« La diversité est une valeur fondamentale pour nous », a affirmé Sundar Pichai, le CEO de Google, en ouverture d’une longue interview accordée à The Verge le 19 mai 2020. La semaine dernière, une enquête de NBC a bousculé la multinationale : la journaliste April Glaser y révèle, selon de nombreuses sources internes, que plusieurs programmes qui visaient à favoriser l’inclusivité et la diversité au sein de Google auraient été progressivement supprimés ces deux dernières années.
Elle recense pas moins de sept employés, anciens ou toujours en poste, qui lui ont confié séparément qu’ils estimaient que ces décisions avaient été prises « pour protéger Google d’un retour de bâton des conservateurs ».
L’un des dispositifs les plus symboliques de ce revirement s’appelle Sojourn, une série de formations en interne dispensées aux employés et employées afin de les sensibiliser aux discriminations ordinaires et les biais inconscients qui peuvent émerger pendant des discussions ou la gestion de projets. Bien qu’apprécié, Sojourn a été supprimé en 2019. Deux autres programmes, appelés DEI for Manager et l’autre Allyship 101, ont également disparu ou été absorbé dans d’autres formations.
« Discrimination envers les hommes blancs conservateurs »
La raison avancée par les employés interrogés semble paradoxale : ils affirment que Google aurait peur d’être poursuivi en justice par des « employés blancs conservateurs, qui affirmeraient que Google les discrimine ».
Ce discours rappelle celui de James Damore, un ingénieur de la firme qui avait publié en août 2017 un manifeste sexiste dans lequel il justifiait les inégalités salariales entre femmes et hommes par des « différences biologiques ». Renvoyé par Google à cause de ses propos qui enfreignaient les règles de l’entreprise, il avait été érigé en héros par l’extrême droite américaine, ravie que soit décrié ce que Damore appelait « le bourrage de crâne idéologique de Google ». Il y critiquait ouvertement les programmes de la multinationale qui visaient à rééquilibrer les biais systémiques sexistes et racistes, en faisant attention à ne pas discriminer les personnes issues de communautés minoritaires. James Damore est même allé jusqu’à attaquer Google pour « discrimination envers les hommes blancs conservateurs » — une plainte qui s’est soldée par un accord à l’amiable confidentiel entre lui et l’entreprise le 9 mai 2020.
Interrogé sur le sujet en 2018, Sundar Pichai avait assumé ne pas regretter le renvoi de l’ingénieur. Mais depuis, les mesures de Google en faveur de plus d’inclusivité sont de plus en plus scrutées par l’influente extrême droite, dont le site conspirationniste Breitbart, vent debout contre ce qu’il considère être une attaque contre les personnes blanches.
« En 2018, après l’affaire Damore, les cadres [de Google] on arrêté d’utiliser le mot diversité », a confié un employé à NBC. « Ils disent désormais D&I », ce qui signifie « diversité et inclusivité ». Publiquement, en tout cas, Google continue de publier annuellement son Rapport sur la Diversité.
La multinationale a d’ailleurs été l’une des premières entreprises tech, en 2014, à communiquer des données sur les origines et le genre de ses employés afin de reconnaître la sous-représentation des femmes et des personnes noires, et la surreprésentation des hommes blancs et asiatiques dans ses rangs. Ces rapports permettent de voir que le changement est très, très lent : entre 2019 et 2020, le pourcentage de femmes dans l’entreprise est passé de 31,6 % à… 32 %, tandis que le pourcentage de personnes noires a augmenté d’à peine 0,4 point, atteignant un maigre 3,7 %. « Nos progrès sont modestes », a convenu Sundar Pichai au cours de son entretien avec The Verge.
En France, ces statistiques ne sont pas autorisées, suivant une doctrine universaliste qui estime préférable, pour combattre les discriminations, de considérer que ces différences n’existent pas — mais qui a pour conséquence de ne pas pouvoir s’attaquer de front aux constructions et biais sociétaux à l’origine de ces différences.
Interrogé sur tous ces points par NBC, Google a justifié la disparition de certains programmes de formation par l’impossibilité de les transposer à l’international, car l’entreprise aurait trop de mal à augmenter les capacités de formation et les adapter à chaque pays. « Je peux même dire que nous n’avons jamais dépensé autant d’argent dans les programmes pour favoriser l’inclusivité qu’aujourd’hui », a assuré Sundar Pichai.
>> L’enquête entière de NBC est à consulter ici (en anglais)
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