La députée Paula Forteza insiste depuis l’annonce de l’application de suivi Stop Covid le 8 avril pour que sa mise en place fasse l’objet d’un vote. Après avoir mené une partie de l’opposition et publié un long texte, elle a gagné avec ses alliés de tous partis la tenue d’un vote dans la foulée du débat.

« Les décisions concernant le déploiement de technologies à risque ne doivent pas être prises de façon unilatérale et dans l’urgence », prévient la députée Paula Forteza dans un long billet publié le 18 avril. Cette experte des questions numériques, ex-LREM, multiplie les mises en garde contre le projet d’application de contact tracing Stop Covid. Elle cosigne son billet avec le chercheur en cybersécurité Baptiste Robert, radicalement opposé au déploiement d’une telle technologie, et déjà consulté sur le sujet par d’autres députés.

Pour joindre les actes aux paroles, Paula Forteza a déposé ce mardi 21 avril une demande officielle pour que StopCovid fasse l’objet d’un débat suivi d’un vote à l’Assemblée.

Dans la foulée, l’AFP, citant une source parlementaire, a annoncé que le gouvernement tiendra finalement un vote à la suite du débat, sans que l’on ne sache pour l’instant quelles questions trancheront exactement les députés. L’ex-LREM Matthieu Orphelin a confirmé sur son compte Twitter.

StopCovid a été présentée publiquement par le ministre de la Santé Olivier Véran et le secrétaire d’État au numérique Cédric O le 8 avril. L’application doit être un des piliers du déconfinement, mais elle suscite un lourd débat technique, tant l’écart entre le fonctionnement théorique et le fonctionnement réel peut potentiellement être important. Le Bluetooth, la technologie au cœur de l’application, soulève d’ailleurs plusieurs de nombreuses interrogations.

Malgré ces questionnements, le gouvernement avait fait le choix dans un premier temps de ne pas soumettre la mise en place de StopCovid au vote, malgré un débat prévu le 28 avril à l’assemblée et le lendemain au sénat. De son côté, l’Union européenne a publié une longue liste de recommandations, sorte de cahier des charges de l’application, que nous vous avons détaillé, mais qui n’est que consultative.

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Le débat autour de l’application Stop Covid mènera finalement à un vote de l’Assemblée. // Source : Wikipédia

Obliger l’installation, une impasse politique ?

La députée s’inquiète : pour que l’application soit efficace, il faut entre autres qu’elle soit adoptée et utilisée par le plus grand nombre — au moins 60% selon des chercheurs de l’université d’Oxford. Ce raisonnement mène à considérer l’obligation d’installer l’application, et à aller à l’encontre d’une des particularités européennes. « Notre droit en l’état — la directive RGPD et le règlement e-Privacy — interdit l’obligation d’usage et ne fonde son existence que sur la base du consentement, c’est-à-dire le volontariat. Cet arsenal législatif reflète nos valeurs françaises et européennes, et nous ne saurions nous y soustraire », rappelle Paula Forteza.À Singapour, les autorités ont laissé le choix, et seulement 19% de la population a téléchargé l’application. Un nombre largement insuffisant pour assurer l’efficacité de la solution.

Comment inclure les 23% de concitoyens sans smartphone ?

L’élue rappelle aussi les antécédents de l’administration. Le système d’alerte et d’information de la population (SAIP), censé prévenir les citoyens en cas d’attaque terroriste, a été abandonné 2 ans après son lancement. En cause : l’application était défectueuse, et avait donc été abandonnée par les utilisateurs après certains ratés. Le tout, pour un coût de 400 000 euros.

Autre problème auquel les élus doivent faire face : que faire des 23 % de Français qui ne disposent pas d’un smartphone (d’après les chiffres de l’Arcep) ? Comment accompagner ceux qui ne savent pas correctement l’utiliser ? « Nous serions en train d’ajouter une inégalité de traitement au sein de la population française », alerte-t-elle.

Sans obligation légale, le risque d’une obligation morale

L’un des principes renforcés par le RGPD est celui du consentement libre et éclairé de la personne, nécessaire à tout traitement de ces données. La députée rappelle que cette définition appelle des réflexions éthiques. Et justement, le comité consultatif nation d’éthique s’est exprimé publiquement sur les enjeux en temps de crise sanitaire. « Le choix individuel peut être orienté, voire influencé, de diverses manières, par exemple à travers les techniques de persuasion (« nudging ») ou de manipulation, la pression sociale, l’imitation des actions des proches, etc. », met-il en garde.

Éviter le « consentement induit »

Si l’application n’est pas obligatoire, comment s’assurer que certaines personnes ne forcent pas leur entourage à l’utiliser ? Comment garantir que d’autres ne dénoncent pas leur voisin qui préfère ne pas activer son Bluetooth en permanence ? À terme, ces pressions peuvent se transformer en stigmatisation, ou en harcèlement.

« Nous devrions éviter de faire porter à nos concitoyens un dilemme moral : serions-nous fautifs si nous ne téléchargeons pas cette application ? La pression sociale ou le sentiment de culpabilité pourrait faire naître un consentement induit, indirectement contraint », s’inquiète Paula Forteza, avant d’ajouter un peu plus loin : « Nous avons vu quelques cas absolument effrayants de personnes recevant des lettres anonymes parce qu’elles étaient en contact avec des malades : cette technologie pourrait en accentuer les répliques.

La tenue d’un vote contre l’opinion du secrétaire d’État au numérique

La semaine dernière, le 17 avril, Cédric O renouvelait son opposition au vote face à l’Assemblée nationale : « Je comprends le débat sur le vote, mais si c’est pour qu’in fine nous ayons une abstention extrêmement forte parce que c’est un “oui, mais”, je pense que le vote ne remplit pas sa fonction. » Le Premier ministre Édouard Philippe semblait quant à lui plus ouvert.

Au terme de ce bras de fer, Paula Forteza, l’opposition et même quelques députés LREEM semblent avoir gagné l’organisation d’un vote. La députée s’opposera en tout cas à la mise en place de l’application : « Ne plaçons pas au centre de notre stratégie de déconfinement un dispositif dont l’efficacité reste à prouver et est contesté de façon quasi unanime par les communautés techniques, une technologie qui plus est ‘à risque’ tant sur le plan individuel que sociétal, et dont, vu les circonstances, l’adoption ne pourra suivre un débat public exhaustif et apaisé.»

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