Des messages haineux, des menaces, des photomontages blessants : le cyberharcèlement touche malheureusement de plus en plus de personnes, jeunes ou non, célèbres ou anonymes. Et pourtant les affaires de raids numériques sont encore peu nombreuses à avoir été jugées, même depuis l’entrée en vigueur en 2018 d’une loi punissant les raids numériques en France.
Le cas de Nadia Daam était la première affaire à passer devant la justice pour cyberharcèlement, et les condamnations à 6 mois de prison avec sursis et à 2000 euros d’amende ont fait date. Cette décision fait désormais jurisprudence en France. « Ce sont des jugements importants, qui montrent que la justice prend enfin le cyberharcèlement au sérieux », explique à Numerama Maître Laure-Alice Bouvier, une avocate qui a défendu des plaignants dans une affaire de cyberharcèlement.
La marche à suivre pour aller en justice et mettre fin au harcèlement reste néanmoins compliquée pour les victimes, parfois très jeunes.
Voici comment faire, étape par étape.
Qu’est-ce que le cyberharcèlement ?
Le harcèlement est défini par la loi du 3 août 2018 comme « le fait de tenir des propos ou d’avoir des comportements répétés ayant pour but ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime ». Le site du Service public précise également que « c’est la fréquence des propos et leur teneur insultante, obscène ou menaçante qui constituent le harcèlement ». Le cyberharcèlement est défini par le texte comme du harcèlement si les propos sont échangés sur Internet.
Le cyberharcèlement de meute, aussi appelé « raid numérique » est lui aussi défini par la loi du 3 août 2018. L’infraction est constituée lorsque les propos ou message injurieux sont « imposés à une même victime par plusieurs personnes, de manière concertée ou à l’instigation de l’une d’elles », et ce, même si une personne n’agit pas de manière répétée. Concrètement, le premier message d’insulte peut être condamné. Le cyberharcèlement de meute est aussi caractérisé lorsque les propos « sont imposés à une même victime par plusieurs personnes qui, même en l’absence de concertation, savent que ces propos ou comportements caractérisent une répétition ». Il n’y a pas de seuil de messages à atteindre pour qu’un cas de cyberharcèlement soit considéré comme un raid numérique.
Comment se rendre compte que je suis cyberharcelé·e ?
Se rendre compte qu’on subit du cyberharcèlement peut être difficile. « La plupart des victimes vont se sentir coupables, il est fort probable que vous vous disiez “c’est ma faute je n’aurais pas dû dire ça”. C’est important de se dire que si vous croulez sous les injures juste parce que vous vous êtes exposée en ligne, que vous vous revendiquez féministes, ou que vous avez posté une photo de vous, même dénudée, ce n’est pas normal », insiste Me Bouvier.
« À partir du moment où un seul individu envoie des messages injurieux, il faut porter plainte. Particulièrement si on a peur, qu’on est mal à l’aise, que ça a un impact sur le quotidien, ou que ce sont des messages avec des menaces, il ne faut surtout pas hésiter à aller voir la police. »
Que faire si je suis cyberharcelé·e ? Qui dois-je contacter ?
Le premier réflexe à avoir est de tout enregistrer, de prendre des captures d’écran des messages, de récupérer les liens de vidéos YouTube, de streams sur Twitch, etc. Dans le cas d’un cyberharcèlement de meute, il ne faut pas oublier d’enregistrer le message qui va engendrer le raid, et toutes les réactions. « Il faut récupérer le plus de preuves possible, et ensuite aller voir la police et porter plainte ».
Afin de déposer votre plainte, vous pouvez vous rendre dans un commissariat ou dans une gendarmerie, à l’endroit de votre choix. Vous pouvez également prendre rendez-vous en ligne et préremplir votre plainte depuis chez vous. À partir du moment où la plainte est déposée, une enquête menée par des officiers de police va commencer, dont la durée peut varier, comme pour toutes les affaires.
Que faire si les policiers refusent de prendre ma plainte ?
Les officiers et agents de police sont obligés de prendre une plainte, comme spécifié sur le site du Service public, et ce même « si les faits ne relèvent pas de leur zone géographique de compétence ». Cependant, dans le cas où les officiers refuseraient d’accepter le dépôt de votre plainte, il « ne faut pas hésiter à contacter directement un avocat ou à écrire au procureur », explique Me Bouvier.
Vous pouvez en effet porter plainte par courrier, adressé directement au procureur. Il suffit pour cela d’envoyer une lettre à votre tribunal de proximité, en détaillant les faits et en précisant votre état civil. La démarche est expliquée en détail sur le site du Service public, sur lequel vous pouvez également retrouver un modèle de la lettre à envoyer.
Mes harceleurs sont anonymes, est-ce grave ?
Si les harceleurs ou l’instigateur du raid sont anonymes, l’enquête peut prendre plus de temps, mais elle ne sera pas rendue impossible. Les auteurs des messages ne sont pas vraiment anonymes — ils sont sous pseudonymes. « Il va y avoir une réquisition après des opérateurs et des plateformes », explique Me Bouvier. « Cela va prendre un peu plus de temps qu’une procédure normale, surtout en fonction de la coopération des plateformes ». Elles ne répondent en effet pas toutes à la même juridiction, ce qui peut retarder l’enquête. « Toutes les plateformes n’ont pas la même sensibilité sur les questions de cyberharcèlement », concède Me Bouvier.
Est-ce indispensable de faire un constat d’huissier ?
Il est souvent conseillé de faire constater les preuves, captures d’écran et enregistrements par huissier de justice. Si la procédure permet d’authentifier les pièces (c’est à dire, de confirmer le fait qu’elles n’ont pas été retouchées ou modifiées) et de les rendre plus solides, il n’est pas obligatoire de passer par un huissier. La procédure coûte en effet cher, et prend beaucoup de temps. Numerama rapportait déjà en 2017 que l’authentification d’une capture d’écran pouvait coûter jusqu’à 400 euros, et pouvait prendre entre une semaine et dix jours.
« Passer par un huissier représente un coût », reconnaît Me Bouvier. « C’est mieux de pouvoir les faire authentifier et de les dater, mais il ne faut surtout pas que les victimes soient découragées. Il ne faut pas se dire « je n’ai pas les moyens donc je n’agis pas”. Si les victimes n’ont pas de constat d’huissier, ce n’est pas grave », insiste-t-elle.
Y a-t-il des choses à ne pas faire en cas de cyberharcèlement ?
La première chose à faire quand on est dans un « shitstorm », c’est « de ne pas répondre », conseille Me Bouvier. « Répondre, ça risque d’alimenter la machine et d’aggraver les choses. On risque de dire des choses à chaud qu’on va regretter et qui pourraient plus tard être utilisées contre nous ». Il est d’autant plus important de garder le silence quand on compte porter plainte, explique-t-elle. Même si « ce n’est pas facile ».
Il ne faut pas hésiter à faire des coupures dans les réseaux sociaux, même si beaucoup de personnes en dépendent pour leur travail. Prendre des mesures, comme arrêter pendant quelques jours, ou bien décider de ne pas se connecter le soir et les week-ends peut également être bénéfique.
Un autre point très important : «il ne faut surtout pas s’isoler », insiste Me Bouvier. « On a l’impression qu’on ne peut en parler à personne, parce qu’on a encore l’impression que les réseaux sociaux ce n’est pas la vraie vie. Peu de personnes prennent la mesure de ce qu’on vit, et donc on a tendance à s’isoler, à avoir des idées noires ». Il ne faut surtout pas s’enfermer sur soi-même, et parler à des amis, de la famille, et ne pas hésiter à contacter des professionnels de santé.
Y a-t-il des lignes d’écoutes spécialisées, ou des associations ?
Afin de parler de votre situation avec des professionnels, vous pouvez joindre le 30 18, le numéro d’urgence spécialisé pour les cyberviolences. Le service est gratuit, et il est accessible par téléphone 6 jours sur 7 (sauf le dimanche) de 9 heures à 20 heures. Le service est aussi accompagné d’un site web, le 3018.fr. Vous pouvez également demander à être rappelé, ou choisir de parler par mail ou par l’application Messenger de Facebook, si vous préférez. Ce numéro remplace depuis 2021 le service NetEcoute
Des associations sont aussi spécialisées dans la lutte contre le cyberharcèlement, comme e-Enfance, Marion La Main Tendue, ou Féministes contre le Cyberharcèlement. Elles proposent notamment des guides et des conseils de prévention.
Que faire si le harcèlement continue ?
« Dans la plupart des cas, le harcèlement s’arrête lorsqu’une procédure est engagée, et qu’il y a un procès », rassure Me Bouvier. « Dans le cas de Nadia Daam, la condamnation a mis un coup d’arrêt aux propos injurieux, la meute a rarement tendance à se lever contre les victimes. Ça finit par passer ». Néanmoins, dans le cas où les attaques continueraient, « il faut se rappeler que la justice est toujours là. Même si ce n’est pas facile, il ne faut pas hésiter à refaire le même cheminement, faire des captures d’écran, etc. »
+ rapide, + pratique, + exclusif
Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.
Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.
Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci
Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.
Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :
- 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
- 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
- 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.
Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.
Marre des réseaux sociaux ? Rejoignez-nous sur WhatsApp !