Fatigué de voir les Vélib utilisés par les livreurs en heure de pointe, l’opérateur du réseau vélos partagés Vélib’ a décidé de sévir et de changer ses conditions d’utilisation. Pourtant, peu de choses risquent de changer.

« Ce type de comportement est en augmentation ces dernières semaines », explique-t-on à la direction de Smovengo. Ce type de comportement, c’est l’utilisation de Vélib’ par les livreurs, reconnaissables de loin à leurs gros sacs à dos et à leurs couleurs criardes, vert pour UberEats, bleu pour Deliveroo, jaune pour Frichti…  L’opérateur du réseau de vélos partagés explique même qu’en heure de pointe, entre 18 h et 20 h, près de 15 % des trajets seraient effectués par des « livreurs de bouche », selon l’expression consacrée.

Au point que les conditions d’utilisations viennent d’être changées, afin de limiter les « utilisations abusives » des vélos. « Vélib’ est un service public qui repose sur le partage des vélos et sur des locations de courte durée à des fins strictement personnelles », rappelle la direction de Smovengo. « Les comportements observés chez certaines personnes, des livreurs notamment, qui privatisent les vélos pendant plusieurs heures et à des fins commerciales, sont par conséquent des usagers abusifs qui vont à l’encontre de l’esprit de Vélib’ et nuisent à la qualité du service ».

Les changements ont été annoncés aux usagers par mail, révélait le journal Le Parisien le 9 juillet 2020. Dorénavant, une fois un vélo rendu, il faudra attendre entre 3 et 5 minutes avant d’en réemprunter un. La première demi-heure de trajet étant gratuite, de nombreux utilisateurs rangent leur vélo avant que le temps imparti ne s’achève, afin de ne pas avoir à payer de supplément, et repartent juste après. Cette technique, bien connue, n’est pas utilisée que par les livreurs. C’est cependant eux que les changements visent. Et eux qui, déjà ultra-précaires, seront le plus touchés.

« C’est trop cher de s’acheter un vélo »

« Les clients normaux abusent de ce système aussi, mais on fait porter le chapeau aux livreurs », clame Jérôme Pimot, porte-parole du CLAP, le Collectif de Livreurs Autonomes de Paris. L’origine du problème n’est pour lui pas à chercher du côté des livreurs, mais des plateformes qui les emploient. « Les Vélib’ sont massivement utilisés par des livreurs Frichti, qui sont pour la plupart dans des situations très précaires », rappelle-t-il.

Ces derniers temps, Jérôme a passé beaucoup de temps à les soutenir lors de leurs manifestations. « Ce sont des sans-papiers qui sont payés une misère, c’est trop cher pour eux de s’acheter un vélo ». Il faut dire que l’abonnement Vélib’, à 8,30 euros par mois et avec la gratuité à moins de 30 minutes, est imbattable niveau prix. « Ce n’est absolument pas intéressant pour eux d’investir dans un vélo, entre le prix, les risques de vol et les problèmes d’entretien », résume Jérôme Pimot.

Il critique également la volte-face de Smovengo, qui, pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19, a profité de l’utilisation des vélos par les livreurs. « Maintenant, ils ne sont pas contents, mais il y a quelques mois, à part nous, personne ne roulait sur leurs vélos ». Surtout que pour Jérôme, les chiffres ne justifient pas ce changement. « À Paris, on est 600 livreurs, pas plus, et la moitié d’entre nous avons nos propres vélos. Donc, au maximum, 300 livreurs utiliseraient les Vélib’, c’est vraiment une minorité ».

Un nombre qui, au vu des 13 000 Vélib disponibles à Paris, « ne devrait pas poser de problème ».

Livreur UberEats // Source : Shopblocks

Livreur UberEats

Source : Shopblocks

« La grande majorité va rester en Vélib’ »

Pour ce qui est des 3 minutes d’attentes supplémentaires entre chaque emprunt de vélo, « ça ne va pas changer grand-chose pour les livreurs », estime Jérôme. « Ce n’est même pas le temps de fumer une clope », plaisante-t-il. « Certains vont s’acheter des vélos, mais la grande majorité va continuer en Vélib’ ».

Il faut dire qu’en dehors des vélos d’occasion premiers prix (« ils se cassent super vite »), les tarifs restent prohibitifs pour un grand nombre de livreurs. Deliveroo, que nous avons contacté, nous a assuré « encourager ses livreurs à disposer de leur propre véhicule », notamment grâce à un partenariat avec Vely Vélo, qui propose des locations de vélos aux professionnels. Mais voilà, pour une semaine, la location d’un vélo électrique coûte, avec le tarif préférentiel de Deliveroo, 52 euros. Donc plus de 200 € pour un mois, contre moins de 10 en Vélib’. Même constatation chez Uber Eats, qui a rappelé à ses livreurs qu’il « ne leur était pas possible d’utiliser les Vélib’ pour effectuer leurs livraisons », mais qu’ils pouvaient acquérir un vélo à assistance électrique au « tarif préférentiel de 990 € à la place de 1 650 €, payable en 3 fois sans frais » et auquel peut s’ajouter une subvention de la part de la mairie de Paris. Contactés comme leurs homologues étrangers, les Français de Frichti n’ont pas répondu à nos questions sur les aides accordés à leurs livreurs.

Mais même avec ces aides, les livreurs ne peuvent pas toujours se permettre d’avancer autant d’argent. Si le site de référence Les Coursiers Français estime qu’en un mois, un coursier Uber Eats peut toucher jusqu’à 1 895,25 euros net, la réalité est souvent autre. C’est notamment le cas pour les livreurs de Frichti, dont une grande partie est des travailleurs sans papiers. Lors d’une manifestation organisée le 8 juin devant les locaux parisiens de l’entreprise pour demander la régulation des livreurs, deux d’entre eux, interviewés par Le Monde, évoquaient leurs salaires. 801 euros pour les deux dernières semaines du mois de mai pour l’un, 625 euros pour l’autre. Des sommes qui permettent à peine de vivre et de se loger en région parisienne.

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