Les doutes initiaux se sont transformés en certitudes. Six mois après avoir annoncé une enquête exploratoire pour ausculter le dispositif imaginé Google pour se conformer à la loi sur les droits voisins de la presse, tout en évitant d’avoir à ouvrir son porte-monnaie pour rémunérer les médias, l’Autorité de la concurrence a rendu ses conclusions, le 9 avril. Et elles sont défavorables pour l’entreprise américaine.
L’institution présidée par Isabelle de Silva considère que la façon de procéder de Google à l’égard des éditeurs et agences de presse, en refusant de négocier avec eux le montant à leur verser pour la reprise de leurs contenus, est « susceptible de constituer un abus de position dominante », parce que la firme de Mountain View a justement une posture très avantageuse dans la recherche et l’accès à l’information.
Ainsi, la part de marché de Google en France se situe aux alentours de 90 % pour ce qui est du web. L’Autorité de la concurrence a par ailleurs obtenu de la part de 32 titres de presse des détails sur l’origine du trafic allant vers le page. Il ressort que selon les sites, Google représente entre 26 et 90 % de ce trafic. Des statistiques que Google n’a pas contestés, relève l’autorité.
Les pratiques de Google ont causé une atteinte grave et immédiate à la presse
Dans ces conditions, Google a l’obligation de négocier avec les représentants des médias sur cette fameuse rémunération, qui relève des droits voisins, dans les trois mois suivants toute demande en ce sens. Ces dispositions sont issues d’une loi, promulguée fin juillet 2019 et transposant la fameuse directive européenne qui a fait couler beaucoup d’encre ces deux dernières années. On ne peut s’empêcher de noter l’absurdité de la situation énoncée par cette causalité : les médias étudiés ont une grande part de leur trafic et de leurs revenus grâce au fait que Google existe et le leur envoie, mais souhaitent tout de même que Google les paie, en plus, pour cela.
Ces droits voisins, qui sont des droits proches du droit d’auteur, offrent aux éditeurs et agences de presse le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs publications sur les plateformes numériques — cela concerne Google et dans une moindre mesure des géants comme Facebook (qui ne veut pas non plus payer). Les médias ont le soutien du gouvernement, qui n’apprécie pas la façon de faire de Google.
Mais Google a eu l’idée d’une parade : ne plus afficher aucun extrait d’article ou contenu visuel (photos, vidéos, infographies, etc.) dans ses différents services, qu’il s’agisse du moteur de recherche principal, de son portail dédié à l’actualité ou de son service Discover qui fournit du contenu selon divers critères. La seule façon de les faire réapparaitre, c’est que les médias lui cèdent une autorisation à titre gratuit.
Cette injonction, qui est une « mesure d’urgence » prise quand est supposée une atteinte manifestement grave et immédiate au droit de la concurrence, est accompagnée par ailleurs deux autres consignes que Google devra respecter — le temps, du moins, de la sortie par l’Autorité de sa décision sur le fond. Cette instruction devra dire si des infractions existent effectivement.
Google doit s’abstenir de représailles
La première consigne enjoint Google à ne pas entreprendre la moindre riposte contre l’un des plaignants. Ainsi, « ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ne devront en particulier être affectés par les négociations », est-il énoncé. Il s’agit de « garantir une négociation équilibrée » en imposant un « principe de neutralité ».
La seconde vise à renseigner régulièrement l’Autorité de la concurrence, avec l’envoi, tous les mois, d’un rapport décrivant de quelle façon Google se conforme à la décision. Ceux-ci seront vraisemblablement complétés par les signalements des éditeurs et agences de presse, par un canal séparé, si jamais ils pensent observer une évolution anormale de leur place dans les services de Google.
Dernier acte pris par l’Autorité de la concurrence, qui s’ajoute aux contraintes pesant sur le géant de la recherche, ces négociations ne concerneront pas uniquement le futur, mais aussi le passé. Elles devront couvrir toute la période précédente, à partir du 24 octobre 2019. C’est en effet à cette date que la loi sur les droits voisins est effectivement entrée en vigueur.
Reste que ces mesures et ces discussions touchent à l’absurde : en creux, elles visent à pointer du doigt le monopole de Google, ce qui est un fait admis. Mais elles partent d’un postulat contradictoire, énoncé dans le rapport lui-même : Google lui-même est déjà générateur de revenus pour ces médias. Peut-être que la solution à ces problèmes viendrait d’une moindre dépendance à Google. Celle proposée par les médias et l’Autorité renforcera au contraire la relation entre ces acteurs.
Dans une réaction transmise à Numerama, Google, par la voix de Richard Gingras, vice président en charge de Google Actualités, déclare que « depuis la transposition en France de l’article 15 de la directive européenne sur le droit d’auteur, nous discutons avec un grand nombre d’éditeurs de presse afin d’accroître notre soutien et nos investissements au profit du secteur de la presse. Nous nous conformerons à la décision de l’Autorité de la Concurrence que nous sommes en train d’analyser, tout en poursuivant ces négociations ».
(mise à jour avec la réaction officielle de Google)
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