Retour à la réalité brutal pour Canal+, qui pensait bien faire en offrant sa chaîne pendant le confinement. Alors que s’est achevée le 31 mars son opération qui visait à diffuser ses programmes en clair pendant deux semaines, la chaîne cryptée va maintenant devoir en assumer les conséquences, y compris les plus désagréables. Et cela a commencé dès le 27 mars avec France Télévisions, qui entend demander réparation à son concurrent, selon les informations du site Le Film Français.
Car pour France Télévisions, tout ceci n’était que de la communication déguisée en geste de soutien à la population confinée à cause de la circulation du virus SARS-CoV-2. Or, en ouvrant sa retransmission à tout le monde, Canal+ a enfreint de lui-même la chronologie des médias — alors que ce dispositif l’avantage déjà — et joué avec des droits de diffusion qui ne lui permettaient pas de faire ça.
Dans le mécanisme actuel, qui répartit les fenêtres d’exploitation des films selon le support (DVD, TV, SVOD, etc.), Canal+ a le droit de retransmettre un long métrage 8 mois après son passage dans les salles de cinéma (6 mois s’il fait moins de 100 000 entrées). Mais en ce qui concerne une chaîne gratuite, comme celles de France Télévisions, il faut attendre… 22 ou 30 mois selon les cas de figure (ou 20 et 28 mois).
Double préjudice pour France TV
C’est là le premier préjudice relevé par France Télévisions : Canal+, à travers son opération, forcément applaudie par le public, a permis à des téléspectateurs d’accéder beaucoup plus tôt à des films qui auraient dû normalement être projetés uniquement aux abonnés de la chaîne cryptée. Dès lors, ces spectateurs ne regarderont peut-être pas la chaîne de France TV le jour où elle diffusera ce même film, un an plus tard.
Mais le groupe audiovisuel public en relève un second : normalement, Canal+ n’est pas censée être une chaîne gratuite, c’est-à-dire ouverte tout le temps et à tout le monde. Certes, elle a des passages en clair, mais ceux-ci sont ponctuels. Dès lors, les concurrents immédiats de France TV sont des chaînes comme TF1 et M6. Or, l’action de Canal+ a fait naître une « concurrence déloyale », estime le groupe.
Une « concurrence déloyale » et une « atteinte délibérée à ses droits »
Il s’avère que France Télévisions n’est pas la seule entité à adresser de pareils reproches à Canal+. TF1 et M6 sont tout autant mécontentes, pour des raisons similaires, tout comme, justement les ayants droit, à l’image de la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques). Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) s’en était aussi mêlé, en notant la nécessité de ne pas faire durer l’opération.
De fait, l’initiative de Canal+, qui devait au départ durer jusqu’au 15 avril, s’est arrêtée le 31 mars.
La demande de réparation financière a été adressée par courrier à Maxime Saada, le PDG du groupe Canal+, au motif qu’il a pris « la liberté de diffuser des œuvres pour lesquelles vous ne disposiez pas des droits en clair », entraînant de fait une « atteinte délibérée à ses droits » et une dégradation économique et d’audience pour le groupe audiovisuel. Il reste à voir si cette affaire se judiciarisera.
Les conséquences financières et d’audimat restent pour l’instant difficiles à évaluer, mais elles pourraient avoir des effets à moyen terme si elles s’avèrent lourdes. Y compris sur les téléspectateurs : France TV s’appuie en effet très fortement sur la redevance audiovisuelle (environ 70 % des sommes perçues sont versées à France TV, lui octroyant environ 2,5 milliards d’euros), que paient chaque année les Français ayant un téléviseur.
Or, si une chute importante survenait pour France TV, quels leviers resterait-il pour compenser cela ? Dans un scénario, fictif aujourd’hui, on pourrait envisager de jouer sur le montant de cette contribution à l’audiovisuel public, en l’augmentant un peu plus d’une année sur l’autre (en métropole, ce montant est de 138 euros et de 76 euros dans les outre-mer), afin d’aider le groupe audiovisuel à surmonter cette séquence.
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