Le 12 novembre, Hold Up, le film complotiste sur le coronavirus, disparaissait de Vimeo, la plateforme sur lequel il était diffusé depuis près de 24h. En cause, les propos du film de 2h50, mêlant tous les fantasmes autour du coronavirus à un concept économique très flou du Forum Économique Mondial — le « Great Reset ». Vimeo est vite imité par Facebook, qui place un message sur la vidéo précisant qu’elle pourrait contenir des informations « partiellement fausses », puis par YouTube. Mais il y a un site où le film complotiste est massivement partagé : Odysee.
Encore inconnu du grand public avant Hold Up, Odysee est devenu en très peu de temps un hub pour les vidéos conspirationnistes françaises. En revendiquant une liberté d’expression totale et en accueillant les principaux influenceurs complotistes français, la plateforme a attiré à elle tous les opposants à la vaccination. Encore inconnu du grand public avant Hold Up, Odysee est devenu en très peu de temps un hub pour les vidéos conspirationnistes françaises.
Le hub complotiste français
La page d’accueil d’Odysee ressemble à une plateforme classique au premier abord, affichant une mosaïque de vidéos. Des tutos de customisation de guide, des recettes de cuisine, un résumé de la dernière conférence d’Apple .. on trouve un peu de tout et de rien. Mais on trouve aussi parmi les contenus mis en avant des vidéos plus étranges.
On trouve ainsi en première page une vidéo jovialiste, un étrange mouvement canadien créé dans les années 70 qui nous met en garde contre le « nouvel ordre mondial » ; ou encore une autre où on parle d’une « soi-disant pandémie » avant d’évoquer des contacts secrets entre l’armée des États-Unis et des extra-terrestres. D’autres indices sur la page d’accueil permettent déjà aux internautes de se faire une idée des contenus les plus recherchés sur Odysee. Parmi les catégories mises en avant sur le côté de l’écran, deux sautent aux yeux : celle des « révélations », dont l’icône est une petite tête d’alien, et « terrien du lapin », une traduction littérale de l’anglais « rabbit hole », une expression qui désigne les théories du complot. Son icône est un symbole illuminati.
Si la catégorie « Révélations » est relativement inoffensive (on y retrouve principalement des vidéos de tirage de tarot, de voyance ou d’astrologie), ce n’est pas le cas pour celle dédiée aux théories du complot. C’est dans le hub d’accueil de cette catégorie que l’on trouve Hold Up. On y retrouve également tous les thèmes chers à la complosphère : la manipulation médiatique, les vaccins, les fantasmes autour du Great Reset, le parti Démocrate américain qui aurait organisé une fraude massive lors des élections présidentielles. Les sujets plus « classiques » sont également présents : il suffit de taper « Bill Gates », « Rockefeller », ou encore 11 septembre pour être submergé de théories fumeuses. La théorie du complot américaine Qanon, proche du nazisme dans ses ressorts, y a même une chaîne francophone dédiée, Les DéQodeurs, qui compte plus de 35 000 abonnés.
Les « grandes figures » complotistes et certaines figures d’extrême droite sont également présentes sur la plateforme. Le multicondamné, négationniste et antisémite notoire, Dieudonné s’y est installé après avoir été supprimé de YouTube au mois de juin, et y tient désormais une chaîne comptant déjà près d’une cinquantaine de vidéos. Le fondateur de l’association Regenere, (qui fait l’objet d’un suivi pour dérive sectaire par la miviludes) et anti-vaccin Thierry Casasnovas y est également très actif, et a récemment annoncé la sortie d’une « grande enquête sur la vaccination », en 8 parties. Égalité et Réconciliation TV, la webtv lancée par le polémiste et négationniste Alain Soral y est également présente depuis plusieurs années, bien avant son bannissement de YouTube en juillet 2020. Aujourd’hui, plus d’un millier de vidéos sont ainsi en accès libres aux 32 000 abonnés de la chaîne.
Enfin, Silviano Trotta, l’un des invités de Hold Up et personnalité influente parmi les complotistes français, a été l’une des premières figures à quitter YouTube, en septembre 2020, pour se créer un compte Odysee. Il est déjà suivi par près de 69 000 personnes, ce qui en fait la 16e chaîne la plus suivie de tout le site. La popularité des contenus conspirationistes saute aux yeux : les dix vidéos les plus regardées d’Odysee parlent toutes du Covid et remettent en cause soit l’origine de la pandémie, soit l’efficacité des vaccins.
Odysee, le « YouTube libre »
Comment Odysee est-il devenu un haut lieu du complotisme français ? L’histoire du site attire d’autant plus l’attention qu’il a été lancé le 28 septembre 2020, soit à peine un mois avant la parution d’Hold Up. Mais le site n’en est pas vraiment à ses débuts : il s’agit en fait de la nouvelle mouture de LBRY [prononcé « library », bibliothèque en anglais, ndlr], une plateforme créée en 2016. La transition entre les deux s’est déroulée officiellement à la fin du mois de septembre, même si l’ancien site de LBRY reste disponible. Les contenus et les chaînes créés sur LBRY ont entièrement été transférés sur Odysee à l’occasion de la refonte, ce qui explique ainsi que certaines vidéos d’ERTV datent d’avant la naissance officielle du site.
Mais la majeure partie des contenus complistes est arrivée sur le site en 2020, au début de la pandémie de Covid. Il suffit de cliquer sur les profils et les contenus complotistes pour vite se rendre compte qu’ils ont presque tous été créés le mois dernier. Comment un petit site, encore très majoritairement inconnu, a-t-il pu attirer tout d’un coup autant de personnes, et de tels discours ?
Lors de sa sortie en 2016, LBRY est très bien accueilli. Pensé comme une sorte de « YouTube décentralisé », avec un fonctionnement basé sur la blockchain et une possibilité de rémunération en LBC, la cryptomonnaie conçue par LBRY, le site se décrit lui-même comme participant au « renouveau de l’art à l’ère d’Internet ». LBRY se présente également comme « l’alternative » à « YouTube, Instagram ou Spotify, dont les serveurs stockent vos contenus et les rendent accessibles aux internautes […]. » Avant de poursuivre : « Mais cette procédure a des défauts bien connus, particulièrement pour les gens dont les contenus ne sont pas bien perçus par les annonceurs ». Grâce au protocole décentralisé « basé sur la technologie blockchain » de LBRY, explique le site, il n’y aurait plus ce problème : « Le contenu publié sur LBRY n’est pas spécifique à un serveur, ou à un ordinateur », mais à l’ensemble des utilisateurs. Et surtout, « personne d’autre que les créateurs ne peuvent supprimer leurs contenus, ou les bloquer ».
Si LBRY promet néanmoins de « combattre le moche » et d’interdire certains genres de contenus, dans les faits, les seules restrictions dont la plateforme parle dans sa charte concernent les violations au droit d’auteur. Rien sur les propos négationnistes, hors la loi ou sur les fake news, et de fait, il n’y a pas l’air d’avoir de censure sur la plateforme. Interrogé par Numerama sur les discours extrêmes disponibles sur Odysee, LBRY n’a pas répondu. Rien d’étonnant donc à ce qu’une partie des utilisateurs de YouTube, lassés de se faire censurer, se soient retrouvés en masse sur Odysee. Les vidéos et les messages expliquant leurs désertions du site vers son « concurrent libre » se retrouvent facilement.
Et on aurait finalement tort de tout jeter dans Odysee : le projet est légitime et du contenu intéressant s’y trouve. On retrouve des guides pour faire sa propre bière, des tutos beauté pour avoir une peau parfaite, des parties de Minecraft, ou même des guides d’achat immobilier. Et même les contenus plus originaux, comme les lectures de tarots pour prédire les annonces de Jean Castex, ne sont pas dangereux. Mais cet anti-YouTube parviendra-t-il a maintenir suffisamment de contenu normal pour ne pas tout entier tomber dans le terrier du lapin ? Difficile à prédire.
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