Laetitia Avia peut triompher. Alors qu’elle est gravement mise en cause dans une enquête de Mediapart lui reprochant justement des propos à connotation sexiste, homophobe et raciste, la députée de La République en marche est parvenue à faire voter définitivement sa proposition de loi contre la haine en ligne à l’Assemblée nationale, le 13 mai 2020, après un long parcours parlementaire.
Dans les grandes lignes, le cœur du texte n’évolue pas fondamentalement par rapport aux versions précédemment discutées par les élus. Le texte de loi obligeant les plateformes ayant un forte visibilité à réagir en l’espace de 24 heures en cas de signalement concernant un contenu qui est « manifestement illicite ». Pour avoir une force pratique, le texte exige un système de notification accessible et rapide à remplir.
Les contenus tombant sous le coup de cette loi sont ceux s’attaquant à la dignité humaine (contenus homophobes, racistes ou sexistes), provoquant à la haine, à la violence et à la discrimination, faisant l’apologie de certains crimes, commettant des injures aggravées, niant les crimes contre l’humanité, se livrant à du harcèlement sexuel, étant des contenus pédopornographiques, provoquant au terrorisme ou se livrant à son apologie.
Dans des cas très particuliers, ce délai peut être réduit à une heure seulement. Cela vise les contenus à caractère terroriste ou bien pédopornographiques, mais dans le cas où ce sont les autorités publiques qui sont à l’origine du signalement.
Pour contraindre les plateformes à jouer le jeu, la loi prévoit des sanctions qui peuvent être très sévères. En cas de manquement à ses obligations, une entreprise peut se voir infliger une amende de 200 000 d’euros. Quant au CSA (qui deviendra bientôt l’Arcem, avec sa fusion à venir avec Hadopi), il lui sera possible de prononcer des amendes jusqu’à 4 % du chiffre d’affaires annuel mondial du site incriminé.
Évidemment, face à la perspective de devoir régler des notes particulièrement salées, les sites risquent d’avoir la main lourde face aux notifications reçues et sabrer tout ce qui flirte avec la ligne jaune. Les sites bénéficient toutefois d’un répit de quelques semaines pour se préparer à cette nouvelle donne, puisque le texte entrera effectivement en application le 1er juillet 2020 — un amendement a été passé en ce sens.
Parmi les autres dispositions du texte figurent des mesures contre la duplication de contenus haineux : l’autorité administrative peut ordonner le blocage de l’accès à tous sites reprenant, partiellement ou totalement, le contenu d’un site préalablement interdit par la justice (les fameux sites miroirs). Les acteurs de la publicité sont aussi dans la boucle pour assécher les finances des celles et ceux qui laissent prospérer ces contenus.
La loi donne aussi le coup d’envoi d’un parquet et une juridiction spécialisés pour lutter contre les contenus haineux en ligne.
Vaine ultime levée de boucliers
À l’approche du vote du texte par les parlementaires, une nouvelle levée de boucliers a eu lieu pour tenter de souligner encore une fois les risques du texte, à la fois par des juristes, les plateformes, mais aussi les associations en première ligne face aux contenus haineux. C’est le cas de l’interassociative LGBT qui exprimait encore le 11 mai « ses inquiétudes sur les effets potentiellement néfastes de cette loi ».
Le 12 mai, la Commission nationale consultative des droits de l’homme déclarait que « ce texte menace de manière disproportionnée la liberté d’expression », malgré des efforts de rédaction apportés au Sénat pour l’améliorer. La veille, La Quadrature du Net prédisait que les obligations pesant sur les plateformes « seront inapplicables et inutiles ». En Europe, le Parti pirate a lui aussi fait part de ses craintes.
Thibault Guiroy, qui officie en tant que responsable des relations institutionnelles chez Google, une entreprise par nature très exposée par les dispositions du texte, s’interrogeait également sur plusieurs dispositions et un cadre juridique très insuffisant, notamment en comparaison de ce qui est débattu à l’échelon européen — car la lutte contre la haine sur le net est aussi un sujet qui accapare Bruxelles.
« L’une des principales mesures de la loi cyberhaine est aujourd’hui antiterroriste : faire retirer des contenus en une heure sur notification de la police. Où est l’étude d’impact ? Où sont les garde-fous discutés en ce moment même à Bruxelles ? Quels seront les pouvoirs de contrôle ? Le fait que personne ne se pose ces questions en France alors qu’elles font l’objet de débats nourris à Bruxelles est fortement préoccupant », écrivait-il sur Twitter le 13 mai, quelques heures avant le vote.
Et Christiane Féral-Schuhl, avocate spécialiste du numérique et présidente du Conseil national des barreaux, d’enfoncer le clou : « ce texte délègue le pouvoir de censure à des organismes privés. […]. Si vous êtes l’auteur d’un contenu supprimé et que vous n’êtes pas d’accord avec la censure, vous allez devoir saisir le juge et rien n’est organisé. Ce sera le parcours du combattant », prévient-elle.
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