C’est un mois de changements pour Ubisoft. Près de quinze jours après les enquêtes de Numerama et Libération sur le harcèlement sexiste et sexuel systémique au sein de l’entreprise et une semaine après l’annonce de la démission de Serge Hascoët, le PDG Yves Guillemot a, pour la première fois, abordé le sujet longuement et à titre personnel, le 21 juillet 2020.
Dans une vidéo interne diffusée au plus de 18 000 employés à travers le monde, Yves Guillemot a commencé par annoncer qu’il était « véritablement désolé », et qu’il tenait à remercier les personnes ayant « partagé leurs histoires ». C’est la première fois que le PDG s’excuse publiquement depuis l’éruption de l’affaire. Il avait d’ailleurs soigneusement évité le sujet lors de la conférence Ubisoft Forward, alors que la démission de Serge Hascoët avait été annoncée seulement quelques heures avant — justifiant notamment que la conférence avait été pré-enregistrée.
La vidéo, réservée aux employés d’Ubisoft, n’a pas été partagée sur les réseaux sociaux. Numerama a néanmoins pu avoir accès à son contenu, de plusieurs sources.
Des stages et plus de moyens pour les RH
La vidéo ne s’arrête pas aux excuses. Pendant 10 minutes, Yves Guillemot annonce une suite de mesures destinées à « changer Ubisoft pour le meilleur ». En plus des mesures d’ores et déjà annoncées, comme le recours à des cabinets de consultants extérieurs pour réaliser des enquêtes, la création d’un poste de « Head of Workplace Culture » et la mise en place d’un système d’alerte interne, l’entreprise souhaite désormais aller plus loin.
Un « Support and Recovery Center », destiné aux victimes de harcèlement, sera créé et permettra de les mettre en relation avec des psychologues spécialisés. Le centre sera géré par un « partenaire indépendant », est-il précisé, qui gère également la réception des messages des employés voulant témoigner de comportements problématiques. De plus, « tous les employés devront suivre des formations afin de prévenir le harcèlement et les discriminations », et les managers seront obligés de suivre des stages « intensifs ».
Autre point central du message d’Yves Guillemot : les services des ressources humaines. « Nous allons refondre entièrement le service des RH », a-t-il annoncé. « Nous avons des gens talentueux et extrêmement dévoués dans nos services. Je reconnais que par le passé, nous ne leur avons pas donné les moyens nécessaires pour répondre à certains problèmes. Nous allons mettre en place de nouveaux outils afin que les RH aient plus d’influence et soient plus indépendants ». Et, grande nouveauté, le personnel des ressources humaines aura même la possibilité de « contourner » leurs supérieurs directs afin d’aller parler directement au board des directeurs.
Améliorer le bien-être des employés et employées
Les réponses des RH aux problèmes de harcèlement et de sexisme seront aussi évaluées, prévient Yves Guillemot. « Nous avons engagé Accenture (un cabinet de consultants, ndlr) afin de réaliser un audit sur le sujet. Ils nous partageront leurs conclusions à la fin du mois de septembre ». Yves Guillemot a également appelé ses employés à remplir le questionnaire qui leur avait été envoyé il y a presque un mois, portant sur les abus subis au sein des bureaux. « Nous avons d’ores et déjà reçu plus de 9 000 réponses, mais nous avons besoin de plus », a-t-il annoncé. Les groupes de parole ont également démarré, et « plus d’une centaine de sessions sont prévues dans les semaines qui suivent, dans tous nos studios ».
Le questionnaire, dont nous avons pu voir des extraits, y va frontalement : les employées et employés peuvent par exemple dire s’ils ou elles ont été témoins ou victimes de commentaires sexistes, de harcèlement sexuel, ou d’agressions.
Une autre priorité du groupe concerne le bien-être au travail, et la lutte contre la « culture du crunch », propre à l’industrie du jeu vidéo. Le crunch (sur lequel le média Kotaku a beaucoup écrit) désigne la période de travail intense s’étalant parfois pendant plusieurs semaines avant un rendu important, forçant les employés à faire de longues heures de travail. Cette pratique est déjà combattue depuis plusieurs années par le Syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo.
« Nous allons continuer de nous améliorer et faire en sorte de mieux anticiper les différentes phases de production des jeux. Nous savons que les dernières semaines d’un projet peuvent parfois être douloureuses. C’est quelque chose que nous voulons à tout prix éviter. Notre but est d’arriver à réduire la pression et le stress, malheureusement si courants dans notre industrie ». Aucune solution n’a pour l’instant été avancée pour remédier à ce problème.
Priorité à la diversité
Enfin, c’est désormais le nouveau mot d’ordre de l’entreprise : la diversité. Yves Guillemot a insisté sur son intention de diversifier les futurs profils recrutés, particulièrement pour les vice-présidents et vice-présidentes. « Nous avons commencé les démarches pour recruter trois nouveaux VP. Les profils de personnes venant de groupes sous-représentés et venant de la diversité seront privilégiés », a-t-il précisé.
Le premier recrutement annoncé est celui d’une nouveau ou une nouvelle VP, chargée du fameux pôle Édito, fierté d’Ubisoft et centre des accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles. La fiche de poste précise que le ou la future VP sera en charge de « l’alignement avec la vision éditoriale du groupe », et demande, en plus d’avoir 15 ans d’expérience dans le milieu et de maîtriser l’anglais et le français, de savoir « faire preuve de bienveillance envers vos interlocuteurs ». « Nous acceptons les candidatures internes et externes », a précisé Yves Guillemot.
La future recrue ne remplacera cependant pas Serge Hascoët, l’ex-directeur créatif et ancien numéro 2 d’Ubisoft. L’offre d’emploi, mise en ligne sur le site Smart Recruiter, indique en effet que la personne recrutée sera « sous la responsabilité directe du Chief Creative Officer », un poste temporairement occupé par Yves Guillemot. Pour l’instant, aucune offre d’emploi pour un tel poste n’a été rendue publique.
« La route est encore longue, mais nous sommes sur la bonne voie », a conclu le PDG, « et nous sommes tous engagés ».
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