La plateforme de signalement des violences sexistes et sexuelles a été lancée par le gouvernement en novembre 2018, sous l’égide du ministère de l’Intérieur et des forces de l’ordre. Par l’intermédiaire d’un tchat, victimes et témoins dialoguent avec un ou une policière ou gendarme en temps réel : le système est gratuit, anonyme et fonctionne 24h/24, 7j/7.
« L’objectif est de vous permettre d’être accompagné vers le dépôt d’une plainte ou, dans l’hypothèse où vous ne seriez pas prêt, orienté vers les partenaires du ministère de l’Intérieur afin de faciliter votre prise en charge sociale et/ou psychologique », indique, en écriture non-inclusive, le site du ministère de l’Intérieur. Ainsi, 19 membres de la police ont été formés par des associations et une psychologue à accueillir la parole des victimes et à les orienter.
Le lancement de la plateforme est née d’une constatation : peu nombreuses sont les victimes à porter plainte lors de cas de violences sexuelles ou conjugales. Au-delà de la difficulté du processus judiciaire, l’accueil des victimes et le traitement des plaintes par les forces de l’ordre ont été critiqués, notamment à travers les hashtag #PayeTaPlainte ou #PayetaPolice. Pourtant, plus d’un an après son lancement, la plateforme reste peu connue.
Une vraie écoute et de bons conseils
Cette plateforme, nous l’avons testée à l’aide de véritables témoignages de victimes. Nous avons présenté 3 situations : un signalement d’harcèlement sexuel au travail, un cas de viol et le récit de violences conjugales. En moins de 2 minutes, nous avons été mis en relation avec un membre de la police, identifié par des initiales. Chaque échange a duré en moyenne une vingtaine de minutes, avec des questions très précises. Plusieurs fois, on nous a signifié notre courage pour témoigner, avec une véritable considération de la parole de la victime.
Cette considération, c’est ce qu’a ressenti Roxane lorsqu’elle a testé la plateforme. La jeune femme a vécu pendant près de 3 ans avec un conjoint violent, avant de réussir à s’éloigner de cet homme qui l’avait isolée de ses amis et de sa famille. « Il me faisait croire que tout était de ma faute », explique-t-elle. Plusieurs années après, Roxane se souvient des humiliations, des coups, des violences sexuelles, du harcèlement et du sentiment de peur : « Plusieurs fois, j’ai cru que j’allais mourir ». Roxane a accepté de tester la plateforme pour nous, en racontant son histoire comme témoin : plusieurs années après, elle ne se sent pas la force de porter plainte.
De son expérience du tchat, Roxane a trouvé les questions pertinentes, et s’est vu proposer le contact d’associations. « Même si on n’a pas forcément envie de porter plainte, le fait d’avoir une association où il y a de l’écoute et du soutien c’est déjà énorme », explique-t-elle. Dans son échange avec la police, on lui a conseillé que la victime de violences prépare un sac ou convienne d’un mot clé avec son entourage pour se préparer au départ. « Ce sont des stratagèmes qui peuvent sauver », commente Roxane.
« Si cette plateforme avait existé, je l’aurai utilisée dès les premières gifles »
À la fin de l’échange, les policiers et policières proposent de remplir une fiche de signalement : celle-ci sera reprise dans le commissariat le plus proche pour éviter à la victime ou au témoin de raconter une nouvelle fois son histoire. La plateforme propose également des solutions alternatives à la plainte, à travers des associations ou une redirection vers le 3919 : cependant, l’objectif principal reste la plainte. « Si cette plateforme avait existé [à l’époque], je l’aurai utilisée dès les premières gifles ou les premières insultes. » estime Roxane. « C’est déjà très bien par rapport à ce que j’ai vécu, ou ce que je connaissais il y a 3 ans ». Pour la jeune femme, ce type de dispositifs gagne à être connu : « Quand vous êtes dans ces moments-là, vous n’avez pas tendance à aller chercher sur internet. Vous aimeriez que ce soit placardé partout ».
« Aucun service ne peut répondre seul à tous les besoins d’une victime »
La commandante de police Sandrine Masson est la cheffe de ce portail, qui collabore avec la brigade numérique de Rennes, en zone gendarmerie. Selon elle, l’objectif de la plateforme est « un accueil total de la parole de la victime sans remise en cause de cette dernière ». Entre novembre 2018 et mi-janvier 2019, 6509 tchats ont été recensés en zone de compétence police : environ 35 % ont été transmis aux services territorialement compétents pour la prise de plainte et 18 % ont fait l’objet d’orientation directe pour prise de plainte. Avec son adjointe et la psychologue du service, la commandante lit l’intégralité des tchats « pour pouvoir toujours adapter aux mieux nos réponses » et « effectuer un suivi de possible nouvelles infractions à recenser », nous explique-t-elle. Elle cite l’exemple du stealthing, le fait de retirer un préservatif sans le consentement de son/sa partenaire pendant un rapport.
Pendant 6 mois, le service a été formé par plusieurs associations, dont En Avant Toutes, une association féministe qui possède elle aussi un tchat pour personnes victimes et témoins. « Bien souvent, le moment où la personne décide de parler, de porter plainte ou d’appeler à l’aide est celui où elle est le plus en danger, car son agresseur va alors tout faire pour la réduire au silence et préserver son impunité » expliquent Reine, Louise et Amélie, qui s’occupent du tchat d’En Avant Toutes. Au-delà de leur formation initiale, l’équipe de Sandrine Masson reçoit une formation continue tous les mois avec la psychologue du service sur le psycho-trauma, la typologie des victimes ou encore le cycle des violences.
Dans la lutte contre les violences, la multiplicité des ressources n’est pas synonyme de compétition, mais davantage une complémentarité. « Avec le 3919, nous avons un rôle complémentaire, nous leur orientons les victimes qui souhaiteraient parler par téléphone et ils orientent vers nous des victimes pour un dépôt de plainte » explique Sandrine Masson. « Aucun service ne peut répondre seul à tous les besoins d’une victime » indique l’association En Avant Toutes. « Certaines des personnes qui viennent vers nous ne souhaitent pas porter plainte, mais simplement s’exprimer sur ce qu’elles ont vécu, être crues et soutenues », estiment Reine, Louise et Amélie. « En cela, nous pensons que le travail de la plateforme de signalement est tout à fait différent et tout à fait complémentaire au nôtre » ajoutent les écoutantes.
Avec un peu plus d’un an d’existence, la question de communication autour de la plateforme se pose : pourquoi n’est-elle pas plus connue ? « Notre but est de bâtir peu à peu notre réputation, notamment auprès des personnes du domaine des violences sexuelles et sexistes », déclare Sandrine Masson. « Nous sommes partis de zéro et sans que l’on ne sache ce que nous pouvions avoir, nous avons eu plus de 6 500 échanges par tchat ». Une manière de regagner la confiance en la police et en la justice ? Pour En Avant Toutes, « le rôle de la police dans la lutte contre les violences faites aux femmes est de devenir une alliée ».
Si le signalement et la plainte sont des premières étapes, encore faut-t-il que la plainte aboutisse : en 2018, un tiers des victimes de féminicides avaient déposé une plainte ou une main courante.
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