Le 27 mai, lors d’une audition autour de StopCovid, le président de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon s’est opposé à l’utilisation de l’app avec des arguments pour le moins surprenants.
Dans une tirade qui a évoqué pêle-mêle que le Bluetooth finirait par communiquer avec un serveur central pour géolocaliser les Français ou que StopCovid était le chemin vers une application qui enverrait en prison les citoyens avant qu’ils aient commis un crime, monsieur Mélenchon a lancé : « Je profite de ma place à cette tribune pour dire à ceux qui m’auraient dans leurs contacts et qui souhaitent installer l’application #StopCovid de me retirer de leurs contacts. »
Une citation qu’il a publiée entièrement sur Twitter et qui fait écho à une fausse information tournant sur les réseaux sociaux, détaillée par CheckNews, qui associerait l’utilisation de StopCovid au carnet de contact numérique d’un utilisateur. Sur le tweet de Jean-Luc Mélenchon, on ne trouve pas de lien nous invitant à cliquer sur l’article de nos confrères de Libération pour contextualiser cette saillie et dissiper le doute autour du fonctionnement de StopCovid.
Pourtant, quand Donald Trump a émis l’idée pouvant prêter à confusion que le vote par correspondance entraînait des fraudes, car des citoyens non inscrits allaient voter, Twitter a collé à son intervention un élément de contexte, renvoyant vers des données fiables sur le sujet. Ce qui a déclenché la colère de l’intéressé, qui a émis l’idée de fermer les réseaux sociaux et se prépare à signer un décret mystérieux à leur sujet.
Que peuvent faire les plateformes contre le mensonge politique ?
Pour le fondateur de Twitter, Jack Dorsey, c’est un moment fort dans l’histoire de son réseau social. Longtemps laxiste sur la question des fausses informations, chères à Donald Trump puisqu’elles ont facilité son élection, Twitter a pris la décision de contextualiser le discours public d’une personnalité politique. « Nous continuerons à contextualiser des informations incorrectes ou débattues sur les élections », a lancé Jack Dorsey en réponse à la polémique. Avant de compléter, sur un ton plus conciliant : « Les tweets d’hier pouvaient laisser penser les votants qu’ils n’avaient pas besoin de s’enregistrer pour recevoir un bulletin ».
Prudent, Dorsey estime qu’il a protégé des votants d’une erreur induite par les tweets de Trump. Trump, de son côté, a pris la contextualisation sur le fond de son intervention, qui était d’affirmer (à tort) que le vote par correspondance entraînait de la fraude électorale. Et d’enchaîner sur un discours autour de la censure des idées conservatrices.
Mais ce qui semble être un combat pour la vérité est en fait un problème bien plus complexe dans lequel Twitter n’aurait peut-être pas souhaité s’engager : celui de la modération du mensonge et des degrés de fausse information utilisés par les personnalités politiques. Car si l’on admet que le tweet de Trump mérite une contextualisation, alors le tweet de Jean-Luc Mélenchon aussi.
Et ces deux exemples ne sont que des gouttes d’eau dans l’océan du discours politique : il était aisé, pendant l’audience sur StopCovid, de repérer les moments où Cédric O a été volontairement flou ou a menti par omission afin de défendre son projet. Par exemple, sur la sécurité avancée d’un système centralisé par rapport à un système décentralisé ou sur l’utilisation d’un captcha de Google alors même que le projet n’a jamais été plus attaché à un concept qu’à celui de souveraineté. Autant de déclarations qui, si elles apparaissaient sur Twitter, devraient être contextualisées avec des faits issus des médias ou des experts.
En clair, corriger un seul mensonge en politique n’est pas possible. Si Twitter l’a fait et maintient sa position, on attendra du réseau social qu’il systématise démarche, sur chaque sujet et pour chaque prise de parole politique. Et même en faisant cela, il se confrontera à d’autres problèmes : quelle fausse vérité mérite une contextualisation ? Qui décide du poids social d’un débat et donc des mensonges qui lui sont liés ? Va-t-on contextualiser des informations sur le système démocratique, comme les élections, mais éviter des sujets moins fondamentaux, comme le débat sur une application mobile ? Et à quel degré considère-t-on que la désinformation politique est trompeuse ? À quel degré relève-t-elle de l’idéologie ? Bref, des questions que Twitter ne veut pas avoir à se poser, car aucune réponse n’est bonne.
C’est ce qui oppose le réseau social à la position de Mark Zuckerberg sur Facebook : « Je pense que Facebook ne doit pas être l’arbitre de la vérité sur ce que les gens disent en ligne. En général, je ne pense pas qu’une entreprise privée, surtout si elle est une plateforme, doit dire ce qui est vrai ou pas », affirme-t-il, avant d’ajouter dans cette interview à Fox News que le réseau social ne « touche pas » au discours politique.
Un parti-pris qui n’est pas dénué de critique non plus : un des sujets qui a émergé après le Brexit et l’élection de Donald Trump est la participation du réseau social à un climat de désinformation qui aurait eu une influence sur les résultats. La vérité y était moins visible que le mensonge et en cela, Facebook a aussi une responsabilité. Mais en tenant cette ligne, Zuckerberg reste dans une position confortable et plus socialement acceptable : ce n’est pas son entreprise qui doit trier dans la parole politique. Aux médias, experts et autres fact-checkers, très largement amplifiés par Facebook désormais, de faire ce travail de contextualisation.
Peut-être enfin que l’implication des réseaux sociaux sur ces questions est une discussion marginale qui masque un problème de fond : pourquoi la fausse information est-elle si consubstantielle du discours politique ? À ce problème, ni Mark Zuckerberg ni Jack Dorsey n’auront de solution.
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