Facebook aurait-il dû laisser la diffusion en direct d’un homme se laissant mourir, à cause d’une maladie incurable, au motif qu’il existe en France un débat sur la fin de vie — et que le cadre actuel est jugé insuffisant pour accompagner les personnes ne supportant plus de vivre ? Voilà la question qui a animé bon nombre de discussions ce week-end, notamment sur les réseaux sociaux, avec le cas Alain Cocq.
Cet homme de 57 ans est atteint d’une maladie incurable et souhaite pouvoir abréger son existence, mais sans subir le cadre de la loi Leonetti sur les droits des malades et à la fin de vie, qui, selon lui, le condamnerait à l’agonie, avec une mort lente et douloureuse. L’intéressé a interpellé le chef de l’État sur son cas, mais celui-ci a refusé début septembre d’intervenir, en expliquant ne pas être au-dessus des lois.
C’est dans ce contexte qu’Alain Cocq a eu l’idée d’une action militante, en se servant des réseaux sociaux pour médiatiser sa situation et illustrer ce qu’il présente comme les limites du système juridique actuel. L’idée ? Se laisser mourir en direct sur Facebook. Sauf que le réseau social américain n’a pas souhaité être le support d’un tel évènement, par essence radical, et a décidé de couper le streaming.
Dans la journée du 5 septembre, un porte-parole de Facebook a déclaré à l’AFP que « bien que nous respections sa décision de vouloir attirer l’attention sur cette question complexe, (…) nous avons pris des mesures (…) car nos règles ne permettent pas la représentation de tentatives de suicide ». La diffusion a été coupée le 5 septembre et est officiellement suspendue jusqu’au 8 septembre.
Dans ses règles sur le suicide et l’automutilation, Facebook explique interdire ou limiter des contenus de ce type. Dans le cas où certains partages sont autorisés, ils peuvent aussi être accompagnés d’un écran d’avertissement et réservés aux personnes majeures. La section traite également, de manière succincte, de l’euthanasie et du suicide assisté, où il est fait mention de ressources d’aide.
Concrètement, l’intéressé, qui vit à Dijon, souhaitait cesser son traitement médical, ainsi que son alimentation et son hydratation, et montrer les conséquences des dispositions actuelles de la fin de vie en France. Il a annoncé avoir pris son dernier repas et cessé ses soins le vendredi 4 septembre — selon lui, cela pourrait prendre jusqu’à une semaine pour se laisser partir.
Une sédation profonde, sous conditions
La loi Leonetti date de 2016 et prévoit une sédation profonde et continue pour « soulager une personne malade qui présente une situation de souffrance vécue comme insupportable alors que le décès est imminent et inévitable », dans le cas d’une « affection grave et incurable ». La sédation mobilise des médicaments pour faire perdre connaissance au patient, pour le soulager dans ses derniers instants.
Or, cette sédation profonde ne s’envisage que lorsque le « pronostic vital est engagé à court terme et qu’il présente une souffrance réfractaire aux traitements ». Or selon Alain Cocq, cela fait 34 ans qu’il est en phase terminale, du fait d’une maladie dégénérative très douloureuse, et il assure qu’il ne peut pas prouver que sa fin de vie approche à court terme, rapporte le Huffington Post.
À la suite de ce blocage, Alain Cocq a réagi dans la foulée, le 5 septembre, sur sa page Facebook en expliquant « qu’un système de repli sera actif d’ici 24 heures quant à la diffusion de la vidéo ». Cependant, en date du 7 septembre, aucune autre publication n’a été aperçue sur son profil pour une nouvelle diffusion en direct ou décrivant comment la voir sur le net, mais ailleurs.
« Ne manquez pas de faire savoir ce que vous pensez de Facebook et de ses méthodes de discrimination iniques et d’entrave à la liberté d’expression, droit pourtant imprescriptible à tout citoyen français et européen », a lancé Alain Cocq sur sa page, sans tenir compte du fait que Facebook n’est pas un service public — c’est une entreprise privée, qui dispose de ses propres règles.
« Appelez vos députés français et européens, vos sénateurs, le gouvernement, la présidence de la République, pour protester contre la violation de ce droit fondamental par Facebook, afin que celle-ci cesse immédiatement », a-t-il ajouté. Il a également mentionné l’adresse de Facebook France dans une autre publication, mais sans lancer d’appel à faire une manifestation devant le siège de l’entreprise.
Une législation à revoir ?
Cette affaire a commencé à atteindre la représentation nationale, à l’image du député Eric Bothorel, membre de La République en marche, qui a indiqué le 6 septembre sur Twitter avoir échangé à ce sujet avec les représentants de Facebook, rappelant les enjeux de dignité de la personne, de visibilité du suicide et de réglementation pour une diffusion selon s’il s’agit d’une audience privée ou publique.
En 2018, des États généraux de la bioéthique menés par le Comité consultatif national d’éthique sont revenus sur les sujets euthanasie et de suicide assisté. Dans sa synthèse, le Comité a rappelé « que l’on ‘meurt mal’ en France et que de nombreux progrès devraient être réalisés rapidement, notamment pour parvenir à une réelle égalité territoriale et sociale dans l’offre de soins palliatifs et d’accompagnement de fin de vie ».
Ce constat, fruit d’un « très large consensus », a été accompagné d’une unanimité sur « l’idée qu’il est urgent d’allouer les moyens financiers nécessaires au développement des soins palliatifs et de faire en sorte que la loi Claeys-Leonetti soit réellement appliquée et respectée ». Avec plus de formations pour le personnel soignant et plus d’informations à destination des patients et des professionnels.
Mais cette convergence de vues s’arrête là. Le Comité note « qu’aucun consensus sociétal n’existe sur les questions du suicide assisté et de l’euthanasie ». De plus, les sociétés savantes comme les professionnels de santé sollicités à ce sujet ont exprimé « une large et ferme opposition à ces pratiques ». Un rejet très différent des messages de soutien que l’on peut éventuellement lire sous les publications d’Alain Cocq.
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