Mise à jour du 19 mars 2020 à 19h45 : Netflix a annoncé a Numerama qu’il limiterait la qualité de ses flux (bitrate) en Europe pendant 30 jours. Cela fait suite à la discussion avec Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur, à ce sujet. « À la suite des discussions entre Thierry Breton et Reed Hastings, et compte tenu des défis inédits liés à la propagation du coronavirus, Netflix a pris la décision de réduire son débit sur l’ensemble de ses flux en Europe pour une durée de 30 jours. Selon nos estimations, cela représente une baisse d’environ 25 % du trafic, tout en maintenant un service de qualité pour nos abonnés », déclare un porte-parole de Netflix France au téléphone.
Comment ? La résolution sera maintenue, mais avec un bitrate minimum sur la norme (HD, Full HD, Ultra HD, etc.). Cela signifie que vous continuerez à profiter de vos vidéos en 4K, par exemple, mais avec le niveau de compression maximal que tolère la norme vidéo. L’occasion d’éprouver le « streaming adaptatif » de Netflix, qui vante cette technologie de pointe depuis des années, lui permettant théoriquement de proposer plusieurs qualités d’images pour toutes les résolutions.
Ce n’est donc pas une réduction de 25 % de la qualité des vidéos : ce chiffre correspond à l’impact global qu’auront ces mesures sur les réseaux européens.
Dans un communiqué de presse obtenu par la rédaction, Thierry Breton confirme la décision : « Je salue la réponse très rapide de Netflix pour préserver un bon fonctionnement d’Internet pendant l’épidémie. »
Article original : C’est un appel inhabituel, mais qui survient dans un contexte exceptionnel. Dans la soirée du 18 mars, Thierry Breton a invité les internautes européens au civisme numérique. En clair : ne sollicitez pas de trop les réseaux pour du divertissement, à l’heure où un grand nombre de personnes doit travailler à domicile (ou réviser, dans le cas des élèves) en raison du confinement général.
« Pour sécuriser l’accès à Internet pour tous, passons à la définition standard lorsque la HD n’est pas nécessaire », lance ainsi le commissaire européen en charge du numérique et du marché intérieur. Il déclare avoir eu à ce sujet une discussion avec Reed Hastings, le patron de Netflix, l’une des plateformes vidéos les plus consultées dans le monde, mais aussi en France, avec 6,7 millions d’abonnés.
« Le télétravail et le streaming sont très utiles, mais les infrastructures peuvent être mises à rude épreuve »
Parmi les différents usages du net, c’est la vidéo qui occupe la part la plus importante de la bande passante. Selon un rapport remis en 2019 par le cabinet d’étude Sandvine, la vidéo représente plus de 60 % du volume total du trafic descendant, c’est-à-dire des sites vers les internautes. Netflix seul pèse 12,6 % de ce volume total et YouTube, l’autre grande plateforme de vidéo, 8,7 %.
Suivent ensuite la diffusion télévisée par les opérateurs, via Internet (IPTV), 7,2 %, ainsi que les téléchargements via le navigateur web (comme une vidéo depuis sur une plateforme), à 4,5 %. Le streaming de contenus via le navigateur web, hors Netflix et YouTube, représente 12,8 % du trafic, mais regroupe pêle-mêle toutes sortes de services, qui ne sont pas suivis individuellement par Sandvine.
C’est en ayant ces grandeurs en tête que Thierry Breton rappelle « qu’en période de confinement face au Covid-19, le télétravail et le streaming sont très utiles, mais les infrastructures peuvent être mises à rude épreuve » et qu’il faut donc y aller mollo avec la haute, la très haute ou même l’ultra haute définition. Car plus la qualité d’image est élevée, plus il y a de données à faire passer.
Pas encore de surcharge
En l’état actuel des choses, toutefois, les infrastructures télécoms, en France du moins, ont l’air de bien encaisser le coup. Le 17 mars, Cédric O, le secrétaire d’État pour le numérique, indiquait qu’aucune « surcharge des réseaux » n’est constatée. Ceux-ci « sont, à ce stade, correctement dimensionnés ». Le gouvernement a toutefois ajouté suivre la situation avec les opérateurs et leur régulateur, l’Arcep.
Cela étant, si les infrastructures ne sont pas encore lourdement en difficulté, des appels à la modération numérique se font entendre.
Laurentino Lavezzi, le directeur des affaires publiques chez Orange, invitait dès le 16 mars à « privilégier absolument l’accès fixe en Wi-Fi », plutôt que la liaison mobile (3G ou 4G), car « les réseaux mobiles sont très sollicités en ce moment ». L’usage mobile ne doit être utilisé que si la connexion est mauvaise. De son côté, l’Arcep a promu son guide pour l’option voix sur Wi-Fi (VoWiFi) sur son smartphone.
En l’état actuel des choses, la coercition pour obliger à réduire le poids de la vidéo sur le trafic n’est pas prévue. « Plateformes de streaming, opérateurs de télécommunications et utilisateurs, nous avons tous la responsabilité commune de prendre des mesures pour assurer le bon fonctionnement d’Internet pendant la lutte contre la propagation du virus », insiste Thierry Breton.
Le 19 mars au matin, Netflix et YouTube n’avaient rien à annoncer sur le sujet à Numerama. Au soir du 19, pourtant, le correspondant à Bruxelles de l’AFP Marc Burleigh a annoncé que Netflix avait consenti à réduire son bitrate pour 30 jours en Europe. « Cela devrait alléger l’impact de Netflix sur le trafic européen de 25 % », précise-t-il. Même son de cloche au magazine américain Variety, à qui un porte-parole a confirmé cette version : « À la suite de la conversation avec Thierry Breton, nous avons décidé de réduire le bitrate de nos fichiers en Europe », peut-on lire. Netflix nous a confirmé cela lors d’un appel téléphonique.
À Numerama, le service de SVoD a dit partager la conviction du commissaire européen sur le fait « qu’il est essentiel d’assurer la continuité et la stabilité du réseau internet dans cette période critique ». Mais pour l’heure, le service de vidéo en ligne à la demande (SVOD) en reste à des optimisations de son infrastructure réseau et à des initiatives comme Open Connect, qui vise à délivrer les vidéos le plus efficacement possible.
Tout dépendra en réalité de l’évolution des réseaux et de la capacité des opérateurs à faire face à la situation, dans la durée (à ce sujet, Cédric O a déclaré le 19 mars que « les techniciens qui déploient et maintiennent les réseaux peuvent continuer à opérer sur tout le territoire. C’est essentiel »).
Des leviers existent
Si le civisme numérique ne suffit pas, la Commission européenne a quelques idées, comme proposer temporairement la définition standard à la place de la HD pendant les horaires de travail (et de scolarité). Un mécanisme de notification spécial est aussi annoncé, « pour assurer un suivi régulier de la situation du trafic internet dans chaque État membre afin de pouvoir répondre rapidement aux problèmes de capacité ».
Il n’est en revanche pas du tout fait mention, dans la communication européenne, d’un blocage total de Netflix, YouTube ou d’un quelconque service très encombrant pour le réseau, bien que ce soit techniquement possible et tolérable un temps, malgré la neutralité du net. Celle-ci prévoit justement quelques exceptions à la règle générale quand des circonstances extraordinaires surviennent.
Ainsi, le règlement européen sur l’accès à un Internet ouvert évoque le cas de figure de la « congestion exceptionnelle », c’est-à-dire une situation imprévisible et inévitable d’embolie numérique, tant des réseaux mobiles que des réseaux fixes, pouvant être provoquée, entre autres, par une « importante augmentation du trafic sur le réseau dans des situations d’urgence ou d’autres situations échappant au contrôle des FAI ».
Si une telle entorse à la neutralité du net est donc possible, qui viendrait d’une autorité publique ou de l’opérateur lui-même s’il est confronté à une situation immédiate (ces exceptions sont aussi couvertes par un article spécifique du Code des postes et des communications), rien ne dit qu’elle surviendra, dans la mesure où les opérateurs ont, justement, des obligations de résilience importantes.
Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom sont en effet des opérateurs d’importance vitale (OIV), c’est-à-dire des sociétés indispensables au bon fonctionnement et à la survie de la Nation. La liste des OIV est secrète, mais elle comprend 200 opérateurs, dans le public et le privé. Parmi les secteurs couverts figurent justement les communications électroniques et Internet.
Du fait de ce statut très particulier, les OIV doivent respecter des obligations de sécurité et de résistance pour faire face à des chocs et de continuer à fournir leurs services y compris quand la situation est dégradée (que ce soit à cause d’une hausse importante du trafic, une panne d’ampleur, une catastrophe naturelle détruisant des installations ou une attaque informatique de grande envergure).
Pour Benjamin Bayart, ingénieur dans les télécoms et président de la Fédération FDN, l’association des FAI associatifs, les choses devraient bien se passer. « Je n’ai pas grande inquiétude pour les FAIs, même pour les plus petits. Ça devrait assez gentiment se passer » déclarait-il le 12 mars. Le problème, ce sont les plateformes qui reçoivent un trafic excessif qui sont à la peine. On l’a vu avec l’Éducation nationale.
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