et de loin, sur Wikipédia. Les femmes représentent une minorité. En 2013, selon les chiffres fournis au Wall Street Journal par Jimmy Wales, le fondateur de l’encyclopédie libre et gratuite, on comptait 87 % d’hommes parmi les bénévoles.
Six ans plus tard, la situation n’a, selon les quelques recherches qui existent sur le sujet, pas franchement évolué. Fin 2019, Katherine Maher, la directrice de la fondation Wikimédia depuis 2016, structure qui encadre Wikipédia, indiquait au Guardian que selon les estimations de son équipe, les femmes représentent toujours à peine entre 15 et 20 % de la totalité des bénévoles du projet.
De façon mécanique, ce faible contingent féminin est moins susceptible de pouvoir faire valoir des projets qui le touche — ce qui est typiquement le cas de l’écriture inclusive, qui permet de rendre visibles les femmes au fil du texte –, et cela même si toutes les femmes ne sont pas forcément pour cette manière de rédiger, et les hommes forcément contre. Ce n’est en tout cas pas représentatif de la distribution démographique et les résultats tendent à montrer que les hommes ont voté contre.
En 2013, Sue Gardner, l’ancienne directrice de la fondation, avait émis une liste de pistes expliquant la rareté des femmes sur Wikipédia : atmosphère générale trop misogyne, fonctionnement trop conflictuel, comportements sexistes de certains internautes, froideur des rapports sociaux sur le site, manque de confiance en soi, crainte de voir ses éditions être rejetées, manque de temps, complexité de l’interface et difficulté à être interpellé en tant qu’homme, si le sexe n’est pas connu.
Si le lien de causalité n’est pas nécessairement établi, force est de remarquer que la faible présence des contributrices (ou la surreprésentation des hommes) a peut-être un rôle dans un certain nombre de constats qui ont été faits au fil des années, comme le fait que les biographies de personnalités féminines sont moins nombreuses (mais un projet tente de renverser la vapeur) et qu’elles sont plus souvent débattues.
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