La Cour de cassation continue de mettre de l’ordre dans l’ubérisation de la société. En 2018, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français pointait un lien de subordination entre un livreur et Take Eat Easy, une société de mise en contact entre des clients et des restaurateurs. Aujourd’hui, ce sont les relations entre un chauffeur Uber et le célèbre géant qui sont réévaluées.
L’arrêt rendu ce mercredi 4 mars par l’institution fera certainement date dans les activités de l’entreprise américaine spécialisée dans les véhicules de transport avec chauffeur (VTC). Dans le cas d’une affaire impliquant un conducteur, les magistrats ont décidé de requalifier en contrat de travail la relation contractuelle qui l’unit au groupe — dont la capitalisation tourne autour des 57 milliards de dollars.
La question juridique à laquelle faisait face la Cour de cassation était la suivante : quand un chauffeur réalise une course au nom d’Uber, est-il lié à lui par un lien de subordination, même s’il est inscrit au registre des métiers comme travailleur indépendant ? Réponse qui a trouvé une issue après un an de procédure, l’arrêt rendu par la cour d’appel ayant été rendu le 10 janvier 2019.
Des liens de subordination multiples
Pour aboutir à cette conclusion, la Cour de cassation a d’abord observé les éléments constitutifs d’un travail indépendant. Parmi eux, celui de la possibilité d’avoir sa propre clientèle, mais aussi de fixer ses tarifs à sa guise et de définir dans quelles conditions exécuter sa prestation. Les magistrats ont alors observé si ces critères existaient dans la relation entre ce chauffeur et Uber.
En aucune façon ce n’est le cas.
Le conducteur ne peut ni fixer ses tarifs comme il l’entend ni choisir ses clients. Il ne peut pas davantage choisir de quelle façon il fait son travail. Tout est réglé par Uber, ce qui démontre un lien de subordination. Celui-ci s’exprime par le « pouvoir de l’employeur [à] donner des instructions, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner le non-respect des instructions données », observe la Cour dans son communiqué.
Ce lien de subordination se manifeste à différents niveaux, relève l’institution : le chauffeur ne peut pas choisir son itinéraire et, en cas d’écart sur le trajet déterminé, « des corrections tarifaires sont appliquées ». Il ne connait pas non plus à l’avance la destination du client, ce qui est un autre signe « qu’il ne peut choisir librement la course qui lui convient ». Et en cas de refus répétés, Uber peut mettre sur la touche le conducteur pendant un temps, voire lui couper l’accès au compte.
Le statut d’indépendant « n’est que fictif », tranche en conclusion la Cour de cassation. Par ailleurs, rappelle-t-elle, la jurisprudence fait que l’existence d’une relation de travail salariée dépend « des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle », pas de ce que déclarent ou écrivent les parties en présence, ou de leur manière dont elles présentent leurs relations.
Ce verdict ne permettra sans doute pas à ce chauffeur de retravailler pour Uber — son compte a été clôturé définitivement par l’entreprise –, mais il ouvre la voie au règlement de son cas, en matière d’indemnités, de salaires, de dommages et intérêts pour non respect des durées maximales de travail, de travail dissimulé et de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le verdict qui est susceptible de rebattre fortement les cartes entre les chauffeurs de VTC — qui sont au nombre de 30 000 en France — et Uber, mais aussi de toutes les autres firmes de mises en contact d’utilisateurs avec des conducteurs : Kapten, Heetch, Bolt, Marcel, etc. D’autant qu’il n’existe aucun régime intermédiaire, comme en Italie ou au Royaume-Uni : on ne peut être qu’indépendant ou salarié.
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