Faute d’autres ressources financières, de nombreuses travailleuses du sexe se tournent vers les vidéos en direct. Un marché juteux, surtout pour les plateformes.

Les heures s’enchaînent, les tips non. Amanda* commence sa neuvième heure de live sur une plateforme de streaming pour adulte. « Les voyeurs sont nombreux, les payeurs beaucoup moins », lâche-t-elle blasée. Camgirl occasionnelle depuis deux ans, cette activité est devenue son seul revenu depuis le début du confinement. Environ 500 euros par semaine. « Je ne compte pas mes heures, mais c’est long, ça, c’est sûr ! », ajoute-t-elle.
Comme elles, de nombreuses travailleuses du sexe (TDS) mais aussi des amatrices sont venues grossir le nombre de shows disponibles en live sur les sites de cam. Résultat, au niveau mondial, le site CAM4 a enregistré 30 % de shows en plus. « C’est comme un grand buffet ouvert 24 h sur 24, se délecte Christophe Soret porte-parole en France. Même les modèles connectés la nuit, à cause des enfants qui ne vont plus à l’école, peuvent trouver des clients puisque nous sommes un site international ».

Côté français, la tendance observée est la même. « On a rarement vu ça, admet Célia Tricoire, la responsable de CamCokine. La durée de connexion, les shows, les visiteurs… Tout est en net progression.» Basé en France, son site a lui connu une hausse de 20 % du trafic, côté clients comme côté camgirls. Même analyse chez Jacquie et Michel. Plus 43 % de lives enregistrés depuis mi-mars. Le service de communication se félicite même d’un pic de connexions de plus 320 % les 4 premiers jours du confinement.

« Le temps de présence est beaucoup plus long, mais les revenus n’ont pas non plus explosé »

Pourtant si les camgirls sont plus connectées et plus nombreuses, la rémunération à l’heure n’a pas évolué. Quelques euros par minutes sur lesquels les plateformes ponctionnent entre 20 et 85 % de commissions. « On a le même système qu’Uber », lâche Guillaume Tanferri, le responsable communication de LiveJasmine. « Plus une personne génère du chiffre d’affaires, moins on prend. Ça va de 30 à 70 % de commissions pour nous ». Sur sa plateforme basée au Luxembourg, les shows et leurs durées ont aussi progressé au niveau européen, raconte-t-il sans vouloir en dire plus.

« Globalement, les métiers du porno rapportent peu », souligne Eva Vocz, coordinatrice des Parapluies rouges, une fédération d’associations d’aide aux TDS. « Par exemple, les plateformes diffusent les vidéos porno des actrices qui ne peuvent plus tourner sans rien leur reverser. Pour les camgirls, c’est pareil, le temps de présence est beaucoup plus long, mais les revenus n’ont pas non plus explosé ». Car si les sites mettent en avant des versements de 10 000 euros net par mois, dans les faits, c’est rarement le cas, ajoute Pierre Brasseur. Ce sociologue, rattaché à l’université de Grenoble, a coréalisé une étude sur le marché des camgirls. Et les chiffres qu’il a recueillis sont un peu différents : « Ces plateformes expliquent qu’en travaillant avec elles, il est possible de gagner beaucoup. Ce que l’on a vu, c’est qu’il faut surtout beaucoup de présence en ligne et de travail gratuit pour y arriver. »

Capture d'écran d'un site de cam // Source : Flou Numerama

Capture d'écran d'un site de cam

Source : Flou Numerama

Des investissements lourds

Démarchage, fidélisation des clients, prises de rendez-vous, achat de matériels… Autant d’actes qui ne sont pas rémunérés. Résultat, même si certaines camgirls peuvent empocher entre 2 000 et 3 000 euros pour un temps plein, voire un peu plus, « ramené au nombre d’heures, cela revient au smic horaire », relativise Pierre Brasseur. Et celles qui s’en sortent le mieux sont celles qui arrivent à négocier le taux de commission. Impensable aujourd’hui, avec la hausse du nombre de personnes en ligne, explique Mia May, camgirl depuis octobre. « On n’est pas en position de force, et comme toutes nos autres activités sont stoppées, on a besoin d’argent, donc on est plus souvent connectées.»

« Si je compte que sur la cam, je ne vais jamais m’en sortir.»

De ses lives, elle touche en moyenne deux cents euros par semaine depuis le début du confinement. Soit deux fois plus que ses revenus de cam habituels. « J’ai plus de clients fidèles et mon public a changé, explique-t-elle. Jusqu’ici, j’avais principalement des hommes mariés de 40 ans. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de jeunes hommes.» De nouveaux profils qu’elle espère voir rester dans les semaines et les mois à venir.

De son côté, Cécilia*, elle, s’est lancée dans les shows privés pour ces anciens clients, en plus de la cam. « J’ai perdu 75% de mes revenus depuis que je ne fais que de la cam », raconte-t-elle. « Du coup, j’ai mis en place un système de réservation avec acompte pour des rendez-vous post confinement.» Une façon de s’assurer un minimum de revenus pendant cette période. « Parce que si je compte que sur la cam, je ne vais jamais m’en sortir.» Au final, conclut Pierre Brasseur, « les plateformes ont réussi à faire ce que personne avant elles n’avait réussi : casser les prix du marché du sexe.»

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