Nouvelle déconvenue pour Amazon en ce mois d’avril. Alors que la justice française a observé que le géant du commerce électronique n’en faisait pas assez pour la sécurité de ses salariés, constat qui a été ensuite confirmé en appel, voilà que l’administration américaine vient à son tour de lui porter un coup, mais sur un autre domaine : celui de la contrefaçon.
La plateforme a en effet été placée sur la liste des marchés notoires de la contrefaçon et du piratage de Washington. Plus exactement, ce sont cinq déclinaisons locales du site de e-commerce qui ont été brocardées : l’Allemagne, le Canada, l’Inde, le Royaume-Uni et… la France. La firme de Seattle n’est pas mentionnée explicitement dans le communiqué de l’administration, mais elle apparaît bien dans le rapport.
Washington classe Amazon France dans la liste des marchés notoires de la contrefaçon
Ce document est établi chaque année par le représentant américain au commerce, dans le cadre du rapport spécial 301 consistant à évaluer les actions menées par les États en matière de protection de la propriété intellectuelle, et visant à recenser les lieux physiques ou en ligne dans lesquels de la contrefaçon de biens manufacturés et du piratage d’œuvres culturelles surviendraient de façon significative.
Dans le rapport, qui se fait l’écho des plaintes de titulaires de droits, il est par exemple reproché à Amazon que « n’importe qui peut devenir vendeur sur Amazon avec trop de facilité, car [il] ne vérifie pas suffisamment les vendeurs sur ses plateformes ». De plus, le processus de retrait des contrefaçons d’Amazon est décrit comme « long et lourd », y compris pour des marques protégées spécifiquement.
Par ailleurs, le rapport souligne que « les informations sur les vendeurs affichées par Amazon sont souvent trompeuses, de sorte qu’il est difficile pour les consommateurs et les titulaires de droits de déterminer qui vend les marchandises ». Il est aussi dénoncé des moyens insuffisants pour rendre « adaptable, transparente et efficace » la politique anti-contrefaçon d’Amazon.
Pour corriger le tir, il est suggéré de recueillir plus d’informations sur les vendeurs afin d’empêcher les « contrefacteurs récidivistes de créer de multiples vitrines sur les plateformes », de réagir plus vite dès qu’un signalement pour contrefaçon est déposé par une marque, d’agir « pour empêcher l’apparition de produits contrefaits sur la plateforme » et de mieux informer le public sur chaque vendeur.
Amazon dénonce une vendetta
La sortie de ce rapport n’a évidemment pas manqué de faire réagir Amazon, qui dans un communiqué sorti le même jour suggère qu’il n’y a aucune base tangible qui fonde ce classement et qu’il s’agit en fait d’une basse manoeuvre politique de la part de l’administration Trump pour nuire à la plateforme fondée parJeff Bezos et dont la majorité des parts se trouve en sa possession.
Il est vrai qu’il existe des tensions entre Jeff Bezos et Donald Trump, en partie parce que Jeff Bezos est le propriétaire du Washington Post et que ce quotidien américain est l’un des plus actifs à enquêter sur les activités de la Maison-Blanche. Cette possession à titre individuel est perçue outre-Atlantique comme un possible facteur de biais politique et de conflit d’intérêts.
Comme le relève Le Monde Diplomatique, Donald Trump a lancé des tweets acrimonieux contre le Washington Post, ou plutôt l’« Amazon Washington Post », suggérant un manque d’indépendance en ce qui concerne sa ligne éditoriale. En réaction, le président américain a laissé planer la menace d’une enquête anticoncurrentielle contre l’entreprise, pour faire pression sur Jeff Bezos.
Ces tensions ont largement débordé ailleurs. Par exemple, Amazon se dit convaincu que l’attribution du contrat « JEDI » (Joint Enterprise Defense Infrastructure), d’une valeur de 10 milliards de dollars et devant permettre de moderniser l’infrastructure de cloud computing a été attribué à Microsoft pour des raisons politiques. L’affaire s’est judiciarisée en début d’année.
L’affaire de l’assassinat par Riyad du journaliste saoudien Jamal Khashoggi qui écrivait dans les colonnes du Washington Post, comporte aussi potentiellement un volet de cette tension. Il a en effet été constaté que Jeff Bezos a fait l’objet d’un chantage avec la parution de photos intimes. Celles-ci ont été révélées par le National Enquirer, dont le propriétaire s’avère être un proche de Donald Trump et du prince saoudien.
Un acte purement politique ?
Dans ces conditions, Amazon a-t-il raison de parler d’un « acte purement politique » au sujet de cette mise sur liste noire ?
Pour montrer que tout va bien, Amazon met en avant le fait que 99,9 % de ses pages produits n’ont jamais posé problème. Une statistique toutefois à lire avec beaucoup de recul. Cela peut toujours représenter des centaines de milliers de produits, même pour ce 0,1 % restant, au regard de l’immense catalogue que propose Amazon, avec des millions de biens à acheter.
Pour Amazon, il s’agit là « d’un autre exemple de la manière notoire dont l’administration américaine utilise le gouvernement américain pour mener une vendetta personnelle contre Amazon ». L’entreprise affirme avoir investi plus de 500 millions de dollars en 2019 pour combattre les fraudes et les abus. Le site fait enfin remarquer avoir bloqué plus de 6 milliards d’annonces suspectes avant qu’elles ne soient publiées.
Mais il s’avère que la réalité n’est pas aussi parfaite, surtout sur la marketplace. Quelques recherches sur Amazon France permettent de dégoter des produits qui ressemblent d’un peu trop près à des marques bien établies.
Sur cette page produit par exemple, le logo et le motif de Louis Vuitton ont été réutilisés sur une coque de smartphone, à un prix qui n’a rien à voir avec ce qui se pratique couramment dans le domaine du luxe. Cet autre article imite un sac à main Chanel, l’iconique 2.55, tandis que celui-ci reprend le style d’un bracelet Hermès pour l’Apple Watch. Et l’on pourrait continuer avec ces écouteurs copiant les AirPods sans aucune honte, ou taper « Dyson » dans la barre de recherche pour constater les « hommages » au fabricant anglais d’aspirateurs.
Si Amazon se targue d’avoir fait des investissements importants dans des technologies et des processus proactifs pour détecter et empêcher la présence de tiers malveillants et de produits potentiellement contrefaits d’être vendus sur son service, le fait est qu’Amazon sait pertinemment qu’il y a un problème. À tel point d’ailleurs que le problème figure dans ses documents financiers désormais.
Comme le rapportait CNBC l’an dernier, ce problème, qui est décrit comme un facteur de risque, pourrait s’aggraver. L’entreprise ajoute qu’elle n’est pas sûre d’être en mesure de stopper le phénomène, d’autant que de plus en plus de ventes passent par le Marketplace, où officient des vendeurs tiers. Et cela pourrait devenir un risque juridique pour le groupe, dont la responsabilité est susceptible d’être engagée.
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