À gauche, une photo de la mannequin Candice Swanepoel, nue, de profil, couvrant son sein de sa main. À droite, dans la même position, la comédienne Celeste Barber, connue pour ses parodies de photos d’influenceuses. À part les modèles, rien ne distingue ces deux photos : les mêmes parties du corps sont dévoilées, les seins (à part, il est vrai, un peu de side boob sur la photo de Celeste) sont cachés, les tétons couverts. Alors, pourquoi est-ce que la photo de Celeste Barber, publiée le 15 octobre, a été censurée par Instagram, et non pas la publication originelle de Candice Swanepoel ?
C’est la question à laquelle beaucoup de personnes cherchent une réponse, et ce depuis de nombreux mois. Ce sont des abonnées de la comédienne qui l’ont prévenue, qui ont reçu une notification leur précisant qu’il était impossible de partager sa publication. Les deux photos ont beau être quasiment identiques, et la publication de Celeste Barber a beau les représenter côte à côte, rien n’y fait : impossible de la partager.
Il était néanmoins possible de le faire pour la photo de Candice Swanepoel. Ce sont les abonnés de la comédienne qui l’ont prévenue, après avoir reçu une notification de la part du réseau social comme quoi la publication ne « respectait pas les règles de la communauté sur la nudité ou sur les activités sexuelles », apprend-on dans The Guardian.
Un algorithme biaisé
Mais derrière cette formule toute faite, lue de trop nombreuse fois à tort sur le réseau social, se cache très probablement un problème algorithmique déjà mis en cause : la censure des corps gros. Ça n’est pas la première fois qu’Instagram est pointé du doigt pour sa censure très sévère, et parfois incompréhensible, contre les photos de personnes de couleur ou en surpoids. Une photo torse nue de la mannequin anglaise Nyome Nicholas-Williams, qui compte plus de 60 000 abonnés, a également été supprimée en juin. En février, c’est la photo de une du magazine Télérama, « Pourquoi rejette-on les gros », qui a été retirée de la plateforme en raison « d’atteinte aux règles concernant la nudité ». Le compte de Barbara Butch, qui pose sur la photo de couverture, a même été suspendu après l’avoir partagée.
Si personne ne sait exactement comment l’algorithme de modération d’Instagram fonctionne, quelques parties ont été révélées. Une équipe de modération du site avait ainsi confirmé en 2019 dans une interview du magazine Fast Company qu’une partie du travail était confiée à de l’intelligence artificielle pour détecter de la nudité. « On peut dire que le machine learning identifie un “pourcentage” de peau, bien que la réalité soit un peu plus nuancée et compliquée », est-il expliqué. C’est à partir de ce pourcentage-là que l’algorithme déterminerait si la publication peut être qualifiée de pornographique ou « à caractère sexuel », et donc si elle devrait être supprimée de la plateforme ou censurée. C’est aussi ce qui expliquerait pourquoi des photos de personnes ayant la même pose mais une corpulence différente puissent être traitées de manière différente : l’algorithme voit très froidement plus de peau par rapport au cadre sur les photos comme celles de Celeste Barber. Une décision qui semble donc oublier les différences de corpulence.
Les problèmes de biais algorithmiques envers les corps gros ne sont pas récents : ils sont dénoncés depuis 2018 par des utilisateurs de la plateforme, sans qu’Instagram change quoi que ce soit. Et malgré cet éclaircissement sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, les décisions de la plateforme sont souvent opaques et beaucoup de questions restent en suspens sur la façon dont le réseau social modère le contenu.
Double standard
En plus de supprimer plus facilement les corps gros, Instagram a aussi la gâchette facile pour les tétons féminins, qui contrairement aux masculins, font régulièrement l’objet de censure. C’est également le cas pour le sang menstruel. Si les règles sont de moins en moins tabou sur Internet grâce notamment au travail de nombreuses militantes, le sang reste toujours un problème sur Instagram. La plateforme avait censuré en 2015 la photo, désormais devenue célèbre, de la poète Rupy Kaur, étendue sur son lit, une tache de sang visible sur son entrejambe.
On voit pourtant toujours des photos sexualisées de femmes sur le réseau social. Comme le relevait Madmoizelle, l’homme d’affaires et joueur de poker Dan Bilzerian peut sans aucun problème partager à ses plusieurs millions de followers une photo de femme nue, sur laquelle est posée un trophée. Par contre, le compte féministe Entrenoslevres, qui publie à titre éducatif des photos de corps dénudé, a été menacé de fermeture par la plateforme. Le double discours du réseau social est difficile à entendre. Les comptes d’humoristes ou de militants, qui sont très fréquemment censurés, ne peuvent pas faire appel de la décision d’Instagram un fois leur compte ciblé.
Le compte Barbara Butch a été remis en ligne peu de temps après sa suppression en février, après la parution de la une de Télérama. Celeste Barber a quant à elle reçu des excuses de la part d’Instagram, qui lui a expliqué que sa photo avait été censurée par erreur. Mais, alors que la plateforme avait promis en juin que le traitement des biais de son algorithme serait une de ses priorités, notamment par rapport aux personnes de couleur, ses efforts ne sont visiblement pas suffisants.
Celeste Barber a d’ores et déjà publié une nouvelle photo. On peut la voir nue, le téton caché par un point noir, à côté d’une photo de Bella Hadid, dans la même position. « Oh salut, je suis juste là pour vérifier vos doubles standards », peut-on lire en légende.
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