C’est une victoire pour les opposants de la loi Hadopi, mais qui sera jugée peut-être bien tardive et insuffisante par certains observateurs. Le Conseil constitutionnel a rendu le 20 mai une décision remarquée sur le terrain du piratage sur Internet. L’institution déclare que les pouvoirs conférés à la Hadopi pour identifier les personnes qui partagent des œuvres sur Internet ne sont pas conformes à la Constitution.
Cela étant, cette décision ne signe pas l’arrêt de mort immédiat de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (le nom complet de la Hadopi) ni du mécanisme de la riposte graduée, qui fait la chasse aux pirates. Les Sages de la rue de Valois, là où siège le Conseil constitutionnel, considèrent que « l’abrogation immédiate » des dispositions litigieuses causerait « des conséquences manifestement excessives ».
En conséquence, leur suppression est reportée au 31 décembre 2020, dans un peu plus de sept mois. Cet effet différé offre au gouvernement un délai bien suffisant pour qu’il prenne les dispositions juridiques afin de combler les failles juridiques à travers lesquelles se sont faufilées les associations à l’origine de cette action (La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.Net et la Fédération des fournisseurs d’accès à internet associatifs).
Selon toute vraisemblance, la Hadopi continuera à exister au-delà du 31 décembre 2020.
Ce qui pose problème au Conseil constitutionnel
Dans le détail, ce que demande essentiellement le Conseil constitutionnel, c’est que les données que la Hadopi a le droit de traiter dans le cadre de la riposte graduée soient définies précisément par le législateur. Dans leur décision, les Sages sabrent l’emploi du mot « notamment » de l’article L331-21 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi que ses troisième et quatrième alinéas, qui offraient un accès open bar à l’autorité administrative en charge de la riposte graduée.
Cet accès open bar autorisaient les agents à « obtenir tous documents, quel qu’en soit le support y compris les données conservées et traitées » par les fournisseurs d’accès à Internet et certains prestataires « pour les nécessités de la procédure ». Excessif aux yeux du Conseil constitutionnel. Si la demande d’une identification d’un internaute suspecté de pirater est toujours possible auprès d’un FAI, afin d’adresser au propriétaire de la ligne un premier avertissement, celle-ci doit être bornée à l’essentiel.
Dans son communiqué, le Conseil constitutionnel explique que le « législateur n’a ni limité le champ d’exercice » du droit de communication au profit des agents de la Hadopi sur des informations d’identification de l’abonné, qui est requis pour la bonne marche du dispositif et pour « l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle », « ni garanti » que les documents concernés par ce droit « présentent un lien direct » avec avec le défaut de sécurisation de son accès à Internet.
Il faut savoir que ce n’est pas le piratage en tant que tel qui est sanctionné dans le mécanisme de la riposte graduée, mais le fait de ne pas avoir cherché à l’empêcher. C’est ce que dit l’article L336-3 du Code de la propriété intellectuelle : la personne titulaire d’un accès à Internet a l’obligation de veiller à ce que sa ligne ne fasse pas l’objet d’une utilisation illicite. En clair, elle ne doit pas servir à pirater.
Le Conseil constitutionnel relève que ce droit de communication peut aussi « s’exercer sur toutes les données de connexion détenues par les opérateurs de communication électronique ». Or vu leur nature et les traitements dont elles peuvent faire l’objet, ces données sont « particulièrement attentatoires à leur vie privée », car elles livrent sur les personnes mises en cause des informations nombreuses et précises. En outre, « elles ne présentent pas non plus nécessairement toutes de lien direct » avec l’obligation de bien sécuriser son accès à Internet.
Ce n’est pas la première fois que le Conseil constitutionnel épingle la Hadopi.
En 2009, la première loi Hadopi a aussi été déclarée partiellement non conforme à la Constitution dans un arrêt devenu célèbre qui s’attaquait à son volet répressif. Il a alors fait de l’accès à Internet une composante de la liberté d’expression que seul un juge judiciaire peut restreindre, car lui seul peut porter légalement atteinte aux libertés individuelles. À la suite de cette décision, une nouvelle loi, Hadopi 2, fut votée.
Un aboutissement après dix ans de lutte
Malgré tout, le verdict rendu le 19 mai a rendu euphorique la Quadrature du Net : « Nous venons de gagner contre la Hadopi devant le Conseil constitutionnel ! L’essentiel de ses pouvoirs est déclaré contraire à la Constitution et prendra fin d’ici la fin de l’année » — ce qui est toutefois loin d’être certain. Elle ajoute, dans un communiqué, « qu’il s’agit de l’aboutissement de 10 ans de lutte ».
Ironie de la situation, la Quadrature du Net est née au printemps 2008, en réaction aux accords Olivennes, du nom de Denis Olivennes, alors PDG de la Fnac, plus tard renommés en accords de l’Élysée, qui ont précédé la loi Création et Internet (Hadopi 1). Et aujourd’hui, c’est cette association qui s’est retrouvée à la manoeuvre pour porter un coup fatal à la Hadopi, via une question prioritaire de constitutionnalité.
L’association, si elle savoure sa victoire, regrette toutefois le temps perdu. « Si nous avons été nombreux à nous moquer, avant son adoption, de l’inutilité de la Hadopi, il ne faut pas minimiser la nocivité qu’aura eu son action en 10 années », déplore-t-elle. « Elle aura vivement dissuadé la population de recourir à la pratique vertueuse, libre et décentralisée qu’est le partage d’œuvres de pair à pair ».
Ainsi, à cause de la menace d’une suspension de l’accès à Internet puis d’une amende, les internautes ont fini par se détourner du P2P pour se rendre sur des plateformes pour continuer à échanger des contenus. « Cette centralisation aura surtout permis à ces méga-plateformes d’imposer leurs conditions aux artistes. Au final, à part ces plateformes, tout le monde aura perdu au change ».
Une Hadopi toujours opérationnelle
En tout état de cause, la censure partielle du Conseil constitutionnel ne remet pas en cause fondamentalement la Hadopi. D’abord parce que l’effet de sa décision est différé à la fin de l’année 2020, laissant au gouvernement un large délai pour apporter les retouches juridiques qu’il jugera nécessaires. Ensuite, parce que sa décision restreint l’accès aux données, sans couper complètement le robinet.
Plus généralement, la lutte contre le piratage sur Internet demeure une priorité intangible des gouvernements, y compris de l’actuel. Certes, la Hadopi en tant qu’institution va être amenée à disparaître, mais ses missions seront reprises dans la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui résultera de la fusion entre la Hadopi et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Cette fusion sera d’ailleurs l’occasion de faire évoluer les pouvoirs de la Hadopi, et donc de l’Arcom, afin de s’adapter aux nouveaux modes de consommation des internautes. La Hadopi ne peut aujourd’hui intervenir que sur les réseaux pair à pair (P2P). Avec l’Arcom, il s’agit de lui donner des outils pour agir sur les sites de streaming et de téléchargement direct, y compris les sites miroirs, ainsi que sur leur financement.
Le ministre de la Culture, Franck Riester, l’a rappelé début mars : « Maintenir la réponse graduée, oui : c’est un dispositif […] qui permet de faire de la prévention, ce qui permet de dire aux internautes : attention, en allant sur des sites illégaux vous spoliez la création, vous ne financez pas la création, ou le cas échéant les sportifs ou les fédérations sportives, et il existe des sites aujourd’hui de plus en plus nombreux d’offres légales. »
Les pirates sont prévenus.
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