Le Conseil national du numérique a rendu public le 1er juillet son rapport sur le travail à l’ère des plateformes. Remis au gouvernement, il comporte 15 recommandations sur la rémunération, les conditions de travail, le dialogue social, les statuts ou la dissimulation. Mais l’une d’elles retient particulièrement l’attention : la mise en place d’un DigiScore pour évaluer publiquement les plateformes de travail en ligne.
Qu’est-ce que le DigiScore ?
Le DigiScore serait l’équivalent du NutriScore, mais appliqué à l’environnement numérique. Plus précisément, il servirait à noter les plateformes en ligne qui sont au contact du public et qui emploient des intermédiaires : des chauffeurs ou des livreurs par exemple. Le DigiScore se présenterait sous la forme d’une jauge, avec des notes allant de A (la meilleure) à E (la pire) et un code couleur du vert au rouge.
Quatre critères principaux seraient retenus :
- La rémunération et le temps de travail ;
- La santé et la sécurité au travail ;
- Les relations avec les travailleurs et le dialogue social ;
- L’éthique numérique : la protection des données, la loyauté et la transparence des algorithmes, l’accessibilité, les designs éthiques.
Ces critères nécessiteront des travaux préalables pour déterminer comment évaluer telle ou telle plateforme. Par ailleurs, des critères bonus pourraient être pris en compte, s’ils sont pertinents, comme les critères environnementaux ou l’impact social (une contribution à l’insertion professionnelle). Le poids de chaque critère dans la note finale reste aussi à déterminer.
Le DigiScore a vocation à être obligatoire et visible sur l’ensemble des supports auxquels sont confrontés les utilisateurs, même si ses débuts pourraient être plus modestes. Si cet étiquetage est rejeté par la plateforme, il serait toujours possible de l’afficher autre part, par exemple sur un portail dédié — cependant, sa visibilité par le public serait bien moindre et, donc, moins efficace.
Pourquoi créer un DigiScore ?
Parce qu’il y a urgence. « Il y a des sujets sur lesquels la latence n’est pas acceptable. La fragilisation actuelle du corps social impose des mesures immédiates, articulées autour de la responsabilisation des comportements de l’ensemble des acteurs », écrit le Conseil dans son rapport, qui comporte en tout 15 recommandations, qui ont été remises le 1er juillet à Cédric O, secrétaire d’État au numérique.
Si le Conseil national du numérique admet que ces plateformes sont non seulement de « formidables sources d’emploi » et imaginent « des services innovants pour leurs clients », le fait est que leur fonctionnement demeure « opaque » sur les conditions d’emploi de leurs « collaborateurs » — dont le statut de travailleur indépendant est d’ailleurs, dans certains cas, fictif, comme l’a dit la Cour de cassation dans le cas des chauffeurs Uber.
Pour le Conseil national du numérique, ce DigiScore va « outiller les consommateurs » et contribuer à « l’éveil de consciences encore trop peu informées ». Il balaiera « efficacement la croyance naïve en une main invisible capable d’auto‑réguler le secteur ». Pour le CNNum, il est indispensable de faire ce travail de sensibilisation, car l’essor des plateformes ne doit pas se faire au détriment du modèle social français.
Qui serait visé par le DigiScore ?
En principe, toutes les plateformes en ligne de travail. On pense évidemment aux leaders de l’ubérisation, à commencer par Uber (pour le transport), Deliveroo (pour l’alimentaire) et leurs principaux rivaux, de Heetch à Lyft, en passant par Chauffeurs Privés ou Kapten. En revanche, cela exclut les plateformes de partage, comme Airbnb (logement) et BlaBlaCar (covoiturage), et les coopératives électroniques, comme La Ruche qui dit Oui.
Dans son rapport, le CNNum relève quatre catégories de plateformes en ligne de travail, en reprenant les travaux de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES). Ces plateformes sont « susceptibles de soulever le plus d’enjeux de réglementation publique » et partagent des caractéristiques communes.
Ces catégories sont :
- « les opérateurs de services organisés qui organisent la prestation de services standardisés par des professionnels, comme Uber pour le transport de personnes ;
- les plateformes de jobbing qui proposent des services à domicile pour les particuliers, par exemple ManoMano pour le bricolage ;
- les plateformes de freelance qui apparient offres et demandes de prestations de services non standardisés, comme Malt ;
- les plateformes de microtravail qui mettent en relation une offre et une demande de microtâches dématérialisées, les deux parties étant souvent localisées dans des pays différents. L’entreprise dominante sur ce marché est Amazon Mechanical Turk (AMT) ».
Qui serait en charge du DigiScore ?
La conception du DigiScore serait confiée à un observatoire social des plateformes, qui rassemblerait diverses administrations afin de les mieux connaître. Quant au contrôle, il serait confié à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Celle-ci devrait vérifier « l’exactitude des déclarations éthiques obligatoires et de sanction en cas de score inexact ».
Le public et les personnes travaillant pour ces plateformes pourraient aussi contribuer de façon indirecte à cette régulation. Le Conseil national du numérique propose que l’on ait la possibilité de signaler simplement les comportements contraires aux déclarations de telle ou telle plateforme sur SignalConso, un portail opéré par la DGCCRF et qui est déjà actif sur d’autres thématiques liées à la consommation.
Quel calendrier pour le DigiScore ?
Le Conseil national du numérique souhaite une mise en place du dispositif à un horizon relativement proche. Ainsi, l’instance propose comme échéance janvier 2021, avec juste avant une mission de préfiguration de trois mois conduite par l’observatoire social des plateformes — une nouvelle structure qui réunirait diverses administrations, de Pôle Emploi à l’Urssaf, en passant par l’inspection du travail et la DGE.
Pendant les trois mois de travaux préparatoires, l’observatoire aurait pour tâche de cadrer la mise en place du DigiScore, en particulier les modalités d’évaluation des critères et sur la manière de l’afficher afin de le rendre visible par le public : sur les boutiques d’applications ? Sur les pages d’accueil des entreprises concernées ? Le CNNum souhaite que cette étape se déroule en lien avec les partenaires sociaux.
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