Gérald Darmanin s’y était engagé. La majorité présidentielle le fait. Dans le cadre de la proposition de loi relative à la sécurité globale, le floutage du visage des forces de l’ordre deviendra nécessaire pour les montrer dans l’exercice de leurs fonctions. Dans le cas contraire, la personne à l’origine de cette diffusion ou y participant (par exemple, un retweet) pourra faire l’objet d’une condamnation.
L’article 24 du texte, porté par le député Jean-Michel Fauvergue, ex-patron du RAID, prévoit ainsi un an de prison et 45 000 euros d’amende en cas de diffusion, « par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support », de « l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un policier ou d’un gendarme, quand il est en fonction — le texte parle plus exactement d’une opération de police.
La disposition paraît assujettie au fait qu’il faille démontrer une intentionnalité de nuire. Il est suggéré que ces sanctions s’appliquent si cette diffusion est faite « dans le but qu’il soit porté atteinte à l’intégrité physique ou psychique » du fonctionnaire. Il est précisé en outre que ces mesures de floutage ne doivent pas faire obstacle aux procédures judiciaires ou administratives qui pourraient être requises.
Le texte de loi est la traduction juridique d’un engagement du ministre de l’Intérieur fait mi-novembre à l’occasion d’un d’un congrès de l’UNSA Police. « Personne ne pourra empêcher les gens de filmer » une manifestation ou une intervention policière avec un smartphone, avait reconnu Gérald Darmanin. Mais, ajoutait-il, cela n’interdit pas d’agir à un autre niveau, en sanctionnant « la diffusion des images des visages ».
Il reste à voir si la rédaction actuelle du texte demeurera tout au long du parcours législatif de la proposition de loi.
Cascade d’amendements pour supprimer ou étendre la mesure
D’ores et déjà, on dénombre quatorze amendements sur cet article :
- trois, de l’opposition, demandent sa suppression pure et simple (n°CL179, CL210 et CL341),
- tandis que deux autres (n°CL127 et n°CL215) veulent supprimer l’assujettissement à l’intentionnalité de nuire.
- L’amendement n°CL245 est plus modéré, car il ne veut retirer la mention psychique et ne garder que l’intégrité physique.
Les autres amendements consistent à étendre en fait cette disposition à d’autres corps de métier : la police municipale (n°CL321, CL33, CL74), la douane (CL34), la garde champêtre (CL88), d’un sapeur-pompier professionnel, personnel militaire et personnel de l’aviation civile, ou volontaire (CL108) et même toute personne travaillant dans un commissariat ou dans une gendarmerie (CL129).
Enfin, l’amendement n°CL128 suggère d’appliquer une peine plancher : « L’amende ne peut être inférieure à 30 000 € et la peine d’emprisonnement ne peut être inférieure à six mois ». La proposition est signée Éric Ciotti, comme plusieurs autres amendements. Le député, réputé très soucieux des intérêts des forces de l’ordre, défend depuis longtemps l’idée qu’il faille empêcher la diffusion de ces images.
Restriction de la liberté de l’information
Aujourd’hui, l’anonymat des forces de l’ordre se restreint à des unités précises, incluant les forces spéciales de l’armée, les unités d’élite (RAID, GIGN, etc.), les services secrets ou encore les troupes affectées à la dissuasion nucléaire. Les forces de l’ordre standards n’y ont pas droit. Quant à la cagoule, elle n’est autorisée que dans des cas précis (comme se protéger d’un cocktail Molotov, si on a le temps de le voir venir).
Si la loi est votée telle qu’elle, elle constituerait un renversement notable de la liberté de l’information. Une circulaire de 2008 du ministère de l’Intérieur admet que « les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image » quand ils sont en service (en dehors, ce sont les règles classiques du code pénal sur l’atteinte à la vie privée qui s’appliquent, y compris en ligne).
« La liberté de l’information […] prime sur le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction », est-il dit. Avec deux limites : la préservation des indices et le secret de l’enquête et de l’instruction d’une part, et la réalité opérationnelle du terrain d’autre part, si des risques objectifs existent pour la sécurité et la vie des individus (comme une fusillade en cours).
Le texte de loi a fait réagir David Dufresne, journaliste spécialisé dans les sujets de libertés publiques et de police. Sur Twitter, il rappelle que « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée », en insistant sur le caractère public de cette force.
Un mois auparavant, il soulignait sur France Info que « la police, ce n’est pas une milice. La police, elle doit être identifiable. Elle doit rendre des comptes. Elle en rend peu, et on s’en rend compte précisément ces derniers mois, affaire après affaire ». Or, regrettait-il, tout semble fait pour empêcher son identification : floutage des visages, port de la cagoule quand ce n’est pas autorisé, absence d’immatriculation…
Le floutage des visages pourrait potentiellement être plus admissible si les forces de l’ordre portaient en évidence et en permanence leur matricule. Normalement, c’est obligatoire. La réalité est très différente : de nombreux médias (comme Libération, du Figaro, de France Info ou de La Croix) ont montré que cette consigne était très peu respectée. Et la nouvelle loi n’en fait pas du tout mention.
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