Début juin, une cohorte de Sims, ces personnages virtuels issus du célèbre jeu de simulation de vie, a défilé en soutien au mouvement Black Lives Matter. Une vague de captures d’écran, regroupées sous le hashtag #BLMSimsRally, a déferlé sur les réseaux sociaux, représentant ces avatars arborant t-shirts et pancartes contre le racisme et les violences policières.
À l’origine de ce mouvement, une communauté de joueurs : les « Black Simmer » (un « simmer » est un adepte des Sims), des passionnés de customisation. La version PC des Sims permet aux utilisateurs d’implémenter toutes sortes de contenus (appelés « mods ») n’existant pas dans le jeu d’origine : coiffures, vêtements, maquillages, accessoires pour la maison, mais aussi traits de caractère, carrières, etc. Si le modding est une pratique très largement répandue dans le jeu vidéo (Half-Life, GTA V, DBZ Budokai Tenkaichi 3), les « Black Simmers » sont particuliers. Ils modifient Les Sims afin d’inclure des éléments spécifiques aux cultures noires.
C’est loin d’être un détail. La franchise, lancée en 2000 par le studio américain Maxis, a bâti son énorme succès (plus de 200 millions de « simmers » actifs en 2017, selon l’un des producteurs du jeu) sur une promesse : faire du joueur un démiurge qui façonne l’univers à son image. Pourtant, le jeu d’origine n’offre que peu de choix à ceux qui voudraient créer des Sims avec des peaux foncées ou des cheveux texturés. Le modding permet donc aux joueurs d’insérer des marqueurs culturels importants pour eux : des dreadlocks, foulard pour cheveux, et même des tenues de carnaval. Bref, plus qu’une fonction-gadget, cette personnalisation devient un outil d’inclusivité.
Twerk et entraide
Le forum historique de la communauté, fondé en 2016 par la streameuse afro-américaine Mira Virgil, compte plus de 150.000 membres de toutes nationalités, sans oublier une galaxie de youtubeurs et de streamers. Sur le groupe Facebook, hyperactif, on trouve de tout : mèmes, conseils techniques, liens de téléchargement, Sims inspirés de séries connues… et même des Sims qui twerkent. La seule autre communauté similaire, c’était sur Second Life, jeu d’univers virtuel sorti en 2003. Mais celui-ci est en fort déclin depuis quelques années.
« La première chose que j’ai téléchargée, ce sont des types de peaux, de cheveux, et des silhouettes », se souvient Stephanie, 26 ans, créatrice de la chaîne YouTube Nne Saga. Britannique d’origine nigériane, cette simmeuse de la première heure s’était un peu lassée de la franchise. C’est en découvrant le travail des moddeurs sur YouTube qu’elle a connu un regain d’intérêt. « En tant que femme noire, je change tout le temps de coupe de cheveux. Aujourd’hui j’ai des tresses, demain je peux avoir un tissage ou une coupe courte », explique Stephanie. « C’est merveilleux de pouvoir retrouver ces différentes textures de cheveux avec lesquelles j’ai grandi, et qui sont plus réalistes que celles fournies par le jeu. C’est pareil pour les silhouettes. Toutes les femmes n’ont pas l’une des cinq morphologies présentes dans le jeu de base…» Le mod le plus insolite qu’elle ait ajouté ? Un cube Maggi dans la cuisine de son Sim, assaisonnement sacro-saint dans la diaspora africaine.
Tout est parti d’un dashiki
La question de l’inclusion des personnes racisées dans le monde du jeu vidéo est un débat de longue haleine. Les Noirs sont encore peu présents, que ce soit à l’écran ou dans les studios de développement. Une étude de l’International Game Developers Association relevait que seuls 2 % des développeurs dans le monde étaient noirs. Les Sims n’échappent pas à cette problématique. Bien que réputée pour son inclusivité, notamment sur les questions LGBT, la saga semble avoir un angle mort côté race.
« Je voulais organiser une fête dans le jeu et je cherchais un dashiki [chemise à motif d’Afrique de l’ouest, ndlr] », raconte Danielle, alias Ebonix, streameuse londonienne d’origine nigériane et caribéenne, et instigatrice du hashtag #BLMSimsRally. « Je me suis dit : ‘wow, il n’y a rien dans ce jeu qui me représente, moi ou ma culture. Si ça n’existe pas, peut-être que je peux le faire moi-même’.» Créatrice de contenus autodidacte, comme la plupart de ses pairs, elle met ses mods en téléchargement libre et gratuit. Les joueurs peuvent cependant les obtenir en avant-première contre une contribution sur Patreon.
Pour la manifestation #BLMSimsRally, elle s’est inspirée d’un événement similaire qui a eu lieu en 2016. Elle a lancé le hashtag, mobilisé ses dizaines de milliers d’abonnés, mais aussi créé quelques nouveaux t-shirts pour l’occasion.
Ebonix déplore que Maxis laisse à des créateurs bénévoles comme elle la tâche de combler les manques du jeu de base. « Le principe des Sims, c’est de reproduire la vraie vie. Au début du jeu, on te demande de créer le personnage de ton choix, aussi beau, excentrique et noir que tu veux. Le fait de ne pas pouvoir faire un personnage qui te ressemble, dans un jeu qui se targue d’être réaliste et très personnalisable, a un impact. Pourquoi y a-t-il si peu d’options pour nous ?», s’interroge la jeune femme.
Les quelques tentatives de correctifs n’ont pas été bien reçues. En 2018, des teintes de peaux, maquillages et coiffures supplémentaires ont été ajoutés via un patch mais le rendu, qui souffre de pixellisation, a tant indigné les joueurs qu’une pétition (avec plus de 80 000 signatures) a été lancée. Le mois dernier, Maxis a collaboré avec MAC, marque de cosmétique, et introduit de nouveaux maquillages pour peaux sombres. « Le maquillage était très basique, très paresseux. La personne qui a supervisé cela n’était pas très investie », s’agace Stephanie de Nne Saga. Ebonix va dans le même sens : « Le rouge à lèvres, sur les Sims à peau foncée, les fait ressembler à des clowns. Et il y a cet eyeliner que tout le monde surnomme ‘spermliner’.. Bref, les moddeurs font un bien meilleur travail.»
« Ça ne devrait pas être politique »
Le contexte des derniers mois, marqué par le mouvement Black Lives Matter, va-t-il changer la donne pour les Black Simmers ? Stephanie observe les professions de foi de l’industrie avec circonspection : « C’est bien, que les entreprises fassent des déclarations, mais que faites-vous en interne ? Il y a si peu de personnes noires dans les postes de décisions, parce que les dirigeants préfèrent embaucher entre eux. C’est pour cela que les décisions de ces compagnies sonnent faux ou sont maladroites : parce qu’il n’y a personne là-bas qui parle pour nous. »
Quant à l’étiquette militante que certains seraient tentés d’apposer aux Black Simmers, Ebonix refuse de l’utiliser : « Il y a une dimension politique, mais ça ne devrait pas être le cas parce qu’en politique il y a deux camps opposés. Je ne vois pas pourquoi il devrait y avoir une opposition au fait que nous voudrions nous sentir inclus dans le jeu.»
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