Les échanges de bons procédés ne sont pas rares sur le forum de Vinted. En parcourant l’espace de discussion de la plus célèbre des friperies en ligne, on se croirait revenu à l’âge d’or des Skyblogs, où les « coms » étaient rendus par dizaines pour accroître la crédibilité des blogs. « J’ai beaucoup d’articles donc je rends le nombre de vues que vous me faites », et autres « Et voilà, + 30 vues rendues » y fleurissent.
Si l’heure n’est plus aux échanges de « coms » mais aux échanges de vues, ces trocs sur le forum de la plateforme de vente de vêtements pourraient rappeler des souvenirs que beaucoup préféreraient oublier. Bien établie, cette mode digne des plus grandes heures de nos blogs d’adolescents est pourtant interdite par les règles du forum qui stipulent : « Les sujets « Je passe, passe » ainsi que les sujets « abonne-toi, je m’abonne » ne sont pas autorisés. » Une règle dont s’affranchit une partie de la communauté de Vinted qui nourrit un fol espoir : vendre davantage.
Concurrence déloyale
Les échanges de vues ne pullulent pas pour rien. Ils sont perçus comme utiles dans l’espoir de revendre robes et autres pulls non désirables. « Les vues sur les articles, cela permet de voir si l’article est plus ou moins apprécié », démystifie Delphine, utilisatrice de Vinted âgée de 22 ans. Dans cette course à la visibilité, tout est bon pour attirer le chaland, même les trocs de visibilité.
Contrairement à ce que semble indiquer leur présence envahissante, ces pratiques sont mal perçues par Vinted. La raison est simple : « Ce type de « pub » atténue la visibilité des autres posts », justifient les règles du forum. Ces vues fausseraient la concurrence en mettant en avant certaines publications plus que d’autres. Le problème pour Vinted ? Faire accroître la visibilité d’une publication est devenu depuis plusieurs années… payant. Comptez 1,95 euro pour mettre en avant un article pendant sept jours et 1,15 euro pour trois jours.
Depuis que ces boosts payants ont été lancés par Vinted, Anna*, inconditionnelle du site, doute de l’intérêt et de l’efficacité d’échanges version Skyblog. « Aujourd’hui, le seul moyen de venir en tête du catalogue est de booster des articles et de créer de nouvelles annonces. Ces échanges ne servent donc à rien », conclut Anna, lassée par cette mode.
« Nous avons été démises de nos fonctions »
Anna s’est beaucoup investie auprès de la plateforme en ligne et de son espace d’échanges. Elle a enfilé la cape de Vint’helpeuse, une équipe de choc chargée d’aider les « Vinties » depuis un chat. Mais elle a également été modératrice de ce forum gangrené par les échanges de vues. Longtemps, elle a filtré ces messages indésirables pour qu’il demeure un espace de discussion. Aujourd’hui, la friperie en ligne fait toutefois de moins en moins appel à sa communauté et les Vint’helpeuse, et les modératrices du forum ont disparu. « Nous avons été démises de nos fonctions. Ce que nous faisions était bénévole et cela ne convenait pas à la législation », nous raconte Delphine. Aux yeux d’anciennes utilisatrices, la fin de la gestion du forum par la communauté l’a condamné à cette « skybloguisation ». Dorénavant, Vinted modère en fonction des alertes lancées par ses membres, visiblement plus souples que les anciennes modératrices.
Non rémunéré, ce statut leur procurait pourtant un certain plaisir. « On faisait ça parce que l’on connaissait sur le bout des doigts le site, ça faisait passer le temps et on était ravies de pouvoir se sentir utile », poursuit Delphine. Cela permettait également d’obtenir plusieurs boosts d’articles chaque mois et de nouer des amitiés. « Grâce à mon travail de Vint’helpeuse, j’ai rencontré plusieurs filles. Nous avons organisé des vide-dressings avec Vinted et nous avons fait un bout de chemin ensemble. Aujourd’hui, ce petit groupe ne se sépare plus et nous assistons à chaque étape de nos vies ensemble ! », s’enthousiasme Anna.
Coming out et grossophie
Comme les Skyblogs, le forum Vinted est avant tout un espace de socialisation. Les liens noués au fil des ans ont été si forts que la communauté s’est même trouvé un nom : les fameuses « Vinties ». « Au sein de notre site, il ne s’agit pas seulement de vendre et d’acheter, mais d’un lieu dédié où les membres se sentent intégrés à une grande communauté », résume-t-on d’ailleurs chez Vinted, pour qui ce sentiment d’appartenance est mis en avant.
Si les échanges de « coms » lancés à tout va sur les Skyblog étaient l’apanage des adolescents ou des jeunes adultes, sur le forum de Vinted, les échanges de vues concernent un public plus âgé et plus féminin. « La communauté est très vaste. On y trouve maintenant des mamans comme des jeunes femmes », détaille Anna. À la différence de son lointain cousin, le public du forum de Vinted est presque exclusivement féminin. « À la base, Vinted était tout simplement fait pour le dressing féminin, le catalogue a évolué et au fur et à mesure a inclus les hommes et les enfants », décrypte Anna.
Le forum Vinted demeure encore un espace d’expression très fréquenté et très surprenant pour un site dédié à la vente de vêtements. « On peut y poster tout et n’importe quoi. Cela va de l’échange d’informations sur des vacances, de conseils pour jeunes mamans à la promotion de dressings ou encore la recherche d’articles en particulier », explique Anna, qui, en tant qu’ancienne modératrice, connaît très bien le forum. On s’y demande ainsi si J.K. Rowling, critiquée pour ses sorties transphobes sur Twitter, ne serait pas également grossophobe, vu le traitement qu’elle réserve aux Dursley « Perso, je n’ai jamais remarqué qu’il y avait des propos grossophobes. Bien que, si on y pense, ça peut être perçu de cette façon. Je ne pense pas qu’il y ait eu de véritables mauvaises intentions de la part de l’autrice », tranche par exemple une internaute.
La grande force de ce forum réside dans la possibilité de pouvoir publier des messages anonymement. Quand une utilisatrice a besoin d’un conseil sur un sujet délicat, elle peut choisir de masquer son profil. « On peut y poster ses soucis personnels et les anonymiser pour ceux et celles qui ne souhaitent pas se montrer », explique Anna. Cet anonymat permet de se libérer de la contrainte de profils Vinted reconnaissables, car souvent accompagnés d’une photo.
De nombreuses utilisatrices de la friperie en ligne n’hésitent donc pas à chercher un peu d’aide sur le forum avec une identité masquée. Alors certaines se lancent, comme cette femme qui cherche du soutien auprès de la communauté Vinted pour faire son coming-out auprès d’une mère « limite homophobe ». Pour beaucoup, ce forum apporte un peu de réconfort en regroupant « un groupe de copines qui parle de tout et de rien », comme le résume Delphine.
C’était mieux avant ?
Anna, Delphine et de nombreuses anciennes utilisatrices se remémorent avec mélancolie le bon temps, pas si lointain, où leur forum n’était pas noyé par des messages inutiles. Il ne servait alors qu’à entamer des discussions. « J’éprouve de la nostalgie en y repensant, car c’était vraiment une communauté. Maintenant, on voit surtout des sujets à propos des ventes, des promos et des recherches d’articles », se désespère Delphine, pour qui les échanges de vues version Skyblog sont nuisibles.
Vinted se défend en arguant que les évolutions que connaît le forum sont tout simplement à l’image des utilisateurs et utilisatrices : « Comme la communauté se développe très rapidement, nous pensons qu’il est naturel que les sujets discutés au sein du forum changent et évoluent également de temps en temps en fonction de l’évolution des membres. » Vinted est en plein boom et sa communauté s’agrandit sans cesse. Cette expansion n’a pas empêché l’entreprise lituanienne de passer par une zone de turbulence ces derniers mois. La plateforme en ligne a dû fermer ses portes un temps à cause de la crise sanitaire liée au coronavirus. « Dans l’intervalle, nous nous sommes préparés techniquement à améliorer la sécurité des échanges pendant la fermeture : livraisons échelonnées, expédition sans contact, réservations, allongement des délais d’expédition … », répond Vinted. Cela n’a pas empêché la firme d’être vertement critiquée par certains pour avoir rouvert ses portes en avril alors que les mesures de confinement obligeaient la population à limiter ses déplacements, et que l’achat et la livraison de produits vestimentaires étaient déconseillés.
Des difficultés qui n’ont pas empêché l’irrésistible ascension de la Licorne : le nombre de membres sur la plateforme a progressé depuis le début d’année, passant de 11 millions à 12 millions à la fin mai 2020.
Si le nombre d’inscrits continue de grimper, le manque de modération éloigne les vieux de la vieille du forum. Déçue, Anna concède ne même plus s’y rendre. « J’ai moins de temps à y consacrer, mais c’est aussi parce que je ne supporte plus de voir des commentaires déplacés, voire haineux, non modérés. » Delphine et Anna partagent bien plus qu’une même déception. Elles ont toutes les deux fait partie du « Vinted club ». Comme beaucoup de fonctionnalités du site, ce label permettant de reconnaître les vendeuses les plus assidues n’existe plus. Vestige d’une époque où des Vinties géraient les Vinties. Delphine et Anna gardent tout de même fièrement leur badge « Vinted Club » affiché à côté de leur pseudo. Tout un symbole : elles ont connu le « Vinted d’avant ».
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