« On se croirait à une sortie d’iPhone ou à la première d’un film Star Wars, mais en beaucoup beaucoup moins rigolo », décrit Paul-Henri. Alors qu’il souffre depuis déjà plusieurs jours de maux de tête et de courbatures, il se rend compte dimanche soir que son sens de l’odorat n’est plus le même. « Pas de perte, mais une odeur de tabac en permanence », explique-t-il. Il se décide à faire un test PCR, ses symptômes évoquant ceux de la Covid-19. C’est là que « la galère » commence.
« Je cherche à prendre rendez-vous chez mon généraliste habituel, il y a 48 h d’attente. Je m’inscris via le site internet du laboratoire d’analyses en bas de chez moi, et je n’ai aucun retour, bien que j’indique avoir des symptômes ». Les cinq laboratoires de son quartier, le dix-huitième arrondissement à Paris, sont tous en rupture de stock de tests, ou indiquent n’en faire que sur ordonnance. Il n’arrive à en obtenir une que le lundi soir, et se présente dès le lendemain matin devant un autre laboratoire, qui prend les gens sans rendez-vous. « J’y suis à 6h30, une heure avant l’ouverture, et il y a déjà 15 personnes qui attendent, certaines avec des chaises et tout ». Il attendra près de deux heures avant de pouvoir effectuer son test. « En repartant, j’ai vu que la queue remontait toute la rue et faisait le tour de l’immeuble.»
Paul-Henri n’est pas le seul à avoir dû affronter des queues de plusieurs heures devant des laboratoires débordés. De plus en plus de témoignages comme le sien inondent les réseaux sociaux, provoquant incompréhension et sidération. Alors que la stratégie d’endiguement de la pandémie de Covid-19 du gouvernement repose en grande partie sur la capacité de dépistage — 1,2 million de tests ont été réalisés en une semaine à la mi-septembre en France —, un constat s’impose : en région parisienne et dans d’autres villes, les temps d’attentes sont de plus en plus longs.
« On ouvre à 10 h, mais venez à 8 h sinon vous n’entrerez pas »
Alexandre a peu ou prou vécu la même histoire que Paul-Henri, et que toutes les personnes que nous avons pu interroger. Après avoir été cas contact avec un de ses collègues de travail, il se met en recherche d’un laboratoire où se faire tester. « Ma femme est dans son dernier mois de grossesse, j’avais un besoin impératif de savoir ». Après avoir essuyé plusieurs refus de la part de laboratoires déjà débordés, il en trouve un qui accepte encore d’effectuer des tests. « Quand j’y arrive, il est 5h45, et il y a déjà une dizaine de personnes devant moi ». Passé 6h30, de plus en plus de gens arrivent, jusqu’à ce que « la queue fasse 150-200 mètres », raconte-t-il. Il passe son test à 8h45, après 3 heures de queue.
Malgré la longue attente, « les gens gardent bien leurs distances et portent le masque », ce qui rassure Alexandre. Pourtant, au fil des heures, les incivilités se multiplient. « Des gens ont essayé de doubler. Une personne qui était venue à 6 heure était repartie, puis elle est revenue deux heures après et a demandé à revenir à la place qu’elle avait dans la file. Le chargé de sécurité était assez agressif avec les gens, et il a fait passé deux personnes devant tout le monde, des connaissances à lui, visiblement ». Dans certains laboratoires accueillant des personnes prioritaires, comme du personnel hospitalier, « la tension monte » rapidement.
Un journaliste de Numerama en a récemment fait l’expérience : alors que la queue dans laquelle il est depuis 7h40 fait plusieurs dizaines de mètres, « trois personnes prioritaires sont arrivées vers 10 heures et sont passées devant tout le monde ». Logique, au vu des nouvelles mesures de priorité mises en place (il faut avoir des symptômes, être cas-contact ou personne à risque), mais potentiellement gênant pour les derniers de la file, non prioritaires, qui ne pourront probablement jamais être testés dans la journée.
Des délais pour les résultats incertains
Quand ce n’est pas les temps d’attente avant de passer un test, c’est le délai pour recevoir les résultats qui pose problème. « J’ai entendu de tout pour les délais », raconte Lucie. « Certains qui ont fait la queue pendant 5 heures l’ont eu le lendemain, une amie qui l’a fait au même endroit l’a eu 10 jours plus tard. J’ai eu les miens sous 4 jours sans avoir dû attendre pour faire mon test ». Le laboratoire où notre journaliste s’est rendu lui a annoncé qu’il aurait ses résultats 8 jours plus tard. « Mon cas contact était il y a quasiment une semaine, ce qui fait que ma période de contagion sera terminée quand j’aurai le résultat. C’est comme si je n’avais pas fait de test et juste respecté une quarantaine de sécurité », explique-t-il, frustré. « Tout cela n’a donc servi à rien ».
« Le laboratoire n’a pas pu m’indiquer de délais pour mes résultats », annonce quant à lui Paul-Henri. « On sent que le personnel est très fatigué. Une infirmière m’a dit qu’ils faisaient 500 tests par jour dans leur labo ». Certains témoins nous confient également n’avoir aucune idée de quand ils pourront recevoir leurs résultats. D’autres encore ne savent même pas s’ils les auront un jour. La compagne d’une personne interrogée a été rappelée par son laboratoire 13 jours après son test pour s’entendre dire qu’elle n’aurait probablement jamais son résultat, « à cause de la pression sur les réactifs ».
Les réactifs, ces produits chimiques utilisés pour analyser les prélévements, sont en effet de plus en plus durs à se procurer pour les laboratoires. « Les fournisseurs ont beaucoup de mal à suivre la cadence », expliquait déjà à FranceInfo le 13 août Pascal Maillet, le président du réseau de laboratoires Unilabs Eylau.
« Je me suis dit que j’allais patienter chez moi jusqu’à la fin de la quarantaine »
Lucie a essayé de contacter « une dizaine » de laboratoires dans son quartier. « Évidemment, ils ne répondent pas, ils ferment trop tôt car ils ont trop de tests à analyser, ou alors ils ont dû clôturer leurs lignes ». Elle a finalement réussi à trouver un rendez-vous dans un laboratoire, mais plus loin de chez elle que les autres, ce qui l’a poussée à marcher plus longtemps dans les rues alors qu’elle était potentiellement contagieuse. « Ma médecin m’avait interdit de faire la queue pendant des heures avec des gens non malades », précise-t-elle. Des temps d’attente longs au point que certaines personnes renoncent parfois à se faire tester.
C’est notamment le cas d’Anaïs, qui a reçu son ordonnance après deux jours de soupçon de Covid. « J’ai appelé pas mal de labos, soit on raccrochait dès la première sonnerie, soit personne ne répondait. Je me suis donc déplacée, et là : à l’accueil il est inscrit de prendre rendez-vous sur Doctolib. Sauf que leur fiche Doctolib renvoie… vers un numéro. Quand je l’ai fait remarquer à la laborantine, elle m’a expliqué que de toute manière ils ne prenaient plus de rendez-vous, et qu’aucun labo qu’ils connaissent n’en prenait encore. Une dame lui demande si elle n’a pas d’alternative à conseiller, elle répond un peu excédée “regardez sur Google” ». Anaïs finit par abandonner.
« Je me suis dit que j’allais patienter chez moi jusqu’à la fin de la quarantaine, et que je ferai un test sérologique à la fin. Je n’ai aucune envie de faire 4 heures de queue devant un labo qui prend sans rendez-vous si c’est pour augmenter le risque soit de le choper si je ne l’ai pas, soit de le transmettre », conclut-elle, amère.
« Ça ne merde pas partout »
En dehors de la région parisienne, la situation varie. À Lyon, où les problèmes s’accumulent également, Lisa dit avoir réussi « miraculeusement à trouver un rendez-vous pour un test PCR sous 6 jours ». Grâce à une ordonnance de son médecin pour également réaliser un test sérologique, elle arrivera finalement à trouver un rendez-vous dès le lendemain, et à faire les deux tests d’un coup. Elle ne sait cependant pas quand elle recevra les résultats. « L’attente est ridiculement longue, je ne sais même pas si je les aurai cette semaine alors que ma période de contagion se termine lundi ».
Clément, qui partage son temps entre Reims et Dijon a cependant eu plus de chance. « À Reims, j’ai été pris dans le premier laboratoire venu et je suis ressorti 10 minutes plus tard, et j’aurais mes résultats dans deux jours ». À Dijon un système de drive a été mis en place, « qui fonctionne plutôt bien, et sans ordonnance. Ça ne merde pas partout », nuance-t-il.
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