Le passage massif de tous les élèves à de l’enseignement à distance risque fort de se faire dans la douleur, au moins les premiers jours. C’est ce qui ressort de plusieurs témoignages publiés ces dernières heures sur Twitter, ce 16 mars 2020, qui rapportent que les outils mis à disposition par l’éducation nationale pour assurer la continuité pédagogique sont à la peine face à l’afflux de connexions.
Du fait de la pandémie de coronavirus qui se propage dans le monde entier, et qui appelle à des mesures gouvernementales et à un civisme exemplaire pour l’endiguer le plus vite possible la maladie, il a été décidé le 12 mars de fermer les crèches, écoles, collèges, lycées et universités. La mesure s’applique officiellement depuis le 16 mars et jusqu’au 29 mars. Date qui pourra être repoussée en fonction de la situation.
La bascule dans l’enseignement à distance est, de fait, considérable en termes de volume : on parle de près de 62 000 établissements scolaires, un peu moins de 12,4 millions d’élèves (écoliers, collégiens, lycéens), mais aussi environ 871 000 agents de l’éducation nationale. À cela s’ajoutent les universités et les grandes écoles et, par ricochet, tous les étudiants, qui sont 2,7 millions.
Ainsi, selon nos constations, le portail École Directe, sur lequel peuvent se connecter les familles, les élèves, les enseignants et le personnel éducatif, ne tient pas la charge. Le site est inaccessible ou ne parvient pas à charger tous les éléments, notamment ceux qui permettent de se connecter. Le ministère de l’Éducation nationale n’a pas encore réagi aux premières difficultés constatées.
En revanche, les professeurs et les élèves ne se privent pas de pointer du doigt les débuts ratés de cette transition exceptionnelle, malgré les assurances de Jean-Michel Blanquer il y a encore quelques jours. Le 12 mars, le ministre assurait ainsi dans un message publié sur les réseaux sociaux que « toutes les mesures de continuité du service public de l’éducation sont mises en œuvre : nous y sommes préparés ».
D’autres plateformes sous l’eau
Mais École Directe n’est pas la seule plateforme à être hors service ou très difficilement joignable.
Monsieur le Prof, pseudonyme d’un enseignant d’anglais très suivi sur Twitter, relève que l’environnement numérique de travail (ENT) d’Île-de-France est tombé ce matin. Un autre fait remarquer que l’ENT de Nice était inaccessible dès la veille. « ENT Hauts de France en PLS », dit un autre. D’autres professeurs se succèdent pour mentionner ceux de Rennes, Rhône-Alpes, Champagne-Ardenne, Nantes, Occitanie, Val-d’Oise, Lille, Alsace, Grand Est, Normandie, Montpellier… et la liste n’est pas terminée.
D’autres services sont aussi dans les choux en cette matinée du 16 mars. C’est le cas du site Klassroom, qui propose des outils de mise en relation entre les parents et les profs, du Centre national d’enseignement à distance (CNED) ou tout simplement du site de blog scolaire qui liste les enseignements et exercices à faire à la maison. Le site du ministère de l’Éducation nationale, par contre, reste accessible.
Face à cette très forte affluence, les responsables de Klassroom déclarent avoir « anticipé un pic de connexions ce lundi matin », mais « pas suffisamment ». « Tout le monde s’est connecté en même temps autour de 9h, nos serveurs ont eu du mal », ajoutent-ils, citant « plusieurs centaines de milliers de connexions simultanées ». L’entreprise assure être sur le pont pour rétablir la situation et augmenter ses capacités d’accueil.
« Tout le monde s’est connecté en même temps autour de 9h »
Pour sa part, le CNED invite à s’abstenir de se rendre sur son site web, en précisant que « c’est le chef d’établissement qui communique aux familles l’adresse du site de continuité pédagogique sur lequel se connecter ». En attendant, les professeurs font au mieux dans un contexte dégradé : une enseignante d’allemand nous indique avoir contacté ses élèves par mail — quand elle les as — pour leur dire d’envoyer les devoirs plus tard.
Sur le site du ministère de l’Éducation nationale, il est rappelé que les académies peuvent s’appuyer sur la plateforme dédiée du CNED — Ma classe à la maison — afin de permettre la mise à disposition immédiate de séances pédagogiques en ligne. Celle-ci propose des parcours pédagogiques couvrant une période de quatre semaines, de l’école au lycée.
Elle inclut aussi une classe virtuelle, un outil qui vise, selon les services de Jean-Michel Blanquer, à favoriser le maintien de la classe en créant un moment dans la journée où tous les élèves peuvent se retrouver et échanger. Ce système « permet aux élèves de ne pas rester isolés, de maintenir une dynamique de groupe et d’entretenir le lien avec leurs enseignants », expliquent-ils.
Une situation de fait dégradée
À la décharge des diverses plateformes envoyées en première ligne pour accueillir toute la jeunesse de France, elles ne sont naturellement pas dimensionnées pour faire face à ce type de pics d’usages, mais à un trafic dans des conditions normales. Pour prendre une image, c’est comme les envois de SMS : les infrastructures les acheminant sont pensées pour une journée lambda, pas pour le 31 décembre.
Ce phénomène n’épargne pas non plus les géants de l’industrie tech. Alors qu’il pilote l’une des infrastructures de cloud computing les plus utilisées au monde, notamment par les entreprises, Microsoft a constaté l’effondrement (temporaire) de son service Teams, qui n’a pas pu encaisser l’arrivée soudaine de très nombreuses connexions depuis l’Europe. La situation devrait néanmoins se résorber prochainement.
Concernant l’éducation nationale, il faut s’attendre à des difficultés sur plusieurs heures ou quelques jours, ce qui, au regard de la situation exceptionnelle que traverse le pays, n’a rien d’étonnant. C’est le propre des situations dégradées : rien ne sera optimal et d’autres ratés sont à prévoir, au moins à court terme, le temps de se caler sur la réalité du terrain et de faire au mieux, avec ce que l’on a.
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