« Il a utilisé sa notoriété pour m’utiliser comme un esclave sexuel à distance. J’avais 13 ans, sans pouvoir consentir à une telle chose.» Tout est parti d’un témoignage, public. Alors que Numerama enquête sur le mouvement #BalanceTonYoutubeur début juillet 2020, Quentin, 17 ans, prend contact avec nous. Puis un autre jeune homme. Puis un troisième. Tous motivés par le même besoin, viscéral : « Il faut que ça cesse. »
L’histoire du YouTubeur ExperimentBoy ressemble à une pelote de laine géante : une fois que l’on commence à tirer sur le bout de ficelle qui dépasse, ce sont des mètres de fil qui déroulent, avec toujours plus de témoignages inquiétants. Certains des faits relatés dans cet article sont sévèrement punis par la loi.
Au total, treize personnes nous ont confirmé individuellement les agissements du vidéaste français Baptiste Mortier-Dumont (M-D.). Certains ont accepté de parler en leur nom propre, d’autres sous couvert d’anonymat. Depuis le mois de juin 2020, plusieurs se sont signalés à la justice. Numerama a pu confirmer qu’une enquête était en cours, et plusieurs victimes ont déjà été entendues.
Cinq victimes étaient des mineurs de moins de 15 ans au moment où Baptiste Mortier-Dumont leur aurait envoyé pour la première fois des invitations à échanger des photos dénudées, des photos de son sexe, ou des propositions de masturbation simultanée. Ces faits s’étendent de 2013 à 2019. Le vidéaste était systématiquement majeur — né en mai 1994, il a aujourd’hui 26 ans. En France, la corruption de mineur est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, et les peines peuvent être portées à 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende « lorsque le mineur a été mis en contact avec l’auteur des faits grâce à l’utilisation, pour la diffusion de messages à destination d’un public non déterminé, d’un réseau de communications électroniques ».
Après plusieurs mois d’enquête, de vérifications et de témoignages, et après avoir eu accès à un grand nombre de conversations, captures d’écran, photos et vidéos, Numerama est en mesure de mettre au jour des faits d’une gravité inédite dans le paysage du YouTube français. Ou comment Baptiste Mortier-Dumont, alias ExperimentBoy, a profité de sa notoriété pour aborder des jeunes garçons, les mettre en confiance puis leur faire des avances, avant de leur envoyer, pour certains, des photos et vidéos de nature sexuelle, et leur en demander en échange. Tout en les enjoignant à se taire.
« Je pouvais faire ce qu’il voulait »
« Je passe sur ton profil par hasard ». Le 27 avril 2017, Baptiste Mortier-Dumont envoie ce premier tweet, public, à Quentin, avec son compte officiel certifié. Le jeune garçon n’en revient pas : c’est la première fois que son Youtubeur préféré lui parle. « C’est du rêve là ?! » lui répond-il. Sur son profil public, Quentin utilise un petit algorithme qui met à jour en permanence sa biographie Twitter. Elle annonce la couleur sans détour : « Je suis né il y a 13a, 345j. Gay et fier de l’être. » (on en retrouve les traces sur WayBack Machine)
Moins de 48 heures plus tard, Baptiste Mortier-Dumont, alors âgé de 22 ans, l’invitera à se masturber simultanément sur Skype.
« On a commencé à discuter, très rapidement il m’a demandé si j’étais partant pour jouer un peu avec lui.» Numerama a pu avoir accès à de nombreuses preuves de ces échanges, vidéo et par écrit, qui montrent comment le Youtubeur a fréquemment encouragé le jeune mineur de moins de 15 ans à participer à des ébats sexuels virtuels, lui faisait des avances et envoyait des vidéos de son sexe en érection, parfois en train de se masturber jusqu’à l’orgasme. Ces échanges ont duré neuf mois.
« On s’envoyait des vidéos quand je revenais du collège », nous raconte Quentin, qui a fêté ses 17 ans en mai 2020, et qui accepte aujourd’hui de prendre la parole en son nom propre. « Je pouvais faire ce qu’il voulait. Il me demandait de faire des choses, me montrait ce qu’il faisait. Il me conseillait d’acheter certains objets sexuels, ce que j’ai fait.» Lorsque le jeune garçon demande à son idole pourquoi il a pris contact avec lui, celui-ci aurait répondu qu’il l’avait simplement « vu liker ses tweets » ou répondre à ses gazouillis publics. « J’avais un arc-en-ciel dans ma bio Twitter, il s’est sûrement dit : ‘Tiens, une bonne prise.’», constate l’adolescent.
« Quentin était un des plus exposés », confirme Flavien*, qui a longtemps été proche de Baptiste M-D., et qui nous dit l’avoir vu « échanger beaucoup de messages » avec le jeune garçon. « Ce qu’il s’est passé avec Quentin, ça s’est aussi passé avec moi très jeune, en 2013-2014. À l’époque, je ne voyais pas le problème », nous relate celui qui aura par la suite une relation officielle de quelques mois avec le Youtubeur.
« Si je peux pas avoir ta confiance totale ça sera fini aussi vite que c’est arrivé »
À la convention Maker Faire de Paris du 9 au 11 juin 2017, Baptiste Mortier-Dumont est l’une des célébrités les plus attendues. « Véritable star pour les plus jeunes ce Youtubeur aux 600 000 abonnés a réalisé plusieurs expériences détonantes », peut-on lire sur le site officiel de l’événement, qui rassemble chaque année des milliers de « makers » (des passionnés de construction, de bricolages ou d’expériences hors du commun) venus présenter des projets.
Ce week-end, alors qu’il échange des vidéos sexuelles depuis plusieurs semaines avec son idole, Quentin fait le déplacement avec son père, pour rencontrer Baptiste. « Il n’y a rien eu d’explicite, une main par-ci par-là, c’est tout », se souvient le jeune homme. Au cours de l’événement, dont il reviendra avec un autographe, une photo est prise par une personne externe : on voit Baptiste à côté d’une grande réplique du personnage BB8 de Star Wars. Quentin est à l’arrière.
Dans une conversation privée sur Discord (une plateforme qui permet de discuter par écrit ou à l’oral à distance), dont Numerama a vérifié l’authenticité, Baptiste renverra cette image à Quentin, le 19 octobre 2017, accompagnée de commentaires sur son physique : « Cette petite bouche qui donne envie de… » puis « d’en écarter les lèvres avec mon gland, tout doucement », envoie-t-il au garçon de 14 ans. Baptiste a alors 23 ans.
Quentin en a gardé les captures d’écran, et les a même publiées sur Twitter en 2020. Depuis, Baptiste Mortier-Dumont a supprimé de la conversation les messages qu’il pouvait : les siens. Dans une petite partie de leur discussion sur Discord, il ne reste plus, aujourd’hui, que les réponses de l’adolescent (à droite, ci-dessous).
Les échanges de ce type ont continué jusqu’à l’été 2018. « Je me sentais obligé de le faire, pour ne pas le décevoir », nous confie aujourd’hui Quentin. « Je me disais que si je ne le faisais pas, il n’allait plus me parler. »
En juin 2020, le jeune homme se décide à publier quelques captures d’écran de ses échanges avec Baptiste Mortier-Dumont et de dénoncer ses agissements. Il participe également à la constitution d’un dossier envoyé en juin 2020 au Procureur de la République de Lyon, réalisé en commun avec plusieurs autres victimes. Le dossier regroupe plusieurs témoignages, preuves écrites et vidéo. Le Procureur s’en est saisi. Le 5 août 2020, Quentin a déposé plainte pour corruption de mineur — plainte que Numerama a pu consulter.
Contacté par Numerama, Baptiste Mortier-Dumont a nié tous les faits relatés par la voix de son avocat, comme nous le détaillons à la fin de cet article.
« N’en parle pas à d’autres »
Dès le 27 avril 2017, on observe, dans des conversations Skype dont Numerama a vérifié l’authenticité, que Baptiste M-D. s’inquiète des possibles retombées négatives si le garçon, alors âgé de 13 ans, venait à parler. Il lui fait même comprendre à demi-mot les conséquences s’il venait à raconter à d’autres personnes ce qu’ils font ensemble : « Sauf si ça éclate et que ça te met dans la merde tout comme moi (…) Je ne veux pas t’agresser en disant tout ça, mais faut que tu en sois conscient… (…) Et je comprends bien que tu sois tout content, mais si je peux pas avoir ta confiance totale ça sera fini aussi vite que c’est arrivé. »
Quelques minutes plus tôt, le Youtubeur enjoignait aussi : « N’en parle pas à d’autres (…) C’est pas un jeu non plus, et non pas qu’il y ait quoi que ce soit de mal, juste que j’existe publiquement, donc c’est compliqué. »
L’idole des jeunes
Baptiste Mortier-Dumont a raison sur ce point : avec son million d’abonnés YouTube en 2020, ses 40 000 followers sur Twitter et Instagram, l’homme de 26 ans est une personnalité publique, qui dispose d’une influence importante au sein de la communauté YouTube française.
Actif sur la plateforme depuis octobre 2012, il a publié plus de 140 vidéos d’expériences surprenantes (piéger une bouteille de coca, faire exploser des micro-ondes, casser un verre avec du son) inspirées par ses idoles du programme MythBusters. Son public : « les 13-24 ans à 80 % en France », rapporte France 3 dans un reportage de 2019. En 2016, il est invité par l’agence spatiale française (CNES) pour tourner une vidéo en apesanteur. En novembre 2019, le « jeune savant un peu fou », comme le décrit un reportage de France 2 en 2017, a reçu un trophée de la part de YouTube, qu’obtiennent les vidéastes qui ont passé la barre symbolique du million d’abonnés.
Il cumule 100 millions de vues sur ses vidéos, et continue d’en publier près d’une par mois, ainsi que d’autres sur String Theory, dont il est partenaire. Le Youtubeur est encore actif : sa dernière vidéo, publiée le 23 juillet 2020, a engrangé 700 000 vues en une semaine.
« Quand on devient connu, on est un personnage public. Donc il faut avoir une image publique. C’est chiant, parce que même si on est sympa et qu’on veut partager sa vie ou quoi, on ne peut pas », confiait-il en 2014 dans une vidéo sur sa chaîne. Pourtant, dès ses débuts, le Français, qui habitait chez sa mère dans le Var avant de déménager récemment en Lorraine, a cultivé une grande proximité avec ses fans. Ils sont très nombreux à avoir pu discuter avec lui au fil des années, comme on peut encore l’observer en remontant ses nombreux échanges publics sur Twitter depuis 2013.
À l’extérieur, le Youtubeur est décrit comme un jeune homme affable, souvent de bonne humeur, un peu « foufou », passionné par son métier et ses expériences scientifiques déjantées. Au sein de sa communauté toutefois, ses sautes d’humeur sont connues : « Il pouvait s’énerver rapidement », décrit un ancien fan. Sur Twitter, il parle très souvent de lui, se plaint régulièrement de ne pas bien dormir.
Sur Ask.fm, il évoque ses problèmes avec ses parents, qui sont divorcés depuis une dizaine d’années. Sur cette dernière plateforme, où des anonymes peuvent envoyer des questions à quelqu’un, il est d’ailleurs interrogé sur sa relation « possessive avec ses amis », il répond : « Disons que c’est la plus précieuse des choses que je recherche, et que ça me transforme totalement quand il se passe des trucs avec des gens en qui j’ai confiance et que j’aime, je tiens tellement à rencontrer des gens passionnés comme moi… Dans ces moments je suis tout simplement pas moi-même… :'(.»
Sa propension à multiplier les blagues graveleuses et les références érotiques est également connue de ceux qui ont échangé par écrit avec lui. « C’est quelqu’un qui est obsédé en continu », lance l’un de nos témoins. « Le sexe était un des principaux sujets de conversation », confirme un autre.
À l’automne 2017, il a créé un salon Discord « professionnel », à son nom (ExperimentBoy Officiel), spécifiquement pour les fans de sa chaîne YouTube : les internautes s’y rendent comme sur un forum, où ils peuvent échanger entre eux ou avec leur star lorsqu’elle s’y connecte. Il suffit de s’y connecter, comme Numerama a pu le faire, pour observer le nombre de blagues à caractère pornographique qu’ExperimentBoy y a publié, notamment en 2019. Aujourd’hui encore, en 2020, des centaines d’internautes s’y connectent tous les jours.
« J’avais l’impression d’être spécial »
C’est néanmoins dans les échanges privés que le comportement de Baptiste Mortier-Dumont se transforme véritablement, où les demandes sexuelles se font plus pressantes. Quentin savait qu’il n’était pas le seul à avoir reçu des avances de son Youtubeur préféré, mais il n’envisageait pas qu’il puisse y en avoir autant d’autres. Numerama a pu retrouver neuf adolescents, entre 11 et 17 ans au moment des faits, avec qui Baptiste Mortier-Dumont a discuté, entre 2012 et 2018, et à qui il aurait demandé d’échanger des vidéos personnelles à caractère pornographique, se montrant souvent très insistant. Certains ont refusé, d’autres ont mis le doigt dans l’engrenage.
C’est le cas de Pierre*, qui souhaite rester anonyme dans notre enquête, mais qui a partagé toutes les informations qui suivent au Procureur de la République de Lyon, dans le signalement réalisé en juin 2020.
« T’es en pyjama dans ta chambre, c’est encore l’époque où il faut éteindre la lumière quand les parents passent.»
« J’avais l’impression d’être spécial, car il prend le temps de discuter avec toi », confie Pierre, qui avait 13 ans lorsqu’il a commencé à interagir avec Baptiste Mortier-Dumont en 2013. D’abord sur Twitter, ensuite sur Google Hangouts et sur Skype, puis sur WhatsApp et Telegram. « Il voulait qu’on s’envoie des nudes, mais je n’avais pas de téléphone qui filmait à l’époque. » Le garçon est contraint de passer par un appareil photo numérique et d’envoyer des images par mail. « Il m’expliquait comment me masturber, me donnait des conseils », continue-t-il. « Je ne captais pas l’aspect malsain du truc. T’es en pyjama dans ta chambre, c’est encore l’époque où il faut éteindre la lumière quand les parents passent.» Baptiste M-D. lui aurait notamment expliqué comment se servir de MEGA, une plateforme d’hébergement de fichiers, pour lui transférer les images. Lorsque Pierre a 14 ans, Baptiste en a vingt. « C’était tous les soirs », commente-t-il amèrement. « Chaque conversation lancée, sur Skype ou Hangouts, avait pour but de diverger vers un truc sexuel.»
Cette relation toxique s’est étendue sur quatre années. Aujourd’hui, Pierre a conservé d’innombrables vidéos, photos et captures d’écran à caractère pornographique que le Youtubeur lui envoyait de lui, et que Numerama a pu consulter. « Parfois je me demande combien de gens il y avait en même temps. Et à combien de jeunes il a fait croire qu’ils étaient si spéciaux », ajoute-t-il. « Je me dis qu’il a pu faire ça à la chaîne », abonde Maxime*, un autre jeune homme qui avait 14 ans et 11 mois lors de ses premiers échanges avec Baptiste M-D., comme nous avons pu le vérifier.
« Tu peux avoir confiance en moi, je ne vais pas te faire de mal »
De la dizaine de témoins avec lesquels Numerama s’est entretenue, dont beaucoup ne se connaissaient pas et n’avaient jamais échangé, émanent des descriptions extrêmement semblables. Le modus operandi du Youtubeur semble bien rodé, avec des approches similaires. D’abord, la phase de discussion classique, et la flatterie. « Il m’a dit : ‘Ah, enfin quelqu’un de mature, pas un fanboy qui m’adule’, raconte Maxime. « Connaître quelqu’un de nouveau comme ça, et pas un gamin (trop) fanboy ou timide, c’est super », envoie-t-il aussi à Thomas* en 2018.
Les conversations se déplacent ensuite virtuellement, de plateforme en plateforme. Des échanges sur Twitter ou sur sa chaîne Discord publique, puis une invitation à discuter en privé, sur Hangouts, la messagerie de Google, ou sur Skype, très prisée au début des années 2010. Avant de basculer, pour certains, sur Telegram, la messagerie chiffrée qui dispose d’un mode « secret chat » que Baptiste M-D. affectionne particulièrement. « Tu ne peux pas screen [faire de capture d’écran, ndlr], et si tu supprimes, ça supprime chez l’autre », a-t-il dit à plusieurs de ses interlocuteurs dans différentes conversations que nous avons vues. En réalité, il est possible de prendre une capture d’écran dans cette application, mais l’interlocuteur reçoit alors une notification. « Dans tous les cas, j’envoie jamais visage + corps », y explique-t-il aussi.
« Hétéro, bi ou gay ? » : la phase de « test »
« Il m’a demandé si j’étais hétéro, bi ou gay », raconte Paul. Plusieurs des victimes présumées se souviennent de questions équivalentes, au cours de discussions où Baptiste M-D. essayait de les amener à parler de sexualité, de masturbation, et d’échanger des photos et vidéos de leurs pratiques. « L’amour n’a pas de sexe », assure-t-il même publiquement en 2013.
Maxime* n’avait pas encore 15 ans lorsqu’il demande sur Twitter à ExperimentBoy, son « idole », s’il veut jouer avec lui à un jeu de guerre en ligne, en février 2014. Après quelques jours, le vidéaste de 19 ans vient l’aborder en message privé : « Ça a très vite dévié sur des conversations que l’on n’a pas à cet âge-là normalement », nous écrit celui qui souhaite rester anonyme, mais qui se dit également prêt à témoigner devant un tribunal « s’il le fallait ». Il a préféré ne pas participer aux accusations publiées sur Twitter début juin 2020. « J’ai peur », avoue-t-il, « Ce mec est tellement cinglé qu’il pourrait nous faire passer pour des menteurs. »
Les événements qu’il relate sont corroborés par des discussions Hangouts auxquelles nous avons pu avoir accès. Dans l’une d’entre elles, il mentionne l’âge (« Tu as 14 ans (ou 15 ?)») du jeune homme explicitement. « Je lui ai dit que je n’avais pas de copine, mais que je n’étais pas gay », explique Maxime, « Il m’a dit ‘non, mais tu sais à ton âge, tu peux pas savoir, tu peux avoir confiance en moi, je ne vais pas te faire de mal’.» Puis a tenté, de manière répétée de le convaincre d’aller plus loin, lui affirmant que « l’amour et la tendresse n’ont pas de sexe », comme Numerama a pu le lire. Il lui aurait également envoyé « des photos dénudées (…) il m’envoyait des photos de son ventre, toujours plein de photos », assure-t-il.
Paul se rappelle aussi du nombre d’images qu’il aurait reçues de la part du Youtubeur, qui lui aurait aussi demandé s’il « avait des tendances bi ou gay » et « s’il se sentait bien dans sa peau » alors qu’il avait 15 ans, en 2013, et que le vidéaste en avait 19. « Ça a commencé à déraper quand il a commencé à m’envoyer des photos de lui qui prenait sa douche. Il m’a demandé d’en faire autant. Je n’en envoyais pas, mais je rentrais un peu dans son jeu pour continuer à lui parler. Je ne voulais pas le brusquer, c’était un mec connu, je voulais rester à discuter avec lui. S’il y a des jours où je ne répondais pas à ses messages, il devenait agressif.» Maxime se souvient de la même relation, de conversations qui se seraient tendues dès qu’il n’allait pas dans le sens du Youtubeur. « Il fallait s’excuser. Quand tu as commencé à avoir une relation avec un Youtubeur que tu kiffes, tu ne veux pas gâcher la relation, alors tu t’excuses comme une merde.» Thomas peut également en témoigner : alors que le jeune homme, qui avait 18 ans — l’un des très rares témoins majeurs au moment des faits —, explique au vidéaste en 2018 qu’il n’est pas intéressé par des échanges de vidéos et photos sexuelles avec un homme, le ton de Baptiste change brusquement. « Wow, les hétéros vous êtes chelou », lui assène-t-il.
Dans un autre échange avec un jeune homme de 17 ans que Numerama a vu, Baptiste parlera également de ceux qu’ils appellent des « hétéros extrémistes » qui se « disent choqués dès qu’un mot est un peu gentil venant d’un mec. »
« Je dois rester prudent avec ma notoriété »
Erwan* abonde : « En tant que fanboy, je rêvais d’être pote avec lui, mais il me faisait culpabiliser : si je ne fais rien avec lui, on ne pourra pas devenir autant amis.» Ce dernier fait partie des garçons avec qui Baptiste Mortier-Dumont a commencé à parler lorsqu’il avait moins de 15 ans. Dès le début, ExprimentBoy sait que le garçon est jeune. Le 1er novembre 2016, Erwan a 14 ans et 3 mois. Le Youtubeur, qui a 22 ans, lui dit par message Facebook : « Tu veux pas avoir 4 ans de plus et habiter dans le sud ? » avant de lui mentionner qu’il aimerait « l’adopter en petit frère », mais qu’il ne peut pas, car « il y a toujours la distance et la différence d’âge qui sont compliquées ». Erwan lui dit qu’il ne comprend pas bien, car il n’y a « pas d’âge pour être proche ». Le Youtubeur abonde : « Tu as tout à fait raison, c’est exactement ce que je vis avec certaines personnes. Après dans mon cas, c’est compliqué, je dois rester prudent avec ma notoriété, et les petits malins qui sortiraient ça de leur contexte.»
Au fil des échanges, les sous-entendus sont de plus en plus évidents : « T’as pas l’air d’un coincé, dans tous les cas », « Je cherche pas des potes, mais surtout des amis très proches…» « Si tu cernes à quel point je suis prêt à être open et proche d’un ami de confiance, tu comprends pourquoi c’est délicat pour moi…» « Je suis quelqu’un de très proche, alors avec ceux que tu connais bien et qui ont le même âge ça va, dans ton cas c’est plus délicat tu te doutes bien. Ça peut faire vieux pervers même si j’ai que 22 ans. »
À l’époque, Erwan admire beaucoup le vidéaste. Lorsque celui-ci l’invite à passer une semaine avec lui dans le Var, où il vit dans une maison avec sa mère, le garçon accepte. Il a encore moins de 15 ans, et subit pendant plusieurs jours ce qu’il décrira auprès de Numerama comme une « pression sexuelle », en devant refuser les avances que Baptiste Mortier-Dumont aurait faites « tous les soirs ». Le Youtubeur dort alors dans un garage réaménagé en petit deux-pièces, accolé à la maison de sa mère. Pour l’occasion, il aurait accepté de prendre le canapé du petit salon et de céder le lit à son invité. « Il se posait sur mon lit, il me disait : ‘bon, tu veux pas essayer quelque chose ?’, et je refusais. Il le prenait mal, il essayait à nouveau. J’ai réussi à dire non, mais c’était dur. » Numerama a pu vérifier que le jeune homme a bien passé du temps dans la résidence du Youtubeur, à l’époque mentionnée. Contacté sur ce point, Baptiste M-D n’a pas répondu à nos questions. Son avocat nous a fait savoir qu’il « niait » tous les faits reprochés.
Au moins trois témoins, qui avaient entre 13 et 15 ans au moment des faits, nous ont confirmé que le Youtubeur leur avait proposé de venir chez lui, dans le Var, pour réaliser des expériences scientifiques ou tourner des vidéos pour sa chaîne. L’un d’entre eux nous explique même qu’il aurait proposé d’écrire une lettre à ses parents, en tant qu’ExperimentBoy, pour les convaincre de laisser leur fils y aller, « pour la science ». Quentin aussi nous confirmera qu’il lui aurait également proposé de venir chez lui, dans le Var : « Mes parents ont refusé catégoriquement », souffle-t-il, soulagé. Sur Twitter, le 4 juin 2013, le vidéaste publie un message s’attristant du fait que des parents « bloquent » ses invitations.
« Il a peut être repéré que j’étais un peu fragile »
Les interlocuteurs ciblés par Baptiste Mortier-Dumont ont des profils similaires : des jeunes garçons qui se décrivent comme ayant été « naïfs » ou « mal dans leur peau » dans leur enfance. « Il a peut-être repéré que j’étais un peu fragile », avance Jason* qui se décrit comme un garçon « très sensible », particulièrement au moment où, en juin 2018, son Youtubeur préféré l’a abordé directement en message privé sur Discord. L’échange, que Numerama a consulté, débute par un seul caractère : un emoji cœur rouge. Il a 16 ans et 11 mois à l’époque, mais dit au vidéaste qu’il en a 17. « Ah bah ça va, j’ai 24 et je fais toujours 18, j’ai mes chances ? » lui envoie Baptiste après seulement quelques échanges. Jason rentre dans le jeu. Rapidement, le Youtubeur lui demande des photos nues et lui propose de lui en envoyer. « À deux, c’est bien », lui envoie-t-il après avoir partagé une combinaison d’emojis pour représenter l’éjaculation masculine. « Yes, but remember my age », lui répond Jason en anglais. « Roooh », répond le Youtubeur.
Pendant quelques semaines, ils s’échangent des images de leur sexe, dans des conversations Telegram que le jeune homme a conservées. « Ensuite, il ne s’est plus rien passé de particulier. Puis, j’ai regardé à nouveau ces conversations, et je me suis rendu compte qu’il y avait un problème. Je me suis rendu compte que j’étais une victime.» Il a décidé de porter plainte contre le Youtubeur en juin 2020, pour corruption de mineur. Numerama a vérifié que la plainte a bien été enregistrée et que les autorités en ont pris connaissance.
Deux garçons de moins de 13 ans
D’autres garçons qui ont subi ces avances déplacées étaient beaucoup plus jeunes que Jason. « J’étais harcelé à l’école », nous décrit aujourd’hui François*, qui est entré en contact avec Baptiste par Twitter à l’été 2013, alors qu’il n’avait que 11 ans. Nous avons retrouvé plusieurs messages qui montrent que le Youtubeur avait pleinement conscience que le garçon était à l’école primaire au moment où ils se sont écrits pour la première fois. « Pour moi, c’était une sorte de coup de foudre. Il me disait de lui faire confiance, je lui racontais mes tracas à l’école, je me suis très vite attaché. C’était la première fois qu’un ami me montrait de l’affection. Il a compris que je n’avais aucune notion de ce qu’était l’amitié, et il m’a inventé une définition de l’amitié qui lui correspondait, pour que je tombe dedans.»
Le Youtubeur, alors âgé de 19 ans, aurait commencé à lui envoyer des photos de lui, souvent torse nu. « On parlait beaucoup de découverte de soi, de sujets intimes, de masturbation », nous dit François. Puis l’escalade : « Alors que je rentre de vacances, je découvre il m’a envoyé trois photos par mail, de lui entièrement nu dans sa piscine », des images qu’il dit avoir supprimées dans la foulée pour ne pas que ses parents ne les trouvent. Baptiste M-D. lui aurait demandé des photos en retour, « ce que j’ai fait », nous confie-t-il. Plus d’un an plus tard, alors que le Youtubeur lui aurait envoyé à nouveau des photos dénudées, François lui aurait demandé de supprimer toutes les images de lui. Pour prouver sa bonne foi, Baptiste M-D. aurait alors lancé un partage d’écran de son ordinateur afin de détruire « en direct » le dossier qu’il avait de François, qu’il aurait gardé sur un compte MEGA.
Autre témoignage, même tranche d’âge ; celle où la puberté n’a pas encore débuté. Il s’agit cette fois de Louis, un jeune Belge de 18 ans qui essaye depuis six ans de faire entendre son histoire. Depuis 2014, il partage régulièrement des captures d’écran de messages que lui aurait envoyés Baptiste alors qu’il n’avait que 12 ans. « J’étais fan de ses vidéos et il a fini par répondre à une mention sur Twitter », nous narre-t-il par écrit. Nous avons pu retrouver de nombreuses traces publiques de leurs échanges entre 2013 et début 2014. « Il s’est vite inventé un rôle de grand-frère protecteur, mais ça a vite tourné au malsain en terme de mots utilisés, de tournures de phrases » (sic). Dans un échange par message privé du 1er février 2014 qui circule encore en ligne, on peut lire : « Rêve de te caresser le ventre » puis « Je t’aime ! »
Dans un autre, il lui aurait écrit « Imagine qu’on est allongé au chaud tous les deux et que je passe une main dans tes cheveux. Et de l’autre je te masse le ventre délicatement (…) Des petites caresses et massages, tout doucement, en respirant profondément (…) Je viens poser ma bouche sur ton pitit ventre pour lui faire des bisous tout doux.» Louis assure avoir pris ces captures d’écran lui-même, mais avoir « tout supprimé » depuis, afin d’avancer.
À l’époque, ses accusations publiques sont utilisées et retournées contre lui par le YouTubeur lui-même, qui le traite publiquement de « pourri gâté », ainsi que ses fans.
« Il m’a immédiatement bloqué dès que je lui ai fait part du fait que ses messages devenaient un peu malsains (…) Il y a pas mal de gens qui ne voulaient pas y croire », regrette Louis. Un faux compte parodique est même créé en mars 2014 pour décrédibiliser le garçon et tourner en ridicule ses accusations. « Je préférais oublier ça et avoir la paix, parce que ça m’avait un peu intimidé, du haut de mes 12 ans », nous raconte-t-il.
Dans la sphère des proches du Youtubeur, plusieurs se souviennent d’avoir entendu parler de l’histoire de Louis, et certains regrettent de ne pas lui avoir donné plus de crédibilité à l’époque. « Il y avait cette histoire d’enfant belge, Baptiste en parlait parfois, il me jurait que tout était faux », nous confie un Youtubeur qui souhaite rester anonyme.
Quelques années plus tard, Baptiste évoque pourtant lui-même ces événements auprès de Mickaël*, son petit-ami de l’époque. Il nie ce qu’il lui est reproché, mais lui confirme l’existence, sur le web, de « traces d’échanges » publics entre lui et cet enfant, qu’il « voulait faire supprimer », raconte Mickaël à Numerama. Le Youtubeur se serait plaint d’être « harcelé » sur Twitter par des internautes qui partageaient régulièrement les captures d’écran en question, afin de lui rappeler ces messages problématiques. Contacté sur ce point, Baptiste Mortier-Dumont n’a pas apporté de réponse. Comme pour les autres questions, son avocat nous a fait savoir qu’il niait tous les faits reprochés.
À l’époque, Twitter ne permettait pas aussi facilement de faire des recherches dans ses propres tweets. Le Youtubeur aurait souhaité faire disparaître ses vieux gazouillis pour « effacer toutes ses traces d’échange public avec cette personne », nous explique son ex. « Étant donné que je n’étais pas trop mauvais en informatique, il m’a demandé si je pouvais lui filer un coup de main pour nettoyer son compte Twitter de ça. Je pensais l’avoir fait, mais j’ai réussi à retrouver des tweets qui traitent du sujet il y a quelques jours.» Numerama a également pu retrouver des tweets publics envoyés par Baptiste M-D. à Louis lorsqu’il avait 12 ans.
« Ça m’a détruit moralement »
Aujourd’hui, les témoins qui osent prendre la parole partagent une volonté d’agir dans l’espoir de faire cesser les agissements du Youtubeur, qui bénéficie toujours d’une immense notoriété, notamment auprès des jeunes adolescents. « En 2019, il m’a dit qu’il parlait avec un garçon de 13 ou 14 ans », nous assure une source qui était encore en contact avec lui au printemps 2020. « Je lui ai dit que ce n’était pas bien, il m’a dit qu’il avait arrêté. Je ne sais pas s’il l’a vraiment fait.» Contacté sur ce point, Baptiste Mortier-Dumont n’a pas apporté de réponse.
Si certains disent avoir réussi à « passer outre » et à se reconstruire, d’autres gardent des séquelles indélébiles. « Ça m’a détruit moralement », nous relate François, qui dit avoir craint pendant des années que les images qu’il aurait envoyées alors qu’il n’avait que 12 ans ne fassent l’objet de « revenge porn », persuadé que Baptiste M-D. aurait tout conservé. « Dans ces cas-là, on blâme souvent la victime », ajoute-t-il. « Cet éveil sexuel, on l’a eu par lui », regrette aussi Pierre, qui a conscience d’avoir été « extrêmement dépendant » du Youtubeur qu’il admirait, et qui avait l’ascendant psychologique sur lui sur tous les aspects, que ce soit en termes d’âge ou de notoriété.
Certains, comme Erwan, disent également craindre les réactions du Youtubeur, qu’ils savent être en possession d’armes à feu et d’explosifs — on peut d’ailleurs le voir, dans certaines vidéos, organiser de nombreux feux d’artifice impressionnants en Belgique (il a obtenu sa licence d’artificier en janvier 2019). Dans une vidéo confidentielle que Numerama a visionnée, on le voit en effet s’entraîner à tirer dans un jardin avec un pistolet à silencieux. Sur son Discord, il a aussi fait mention, en janvier 2019, de son « fusil à pompe », et s’est vanté d’avoir acheté une carabine semi-automatique après avoir vendu une « Tikka CTR », une carabine qu’ExperimentBoy avait déjà montrée à certains de ses interlocuteurs, comme nous le confirme Quentin. « C’est quelqu’un d’énervé et d’armé », abonde Pierre, qui dit avoir « peur de se mettre en danger et qu’il n’y ait aucune conséquence.»
Le Youtubeur a commencé à supprimer des messages dans de nombreuses discussions privées depuis le mois de juin 2020, date à laquelle plusieurs témoignages ont commencé à être diffusés sur Twitter. « Je ne peux plus discuter avec lui », nous confirme un jeune homme de 18 ans avec qui il échangeait encore des photos en mai 2020 sur Telegram. « Il a bloqué notre conversation Telegram », confirme aussi Quentin, qui a aussi constaté la disparition de certains messages dans leurs conversations privées sur Discord.
Sur Twitter, des gazouillis disparaissent régulièrement de son compte — un a été supprimé le 13 août, puis sept tweets le 14 août, encore un le 16, et deux le 17 août. Il ne nous a pas été possible de savoir quels messages ont été effacés.
Les réponses d’ExperimentBoy
À ce jour, Baptiste Mortier-Dumont n’a diffusé qu’un message concernant les accusations de corruption de mineur et les publications de captures d’écran sur Twitter : un tweet du 15 juin 2020 dans lequel il assure qu’il est victime d’une « tentative de déstabilisation » et qu’il portera l’affaire devant « les juridictions compétentes ».
Contacté le 18 août 2020 par Numerama, le Youtubeur ne nous a pas répondu lui-même, mais par la voix de son avocat, par téléphone d’abord, puis par mail. Il explique par écrit que Baptiste Mortier-Dumont « réitère les termes de son tweet de juin 2020 et s’inscrit donc en faux face aux accusations diffamantes, relayées dans votre mail de ce jour », sans indiquer précisément quelles accusations sont concernées.
Lorsque nous avons demandé par téléphone si Baptiste Mortier-Dumont comptait répondre aux points précis abordés par mail (une douzaine de questions), son avocat nous a répondu par la négative. Nous avons alors souligné que notre enquête serait publiée d’ici le lendemain. Une heure plus tard, il nous a envoyé par mail : « Outre l’atteinte manifeste à la présomption d’innocence, Monsieur Mortier-Dumont déplore une enquête dont le timing (position du mis en cause sollicité immédiatement avant la publication de l’article) laisse présumer – avant lecture même de l’article un positionnement partial » et a précisé que le vidéaste « n’hésitera pas à poursuivre tout auteur de propos à caractère diffamatoire / ou attentatoires à la présomption d’innocence. »
Nous avons pris la décision d’attendre tout de même le lendemain, puis de publier cette enquête.
* Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés
Vous souhaitez nous contacter ou partager des témoignages ? Écrivez-nous à [email protected] (possibilité de demander à nous contacter sur Signal ou Telegram).
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !