Discutée au Parlement, la proposition de loi sur la sécurité globale devient un sujet de préoccupation à l’international. Le 12 novembre dernier, trois rapporteurs du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies ont adressé un courrier aux autorités françaises pour exprimer leurs préoccupations à l’égard de ce nouveau texte sécuritaire, dont un article en particulier cristallise toute l’attention.
La disposition en cause vise à entraver la diffusion de vidéos ou de photos montrant le visage des forces de l’ordre quand elles sont en opération. Compte tenu des sanctions prévues (un an de prison et 45 000 euros d’amende s’il est établi que la vidéo a causé du tort aux forces de l’ordre), l’article aurait pour effet d’obliger à flouter les visages, voire à dissuader de prendre certaines prises de vue.
Selon les deux promoteurs du texte, les députés de La République en marche Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot, cet article n’a pas cet objectif. « Il sera toujours possible pour un manifestant, un journaliste ou un citoyen de filmer les forces de l’ordre sans floutage », assure-t-on dans l’entourage d’Alice Thourot. Et d’ajouter que le mot floutage n’apparait jamais dans le texte de loi.
Sauf que ce n’est pas du tout la lecture qu’en a le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. À quelques reprises, que ce soit devant des syndicats de police, au micro d’une radio ou face aux parlementaires, le « premier flic de France » a bien fait comprendre que c’était bien ce but qui est recherché. « La loi prévoira l’interdiction de la diffusion de ces images », déclarait-il encore début novembre, ajoutant avoir fait une promesse aux gendarmes et aux policiers et qu’il comptait bien la tenir.
Des vidéos légitimes en démocratie
Et c’est un problème, pour les trois rapporteurs de l’ONU. Ils craignent que ce texte cause « des atteintes importantes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, notamment le droit à la vie privée, le droit à la liberté d’expression et d’opinion, et le droit à la liberté d’association et de réunion pacifique », ce qui mettra la France en contradiction avec les grandes conventions internationales.
Sur l’article 24 plus précisément, les trois rapporteurs spéciaux — Fionnuala Ní Aoláin, Irene Khan et Clement Nyaletsossi Voule — écrivent que « l’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentielles pour le respect du droit à l’information, mais elles sont en outre légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques ».
« Son absence pourrait notamment empêcher que soient documentés d’éventuels abus d’usage excessif de la force par les forces de l’ordre lors de rassemblements » ajoutent-ils, même s’ils notent la présence d’un garde-fou. Celui-ci reste toutefois « insuffisamment précis, contrairement aux exigences de légalité ». Il pourrait aussi « décourager », voire se retourner contre celles et ceux à l’origine d’une vidéo.
« La recherche d’infractions commises par des agents de forces de l’ordre, ainsi que les poursuites à leur encontre en vue de lutter contre l’impunité sont un tenant essentiel des valeurs démocratiques », rappellent pourtant les trois rapporteurs spéciaux. Or, ce texte pourrait « conduire à une certaine immunité, produisant une situation d’impunité pour des actes contraires aux droits de l’homme ».
Les trois rapporteurs sont respectivement en charge de la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, de la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, et du droit de réunion pacifique et la liberté d’association.
Débat au Parlement français
Les représentants du Conseil des droits de l’homme ne sont pas isolés dans leurs critiques à l’encontre de cette proposition de loi. Depuis des semaines, les reproches pleuvent, de Reporters Sans Frontières à certains syndicats de police classés à gauche, en passant par la Défenseure des Droits, la Ligue des droits de l’Homme ou des sociétés de journalistes. Dans la société civile aussi, le désaccord est manifeste.
Dans son parcours législatif, le texte de loi arrive à partir de ce 17 novembre en séance publique à l’Assemblée nationale. La discussion devrait durer toute la semaine — des amendements ont été déposés pour faire barrage à cet article 24, mais compte tenu du rapport de force politique actuel dans la chambre basse tout comme de la nature sensible du texte, ils ne devraient pas être adoptés.
Le vote solennel du texte est prévu pour le 23 novembre. Ensuite, il partira au Sénat. Il est à noter que le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte, ce qui n’autorise qu’un seul passage de la loi devant chaque chambre.
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