Elle avait fait le « buzz » ce printemps avec une vidéo virale diffusée sur YouTube, dans laquelle elle descendait d’un pick-up aux couleurs militaires et tirait symboliquement avec un fusil de précision sur le contrôle des armes à feu, le Green New Deal, l’ouverture des frontières et le socialisme. Elle annonçait du même coup sa candidature (républicaine) pour représenter le district du nord-ouest de la Géorgie.
Son nom ? Marjorie Taylor Greene.
Sept mois plus tard, la voilà membre élue de la Chambre des représentants des États-Unis. Selon le relevé du New York Times, l’intéressée a très largement survolé l’élection, remportant presque trois quarts des suffrages (74,7 %) du district face à son rival démocrate Kevin Van Ausdal. Et le journal américain note qu’il n’y a plus assez de bulletins restants à dépouiller pour renverser le scrutin.
Une histoire banale dans un État fédéré traditionnellement républicain ? À première vue, oui. Mais ce serait écarter un peu vite le « pedigree » de la nouvelle politicienne. Car, comme l’avaient déjà relevé de nombreux médias outre-Atlantique, Marjorie Taylor Greene n’est pas n’importe quelle Républicaine. C’est une Républicaine qui a épousé les théories du complot de QAnon.
Qu’est-ce que QAnon ?
Si vous n’avez pas beaucoup suivi l’actualité américaine, il faut savoir que QAnon est le nom d’un collectif d’internautes, essentiellement américains, mais pas que, croyant en l’existence d’un complot contre Donald Trump, fomenté par ce qu’on appelle « l’État profond ». Il s’agirait d’un pouvoir parallèle et institutionnel agissant pour contrecarrer les plans du président américain, pour sauvegarder les intérêts de l’establishment.
La mouvance est née à l’automne 2017 à la suite d’un message publié sur 4Chan et a pris de l’ampleur au fil des mois — à tel point maintenant qu’une de ses adeptes va participer à la fabrication législative, même si l’intéressée assurée sur Fox News, à la mi-août, qu’elle n’était pas une « candidate QAnon », qu’elle n’assumait plus ses vidéos de soutien à QAnon et que ses idées n’étaient pas sa priorité au Congrès.
Dans la grille de lecture de QAnon, des personnalités politiques du camp démocrate et des vedettes d’Hollywood sont suspectées, voire accusées de mener des activités criminelles secrètes, incluant des abus sexuels sur mineurs — le Pizzagate, une théorie complotiste alléguant l’existence d’un réseau pédophile autour de Hillary Clinton, est parfois vu comme la genèse de QAnon.
Le succès de QAnon allant croissant, il a fini par pousser le FBI à classer cette mouvance comme une potentielle menace terroriste intérieure en 2019 dans une note interne. Outre-Atlantique, plusieurs incidents impliquant des sympathisants de QAnon ont été rapportés dans les médias. Du côté des réseaux sociaux, notamment Twitter et Facebook, décision a été prise de modérer lourdement ce qui se rapporte à QAnon.
Initialement, Facebook prévoyait de circonscrire sa modération aux seules publications pouvant déboucher sur de la violence (ce qui touchait aussi les groupes paramilitaires). Mais début octobre, le site communautaire a changé d’approche devant la propagation de QAnon d’un sujet d’actualité à l’autre, en faisant croire par exemple que les feux de forêt en Californie ont été déclenchés à dessein.
Une candidate sensible à QAnon
Selon Politico, Marjorie Taylor Greene s’est montrée très tôt sensible à QAnon. Elle alertait en outre de la situation des Blancs. « Les enregistrements dans lesquels Greene passe des heures à fulminer devant ses adeptes des médias sociaux ont été enregistrés directement à la caméra. La date de ces vidéos n’est pas claire, mais il semble qu’elles aient été enregistrées entre fin 2017 et début 2019 », écrit le site.
Le site ajoutait dans son article, mi-juin, que l’intéressée « a déjà fait l’objet de critiques en public pour avoir pris une photo avec un suprémaciste blanc, pour avoir fait circuler une théorie de conspiration selon laquelle le massacre de Las Vegas était un complot visant à abolir le deuxième amendement et pour avoir traité l’un des militants étudiants du lycée de Parkland de ‘petit Hitler’.»
Elle a aussi affirmé que George Soros, un survivant de l’Holocauste a collaboré avec les nazis. Cette teinte antisémite a été rappelée par Conspiracy Watch ce 4 novembre, en commentant l’annonce de sa victoire. Le site spécialisé dans la lutte contre les complots observe qu’elle a dénoncé une « cabale mondiale de pédophiles satanistes » et que George Soros a été qualifié de « nazi ».
Et ce festival de l’outrance ne s’arrête pas là. En février 2019, elle a réagi favorablement un tweet qui incluait des mèmes faisant de Soros un membre d’un prétendu gouvernement mondial secret et totalitaire. Une image montrait Soros comme un vampire qui contrôle chaque politicien démocrate. Et dans une autre vidéo, elle injuriait encore George Soros, suggérant aussi qu’il avait livré son peuple au IIIe Reich.
Plus généralement, les positions de Marjorie Taylor Greene incluent des commentaires racistes et antisémites, des attaques contre l’immigration ou les musulmans, ou bien un parallèle entre le mouvement Black Lives Matter et le Ku Klux Klan. Ces positions ne sont toutefois pas spécifiquement caractéristiques de QAnon, même si une porosité évidente existe.
Il reste à voir si Marjorie Taylor Greene s’est vraiment départie de l’idéologie de QAnon au cours des deux ans de son mandat — et plus, si elle décide de se représenter et de se faire réélire. Comme le soulève le New York Times, l’enjeu n’est pas tant de savoir si le Congrès accueille une partisane ou une ex-partisane de QAnon. L’enjeu est de savoir si ce sera la première et que d’autres suivront.
En clair, poursuit le journal, l’élection de Marjorie Taylor Greene représente le début de l’ascension politique de QAnon ou est-ce son point culminant ? Sans doute la réponse à cette question dépendra de la façon dont s’achèvera l’élection présidentielle américaine. Si Donald Trump repart pour un mandat de quatre ans, les théories du complot de QAnon auront un nouveau terreau dans lequel croître.
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