C’était une affaire hors normes, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, par la quantité d’éléments versés dans le dossier contre le prévenu, Marvel Fitness, soit plus de 5 000 messages. Également par le nombre de parties civiles, trois hommes et six femmes, dont l’avocate d’une des victimes devenue elle-même cible de cyberharcèlement. Enfin, parce que cette affaire est l’une des premières pour cyberharcèlement de meute, une nouvelle notion du droit français, et l’une des premières condamnations pour ce motif.
Marvel Fitness, Habannou S, de son vrai nom, était en effet accusé d’avoir envoyé plusieurs milliers de messages d’insultes pendant près de 3 ans aux plaignants, et surtout, d’avoir incité ses abonnées (plus 150 000 sur YouTube) à en faire de même. Le procès s’est conclu par une peine de 2 ans de prison pour Marvel Fitness, dont un an ferme, et 10 000 euros d’amende. Il a également interdiction d’animer un site internet ou des comptes sur les réseaux sociaux, et de rentrer en contact avec les victimes. Jugée à Versailles et suivie par de nombreux journalistes, l’affaire a tout changé dans la façon dont sont traités les auteurs de cyberharcèlement : ils ne sont plus intouchables.
Les raids numériques et le délit d’incitation
Ce qui est nouveau dans cette affaire, c’est que la responsabilité de l’instigation de ce raid numérique soit reconnue. La sanction a un « retentissement important », juge l’avocate spécialisée en droit numérique Sabine Marcellin, contactée par téléphone par Numerama. Si le cyberharcèlement a déjà été condamné en France, le cyberharcèlement de meute est en effet une notion récente dans le droit français. C’est d’ailleurs la première fois en France qu’une personne est condamnée à de la prison ferme pour une affaire de cyberharcèlement de meute, selon l’avocat spécialiste Thierry Vallat.
La loi, qui date du 3 août 2018, sanctionne la participation à des « raids numériques ». Le harcèlement est décrit par la loi comme « le fait de tenir des propos ou d’avoir des comportements répétés ayant pour but ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime ». « C’est la fréquence des propos et leur teneur insultante, obscène ou menaçante qui constitue le harcèlement », est-il précisé sur le site du Service Public. Les faits sont qualifiés de cyberharcèlement si les propos sont tenus sur Internet.
Le cyberharcèlement de meute, aussi appelé « raids numériques », désigne les vagues de messages d’insultes reçus par les victimes, envoyés simultanément par plusieurs personnes. Ce qui est jugé ici, « c’est le fait d’avoir incité d’autres personnes à rentrer dans la mécanique de cyberharcèlement et de créer une sorte de mouvement. C’est ça le délit », nous explique Sabine Marcellin.
Participer à ces raids numériques, même avec seulement quelques messages, et inciter des personnes à y participer, tombe désormais sous le coup de la loi. Ainsi, les deux cyberharceleurs de la journaliste Nadia Daam auraient pu être condamnés par cette loi si le procès s’était tenu une fois la loi promulgée. Les nombreuses histoires de harcèlement de meute qui en ont découlé auraient également pu être jugées par cette loi, comme l’analysait Thierry Vallat dans un billet de blog en 2019, s’il n’y avait pas eu prescription des faits.
Ces raids restent cependant toujours très durs à définir et à quantifier exactement : « Il s’agit rarement d’une personne envoyant mille messages, mais plutôt de mille personnes envoyant un message », décrit Sabine Marcellin.
« Les internautes croient qu’ils peuvent s’en sortir »
La peine à laquelle Habannou S. a été condamné va avoir « un écho très important », analyse-t-elle. Elle est en effet plus sévère que ce que le procureur avait requis, ce qui n’a pas manqué d’étonner. « De la prison ferme, ça interpelle toujours. Je crois que cette sanction est l’occasion de montrer que le harcèlement, c’est fini, que ça n’est plus possible. Pendant longtemps certains internautes se sont crus au-dessus de la loi, mais c’est fini maintenant ». Sabine Marcellin pointe aussi du doigt le problème de la responsabilité des influenceurs. « Avoir 150 000 abonnés, c’est énorme. C’est presque la taille de certains médias traditionnels, sauf que les Youtubeurs n’ont pas de code déontologique, et qu’ils ne se rendent pas forcément compte de leur pouvoir médiatique. La loi montre enfin qu’il n’y a plus d’impunité sur Internet pour ce qu’ils disent ou font ».
La responsabilité des Youtubeurs sur leur communauté est pourtant toujours au coeur de nombreuses polémiques et histoires de harcèlement. Certains, sans avoir directement encouragé à envoyer des messages d’insultes comme a pu le faire Marvel Fitness, n’ont pas réagi lors qu’ils voyaient leurs abonnés s’adonner à des raids numériques, comme l’avait montré Numerama dans une enquête. Ils sont nombreux à se dédouaner et à nier leur responsabilité. Mis en cause dans une histoire de harcèlement, Frédéric Molas, de la chaîne Youtube du Joueur du Grenier, avait notamment répondu à Numerama qu’un abonné n’était pas « un Pokémon qui obéit bêtement aux ordres qu’on lui donne », et que sa communauté était « un rassemblement de gens ayant chacun leur cerveau et leur libre arbitre et qui font ce qu’ils souhaitent ». Pourtant, sur Twitter, ces mêmes abonnés avaient comme un seul homme envoyé de nombreux messages d’insultes à une jeune femme suite à une publication moqueuse de la part du co-créateur de la chaîne, sans aucune réaction de sa part.
Malgré l’avancée que représente cette condamnation, les problèmes de raids numériques semblent loin d’être entièrement réglés, comme le prédisait le procureur lors de son discours pendant l’audience : « Je n’ai aucun doute quant au fait que la deuxième manche aura lieu dès la sortie […], sur ses sites.»
Et, comme il le prévoyait, la condamnation n’a pour l’instant pas dissuadé les soutiens de Habannou S. Le hashtag #FreeMarvel s’est hissé en trending Twitter le lendemain de la condamnation, le 22 septembre 2020, avec plus de 50 000 tweets échangés sur le sujet. La grande majorité déclare son soutien au Youtubeur, et appelle à signaler en masse le compte Instagram d’une des prévenues…
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