L’Assemblée nationale débat ce 27 mai 2020 de l’application StopCovid, un outil numérique qui est censé permettre, en utilisant la liaison Bluetooth des smartphones, de tracer le chemin d’une possible infection liée au coronavirus à travers les citoyens français.
Numerama suit depuis le début les interrogations, doutes et analyses autour des applications de contact tracing : nous avons soulevé les différents problèmes qui pourraient se poser en termes de technologie et de dérives, analysé les différences entre les choix de système, centralisé ou décentralisé, entre Apple-Google et le choix de la France, soulevé l’imprécision de la technologie Bluetooth, partagé les recommandations de l’Europe, la validation modérée de la CNIL et les propositions du CNNum, abordé les risques de consentement indirectement contraint, rapporté les hésitations, dérives et abandons observés à l’étranger.
Mais un cas n’avait pas encore été abordé : le cas idéal, sur lequel se basent le gouvernement et le secrétariat d’État au Numérique pour justifier l’ajout de cette « brique » technologique, par-dessus le dispositif de traçage humain qui existe déjà.
En reprenant toutes les informations données par le gouvernement depuis mars jusqu’au 27 mai, la documentation officielle, les interviews et allocutions du secrétaire d’État au numérique Cédric O, voici dans quelles circonstances StopCovid pourra remplir sa fonction, c’est-à-dire permettre d’alerter un individu qui a potentiellement été infecté mais qui ne présente pas encore les signes de la maladie et qui n’aurait pas été prévenu par d’autres manières.
Dans quel cas l’app StopCovid sera-t-elle efficace ?
Pour que l’application soit efficace et permette l’isolement d’une personne qui ne se sait pas encore malade, il faut :
- Que les deux personnes aient un smartphone (77 % de la population française, 62 % pour les plus de 60 ans) ;
- Que les deux personnes aient connaissance de l’existence de l’application et souhaitent s’en servir ;
- Que les deux personnes aient téléchargé l’application ;
- Qu’elles se soient rencontrées en ayant l’app active (Cédric O affirme que l’app fonctionnerait bien sur iPhone, mais on ne sait toujours pas s’il faudra que le smartphone reste en permanence allumé et ouvert sur l’application) ;
- Qu’elles soient restées en contact « à moins d’un mètre » et « pendant plus de 15 minutes » ;
- Que la technologie Bluetooth fonctionne (elle serait efficace à 75-80 %) ;
- Que la personne malade ait pris rendez-vous pour faire un test PCR de recherche du virus, attendu 24h ou 48h pour les résultats, et que le test se révèle positif ;
- Que le test PCR n’ait pas été un faux négatif ;
- Qu’elle se déclare ensuite comme malade à son médecin ;
- Qu’elle ait l’autorisation de se déclarer malade dans l’app StopCovid via l’obtention d’un QR code ;
Une fois tous ces prérequis remplis, la deuxième personne reçoit une alerte. Elle devra ensuite, pour que l’app ait une chance d’avoir été utile, se confiner automatiquement, sans poser de questions, et prendre elle aussi un rendez-vous pour un test, puis attendre ses résultats. Si son test est négatif, elle pourra en principe ressortir de chez elle — en espérant qu’il ne s’agisse pas d’un faux négatif.
Il convient de noter que cet exemple se base sur le fait que seule une personne dont le test PCR est revenu positif au Covid-19 peut envoyer une alerte via StopCovid : c’est ce qu’il est inscrit dans les visuels de l’app fournis par le gouvernement avant son lancement, et ce qu’a confirmé Cédric O devant une commission du Sénat le 27 mai.
Le meilleur scénario
Le descriptif ci dessus est donc le cas idéal dans lequel l’application StopCovid vient apporter une solution à un problème que les enquêtes épidémiologiques classiques, par téléphone ou sur le terrain, ne peuvent pas résoudre (par exemple, contacter un inconnu que vous avez croisé dans le métro). Il est possible, si l’adoption de l’app est significative, que plusieurs malades potentiels puissent être détectés grâce à cet outil numérique. Mais on voit aussi, au vu du nombre de « si », que le cas où la technologie sera vraiment efficace a une probabilité extrêmement faible de se matérialiser.
D’autant plus que pour notre exemple, qui choisit volontairement de s’intéresser aux cas où StopCovid sera efficace, nous n’avons pas pris en compte les autres limites et risques technologiques possibles (panne de l’application, surcharge des serveurs, brouillage du signal Bluetooth, etc). Cet exemple est en fait le meilleur scénario possible.
Cédric O a toujours martelé que si l’application servait à sauver ne serait-ce qu’une vie, alors elle serait jugée utile. C’est notamment cet argument qui permet de nuancer une étude d’Oxford, souvent mal comprise par les observateurs, qui avançait qu’il fallait une adhésion par 60 % des Français pour que l’app soit considérée « utile » : or ce pourcentage ne considère que l’utilisation d’une application pour endiguer la pandémie, ce qui n’a jamais été au programme, dans aucun pays d’ailleurs, puisque d’autres mesures sont mises en œuvre : gestes barrières, isolement, confinement, traçage humain.
Le vote à l’Assemblée nationale n’est techniquement pas contraignant (il s’agit d’un vote symbolique qui n’engage pas la responsabilité du gouvernement), mais, par surprise ce 27 mai au matin, Cédric O a annoncé sur Europe 1 que « si l’Assemblée nationale rejette StopCovid, ‘nous ne la déploierons pas’ », ce qui ouvre pour la première fois la possibilité que StopCovid ne soit jamais soumis aux Français. Au vu de la majorité dont dispose le parti gouvernemental, il est toutefois possible que l’Assemblée rejette la proposition.
Dans toutes les manières, en temps voulu, il conviendra de s’interroger sur l’ampleur des moyens financiers, économiques, humains, et le temps politique et médiatique qui ont été dépensés depuis deux mois pour la mise en œuvre de ce projet.
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