La proposition de loi relative à la sécurité globale, actuellement débattue à l’Assemblée nationale, n’est pas le seul texte dont la rédaction pourrait forcer la presse comme le public à devoir flouter le visage des forces de l’ordre en opération pour échapper à d’éventuelles poursuites. Du côté du gouvernement, un autre texte en préparation inclut une disposition très similaire, à travers son article 25.
Ce texte est le projet de loi confortant les principes républicains, ex-projet de loi contre le séparatisme. Il a été annoncé cet été par Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, et les grandes lignes du texte ont été avancées par Emmanuel Macron au début du mois d’octobre, lors d’un discours aux Mureaux (Yvelines), qui prenait pour cible le séparatisme islamiste.
L’article, dans sa rédaction actuelle, énonce que « le fait de révéler, diffuser ou transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser, dans le but de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque immédiat d’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique, ou aux biens, est puni de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ».
Il est ajouté que « lorsque les faits sont commis au préjudice d’une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, les peines sont portées à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ».
Ces dispositions sont de toute évidence une réaction à la décapitation de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie et instruction civique dans un collège à Conflans-Sainte-Honorine, qui a été assassiné le 16 octobre pour avoir montré des caricatures de Mahomet dans un cours sur la liberté d’expression. Son nom ainsi que l’adresse de l’établissement scolaire où il travaillait avaient été diffusés sur les réseaux sociaux, facilitant son harcèlement et la possibilité de le retrouver.
Le 20 octobre, face à l’Assemblée nationale, le Premier ministre Jean Castex a proposé la création d’un « délit de mise en danger d’autrui par la publication de données personnelles ». Autrement dit, il a proposé de sanctionner une pratique malveillante connue sous le nom de doxing — un délit que traitent déjà certains textes de loi. Cet article 25 entend toutefois y revenir plus spécifiquement.
Or, sa rédaction est aussi très proche de l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale.
Dans ce texte, il « est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ».
La formulation de cet article 24 est semblable à l’article 25 du projet de loi confortant les principes républicains, qui semble davantage avoir été pensé contre le doxing. Cependant, ses effets pourraient être similaires à ceux qui sont craints avec la proposition de loi sur la sécurité globale, à savoir dissuader de filmer la police et la gendarmerie en opération, au prétexte d’une atteinte à leur intégrité.
Vers une uniformisation des textes
Compte tenu du rapport de force actuel au Parlement, il ne fait guère de doute que l’un et l’autre de ces articles — ainsi que les textes de loi respectifs — seront adoptés : en effet, La République en marche tient l’Assemblée nationale et une droite réfractaire à une sécurité accrue dans le pays n’est pas le scénario le plus probable. Or, ce sont Les Républicains qui tiennent le Sénat.
Cependant, les articles 24 et 25 risquent d’une part de faire doublon, mais aussi d’avoir un désalignement des peines. Il est question dans le premier d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros, et dans le second de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Ce souci est visiblement apparu chez La République en marche, car des cadres du parti ont fait savoir qu’une uniformisation était à attendre.
Il est à noter que le projet de loi confortant les principes républicains, du fait de son statut de projet de loi, aura droit non seulement à une étude d’impact, mais aussi un avis du Conseil d’État, ce que n’a pas pu avoir la proposition de loi sur la sécurité globale, puisqu’elle vient du Parlement. Le texte de loi de l’exécutif bougera probablement d’ici sa présentation en Conseil des ministres, prévue début décembre.
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