L’aveu est terrible. Et va lourdement compliquer la tâche d’Olivier Véran, le ministre de la Santé. Alors que celui-ci ne cesse de répéter à longueur d’interventions publiques que l’application StopCovid est utile dans la lutte contre l’épidémie, et qu’il faut absolument la télécharger sur son smartphone et l’utiliser, son supérieur direct, le Premier ministre Jean Castex, a admis qu’il ne l’avait pas.
Interrogé à ce sujet par Léa Salamé lors de l’émission de France 2 Vous avez la parole, diffusée le 23 septembre, le chef du gouvernement a admis sans hésiter qu’il ne l’a pas installée sur son smartphone. Et cela, même s’il pousse par ailleurs les Français et les Françaises à le faire — ce que lui a fait remarquer la journaliste, qui lui a rétorqué que cela ressemble à du « faites ce que je dis, pas ce que je fais ».
« StopCovid, c’est intéressant quand vous allez dans le métro, quand vous croisez du monde »
Jean Castex s’est alors lancé dans une explication pour démontrer qu’un tel logiciel n’est pas pertinent dans sa situation de Premier ministre, qui, d’après lui, le tient à distance de la foule : « StopCovid, c’est intéressant quand vous allez dans le métro, quand vous croisez du monde. Malheureusement, l’exercice de mes fonctions fait que je ne prends plus le métro. Je vois quand même beaucoup moins de monde de près ».
Pour que StopCovid serve à prévenir des personnes si elles ont été en contact avec une personne malade, il faut bien entendu que l’application soit utilisée de chaque côté — ce qui, dans les faits, est rarement le cas, car le taux d’utilisation de l’application en France est très faible. Et même si ce n’était pas le cas, StopCovid requiert une proximité de moins d’un mètre pendant un quart d’heure pour fonctionner.
La pertinence de l’argument du métro est de ce fait discutable, car ces circonstances ne se produisent pas si souvent que cela dans les transports en commun, du fait d’une part des trajets respectifs que chaque personne suit, et de leur emplacement dans la rame. L’on se croise davantage que l’on ne se côtoie dans ce type de transport. Mais cela est moins vrai pour d’autres moyens de locomotion, comme le TGV, le RER ou l’avion.
Il existe d’autres cas de figure où StopCovid apparaît plus pertinent, comme au cinéma ou dans les restaurants, ou bien les parcs — même si des mesures de distanciation physique sont prises par les gérants de salles ou les restaurateurs, par exemple. Dans ces lieux, où l’on est amené à rester plus d’un quart d’heure, et où un rapprochement peut s’observer, l’application peut alors entrer en action.
La justification implicite du Premier ministre pour ne pas télécharger StopCovid serait donc que dans ses activités quotidiennes, il ne resterait jamais plus d’un quart d’heure et à moins d’un mètre de distance d’individus qu’on ne pourrait pas tracer autrement. Car c’est à ça que sert StopCovid : pouvoir alerter des gens que l’on croise durablement, en situation de promiscuité, mais qu’on ne connait pas.
Ce cas de figure a été illustré dans l’actualité, quand Jean Castex a été obligé de se confiner provisoirement parce que Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, a été testé positif au coronavirus. Les deux hommes étaient restés ensemble deux heures durant dans la même voiture, ce qui laissait crainte une contamination. Mais le vecteur potentiel de l’infection, lui, était connu. Le Premier ministre a passé par la suite deux tests à quelques jours d’intervalle, avec des résultats négatifs.
En clair, il n’en aurait pas besoin parce qu’il lui serait possible de retrouver un malade, ou du moins un cas suspect, parmi ses ministres, ses collaborateurs, le personnel de Matignon, ses proches ou toute autre personne l’approchant longuement. Idem pour ce qui est de sa garde rapprochée, assurée par un groupe de sécurité, et qui d’ailleurs empêche qu’on ne l’aborde de trop près, et trop longtemps.
Les conditions d’exercice de Premier ministre avaient été décrites en 2017 par Édouard Philippe, lors d’une autre polémique. Celui-ci expliquait alors être arrivé dans un convoi de quatre véhicules, accompagné de motards, et un cortège de quinze personnes, incluant un transmetteur de l’armée et un médecin. Autrement dit, en cas de symptôme, Jean Castex pourrait se faire ausculter et tester immédiatement.
Il n’en demeure pas moins que la confession de Jean Castex sur StopCovid risque fort de tourner en boucle jusqu’à la fin de la crise sanitaire, et servir de parade supplémentaire à celles et ceux qui rejettent l’utilisation du programme — cela, malgré les subtilités de son fonctionnement, qui ne le rend pertinent que dans des circonstances spécifiques, où il n’y a pas de distanciation physique durable possible.
Deux ministres n’utilisent pas non plus StopCovid
La brèche que le Premier ministre a ouverte lui-même a évidemment été exploitée par les deux journalistes de l’émission de France 2, qui ont alors lancé un sondage auprès des ministres présents dans l’auditoire pour savoir qui a téléchargé StopCovid. Résultat : deux ministres n’ont pas levé la main : le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti et Marlène Schiappa, en charge de la Citoyenneté.
Si les réfractaires à StopCovid disent vraisemblablement la vérité, puisqu’ils n’ont aucun intérêt politique à se mettre en difficulté, il est impossible de vérifier si les autres utilisent effectivement StopCovid, car la vérification nécessiterait un accès à leur smartphone. Or, la transparence publique connaît certaines limites.
L’aveu étonnamment honnête de Jean Castex sur StopCovid risque toutefois de brouiller un peu plus le message et la stratégie du gouvernement face au coronavirus, puisque cela donne l’impression d’un combat sanitaire à la carte, où même l’exécutif n’utilise pas tous les leviers à sa disposition. C’est en tout cas une difficulté de plus pour Olivier Véran, qui devra sans doute devoir y revenir lors de son prochain point hebdomadaire sur l’épidémie de Covid-19 en France.
Le 26 août, au micro de France Inter, Jean Castex déclarait que StopCovid « n’est pas l’outil majeur de lutte contre la pandémie, j’en conviens volontiers », ajoutant que c’est « un outil dans la panoplie de lutte contre l’épidémie [qui] n’a pas obtenu les résultats qu’on en espérait. Peut-être, je veux bien en convenir, par défaut de communication ». Sans doute Jean Castex en a-t-il commis un autre, jeudi soir.
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