C’était au début de l’été 2020. Le Conseil constitutionnel dynamitait la loi Avia contre la haine sur Internet, ne laissant que de rares dispositions intactes, dont la création du bouton de signalement des contenus haineux, la réévaluation à la hausse des sanctions en cas d’alerte abusive et d’infraction à la loi pour la confiance dans l’économique numérique (LCEN).
Depuis cet épisode, la majorité présidentielle cherchait à recoller les morceaux de son plan contre la haine en ligne. Les attentats survenus en France ces derniers mois (pour la seule année 2020, on dénombre six attaques terroristes islamistes ayant causé la mort de 8 personnes et 12 autres blessées), et plus particulièrement depuis la rentrée, ont précipité le calendrier.
C’est ce qu’explique justement la députée Lætitia Avia, dans un entretien à L’Obs. Une « accélération s’est opérée après cet assassinat terroriste qui a causé la mort de Samuel Paty », puisque l’agression survenue à Conflans-Sainte-Honorine a indirectement impliqué les réseaux sociaux — Facebook et Twitter — pour ne pas avoir su ou pu contrer la diffusion de messages hostiles, du terroriste ou d’un parent d’élève.
C’est aussi à l’occasion de cette interview que la principale architecte de la loi contre les contenus haineux sur Internet a livré des éléments sur les suites à donner à son texte, en particulier sur les mesures qui n’ont pas été sabrées par le Conseil constitutionnel. Ainsi, en ce qui concerne le parquet numérique, quelques indications ont été apportées par la parlementaire.
Que fera le parquet numérique contre la haine en ligne ?
Le parquet numérique sera lancé d’ici la fin de l’année 2020 et sera basé à Paris, auprès de Rémy Heitz, le Procureur de la République. Via le parquet, des poursuites pourront être engagées contre les auteurs de messages haineux, du moins contre ceux faisant l’objet d’un signalement via une plateforme dédiée, qui ressemblera peu ou prou à Pharos, qui permet de signaler des contenus illicites en ligne.
« Ce sera le même processus que celui de la plateforme de signalement des violences sexuelles ou sexistes », explique la députée. « Comme ça, il sera possible de déposer plainte sans avoir à se déplacer dans un commissariat ». Mais contrairement à Pharos, qui ne permet pas de lancer une procédure judiciaire, le service associé au parquet numérique entrainera des conséquences devant les tribunaux.
« Aujourd’hui, il y a un cercle vicieux qui fait qu’il n’y a pas de plainte, pas d’enquête menée, et pas de jugement », dénonce la députée. « L’objectif est de le renverser, en saisissant plus facilement le parquet, pour que les enquêtes aboutissent, et que in fine les sanctions effectives contre les pourvoyeurs de haine ». Et pour aller vite, il est question de retoucher l’édifice de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.
Deux solutions sont envisagées : soit modifier la loi, pour y inclure les mesures appropriées pour aller vite, soit sortir de ce texte les délits de haine pour les intégrer dans le droit commun. « Comme ça a eu lieu pour les contenus terroristes », observe Laetitia Avia. « Nous souhaitons vraiment alléger la procédure », pour pouvoir déclencher des amendes, des travaux d’intérêt général, de la comparution immédiate.
Enfin, le parquet numérique aura aussi vocation à traiter les messages de haine venant de l’étranger.« Cela se déroulera de la même manière que pour quelqu’un vivant à l’étranger et commettant un délit en France », prévient l’élue. « Heureusement, notre coopération internationale fonctionne », ajoute-t-elle, en faisant référence par exemple au mécanisme de la commission rogatoire internationale. Cependant, des délais importants pourraient être observés, selon la lourdeur de la procédure et de la célérité avec laquelle le système judiciaire étranger se mobilise.
Quels moyens pour le parquet numérique ?
Reste toutefois une question, cruciale, que Laetitia Avia n’aborde pas : celle des moyens. Ce n’est pas tout de retoucher l’édifice du droit. Encore faut-il donner à la justice les moyens de faire correctement son travail. Or, le ministère de la Justice est l’un des moins bien pourvus. En 2017, la justice n’a eu droit qu’à 4 euros sur 1 000 euros de dépenses publiques, soit 0,4 %. C’est peu pour une mission régalienne.
Il est toutefois à noter qu’un effort est en cours pour lui donner plus de moyens, avec une hausse de 8 % par rapport que ce que prévoyait la loi de programmation votée en 2019, au bénéfice de la justice judiciaire, de l’administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse et des programmes informatiques. La hausse est évaluée aux alentours de 220 millions d’euros.
Quel sera le fléchage au bénéfice du parquet numérique ? Cela reste à voir. Mais le risque d’une insuffisance de moyens existe, à l’image de Pharos. Fin 2019, Le Parisien indiquait qu’il n’y avait eu que 27 policiers pour traiter 213 000 signalements en l’espace de onze mois. Et en 2018, près de 3 100 signalements étaient reçus chaque semaine. Qu’en sera-t-il pour le parquet numérique ?
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