La fondation Wikimédia ne pourra pas siéger à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) en tant qu’observateur. En tout cas, pas dans l’immédiat. La raison ? La délégation chinoise s’y est opposée le 23 septembre, à cause de l’existence de Wikimédia Taïwan, l’une des quarante structures locales (les « chapitres ») destinées à soutenir les diverses versions linguistiques de l’encyclopédie Wikipédia et de ses projets frères (Commons, Wiktionnaire, Wikiquote, etc.).
Wikimédia souhaitait rejoindre l’OMPI pour suivre de plus près les discussions qui s’y déroulent, parce qu’il y est question de droit d’auteur et d’accès au savoir, des thèmes qui intéressent la fondation, dans la mesure où elle cherche pour sa part à donner un libre accès aux connaissances — elle se sert pour cela de l’une des licences libres les plus permissives parmi les Creative Commons et propose des contenus libres de droits ou entrés dans le domaine public.
Si les membres de l’OMPI sont exclusivement des États membres de l’ONU, le statut d’observateur permet à des organisations civiles de rejoindre l’institution. Et toutes ne sont pas les plus farouches gardiennes du temple du droit d’auteur : on y trouve aussi des critiques, comme l’Open Knowledge Foundation, l’Electronic Frontier Foundation et Public Knowledge parmi les observateurs accrédités, mais aussi d’autres qui ne le sont pas, à l’image de Creative Commons.
Dans le compte-rendu de KEI, la Chine a dit demander cette suspension, car « la description de la fondation sur son site ne correspond pas aux documents de candidature soumis par Wikimédia à l’Assemblée pour examen ». Selon les critères et les procédures du statut d’observateur, a-t-elle ajouté, une ONG internationale « doit présenter une liste complète et le nombre total de ses groupes nationaux ou de ses membres, en indiquant leur pays d’origine dans le cas d’une ONG internationale ».
Wikimédia Taïwan existe en tant que chapitre depuis juillet 2007. C’est la dixième à avoir vu le jour. La majorité de ces chapitres a comme juridiction d’action tout un pays — Wikimédia France par exemple s’occupe de l’Hexagone. Mais il existe aussi des chapitres locaux, qui s’occupent d’une ville, comme New York et Washington. Dans le temps, il y a même eu un chapitre pour Hong Kong, mais il a été déchu en 2017. Les chapitres peuvent donc avoir un niveau d’action national ou local.
Or, selon la délégation chinoise, « il y a des raisons de croire que cette fondation a mené des activités politiques par l’intermédiaire de ses organisations membres qui pourraient porter atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’État, par conséquent, il n’est pas approprié que la fondation serve d’observateur à cette organisation professionnelle ». Dans son propos, le représentant chinois a bien pris soin de préciser que Taïwan est une province de l’Empire du Milieu, et rien d’autre.
Officiellement néanmoins, il ne s’agirait pas d’empêcher Wikimédia de décrocher ce statut d’observateur. Pékin tient par contre à ce qu’elle « clarifie davantage des questions telles que les organisations membres et les positions liées à Taïwan ». En attendant, le processus est suspendu. La nature des clarifications attendues n’est toutefois pas très claire : s’agit-il d’obtenir la fermeture du chapitre taïwanais ? Il n’existe aucun autre chapitre lié à la Chine, Pékin appliquant une censure générale sur l’encyclopédie.
« L’Union européenne a honteusement gardé le silence »
Chez un certain nombre d’observateurs impliqués ou non dans l’encyclopédie ou les autres projets, la nouvelle a été vertement critiquée. Pierre-Yves Beaudouin, le président de Wikimédia France, a déploré « qu’au lieu de parler de propriété intellectuelle, ça s’est transformé en partie de Risk avec refus de la Chine à cause de Wikimédia Taïwan ». Mais la Chine n’a pas été la seule partie à recevoir des critiques : le silence européen sur ce sujet a également été pointé du doigt.
« La Chine a empêché Wikimédia d’obtenir un statut d’observateur à l’OMPI et l’Union européenne est restée silencieuse. Je n’arrive pas à croire que cela vient d’arriver », a réagi Teresa Nobre, qui dirige le chapitre portugais de Creative Commons. Même insatisfaction chez Julia Reda, une ancienne députée européenne très impliquée sur les sujets du droit d’auteur, et qui rappelle que cette instance est le théâtre de discussions majeures dans ce domaine : « L’Union européenne a honteusement gardé le silence. »
Les soutiens ont été rares Wikimédia Commons. Il est rapporté que seuls des pays comme les États-Unis et le Royaume-Uni ont considéré qu’il n’y avait pas de problème.
« Il est d’usage à l’OMPI d’accueillir une grande diversité [d’observateurs] aussi largement que possible dans les processus de consultation et les discussions concernant les questions actuelles de propriété intellectuelle. Cela fait partie intégrante de la transparence et de l’intégration que nous chérissons à l’OMPI », a dit le représentant anglais — même si ce n’est pas systématique. À ses yeux, tous les candidats remplissaient les critères de sélection, y compris, donc, Wikimédia.
De son côté, le délégué américain a fait observer que « le statut d’observateur de Wikimédia devrait être décidé en fonction des mérites de sa candidature et de sa capacité à contribuer au débat de l’OMPI sur les questions de propriété intellectuelle ». Et d’ajouter que « l’évaluation des qualifications d’une ONG internationale en vue de l’obtention du statut d’observateur à l’OMPI n’est pas une question relative à la politique de la Chine unique », sur laquelle la Chine ne laisse rien passer.
Réagissant à cette affaire, la fondation Wikimédia a réagi dans un communiqué pour noter que seule la Chine a émis des objections sur sa candidature. Or, pour la fondation, il lui est essentiel de participer à l’OMPI, car les débats qui y ont cours ont un effet sur ses travaux. Elle appelle l’OMPI à reconsidérer sa position. Le cas Wikimédia devrait être rediscuter au cours de l’année prochaine.
Le sujet de l’île est devenu particulièrement sensible depuis quelque temps. Au cours de l’été, c’est un langage de programmation pour enfants, Scratch, qui s’est retrouvée au cœur de la tempête parce que Hong Kong, Taïwan et Macao figurent dans une liste de pays. Dans un autre genre, La visite à Taïwan du président du Sénat tchèque a déclenché l’ire de Pékin. Des menaces de représailles ont même été lancées, déclenchant, cette fois, une réaction et le soutien d’autres pays, dont l’Union européenne.
(mise à jour avec la déclaration de Wikimédia)
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Abonnez-vous à Numerama sur Google News pour ne manquer aucune info !