Le coup d’arrêt à l’article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale pourrait-il venir de la droite au Sénat ? C’est dans cette direction que le parti des Républicains, qui est majoritaire à la chambre haute du Parlement, se dirige, à en croire les confidences de Philippe Bas au Monde. L’intéressé juge en effet qu’il va falloir « corriger » cet article, qui est vivement contesté depuis des semaines pour le tort qu’il risque de porter à la liberté d’informer en France.
L’ex-président de la commission des lois, aujourd’hui questeur au Sénat, considère ce délit imaginé par La République en marche « inapplicable et inconstitutionnel ». Il porte en outre « atteinte à la liberté de la presse » et n’est en plus d’aucune aide pour les forces de l’ordre. Le sénateur y voit « un vrai marché de dupes pour les policiers, qui n’en retireraient aucune protection ». Compte tenu des forces en présence au Sénat, l’opposition du parti LR à cet article 24 pourrait signifier sa fin.
L’article 24 de la proposition de loi, qui vise à punir d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende la diffusion malveillante d’images de policiers et de gendarmes pendant leur service (comme une opération de maintien de l’ordre), a été approuvé en commission à l’Assemblée nationale, ainsi qu’en séance lors de l’examen général. Il doit maintenant être validé au cours du vote solennel qui aura lieu le 24 novembre. Le texte filera ensuite au mois de janvier 2021 au Sénat.
Des fractures observées dans la majorité
Sauf coup de théâtre, la proposition de loi sur la sécurité globale devrait être votée par l’Assemblée nationale, dans la mesure où La République en marche tient la chambre basse du parlement. L’ampleur du soutien de la majorité présidentielle est toutefois une énigme : des députés LREM comme Éric Bothorel, Nathalie Sarles ou Caroline Janvier ont en effet déclaré qu’ils voteront contre — ce qui marque une vraie fracture. D’autres pourraient suivre ou s’abstenir.
Au sein du gouvernement aussi, la rédaction de l’article 24 fait réagir. Du côté de Roselyne Bachelot, en charge de la culture et de la communication, elle déclare vouloir rester « vigilante à ce que soient préservées les libertés fondamentales », même si elle a approuvé la nouvelle formulation dudit article par le gouvernement, pour calmer les esprits. Son collègue à la Justice, Éric Dupont-Moretti, a expliqué que l’exécutif « n’est pas figé » sur ses positions.
L’intéressé a par ailleurs souligné que « le droit pénal est d’interprétation stricte, et on ne peut pas poursuivre en droit pénal français des gens pour une intention, mais pour un acte ou pour un fait. Ça fait partie des choses que j’ai dites et que j’ai transmises ». Or l’article 24 est bâti sur l’intention supposée qu’a un tiers de vouloir manifestement porter atteinte à l’intégrité psychique ou physique des forces de l’ordre, en diffusant une vidéo les montrant en opération, éventuellement avec des commentaires.
Même la Commission européenne a pris la parole, après des responsables onusiens, signe des préoccupations croissantes sur les initiatives législatives en France. « Les États membres doivent trouver le juste équilibre entre sécurité publique et protection des droits et libertés des citoyens. En temps de crise, il est plus important que jamais que les journalistes puissent travailler librement & en toute sécurité », a déclaré Věra Jourová, la vice-présidente chargée des valeurs.
Par ailleurs, l’évacuation violente d’un camp de migrants à Paris, survenue dans la soirée du 23 novembre, pourrait également faire bouger les lignes. De nombreuses vidéos ont circulé sur les réseaux sociaux montrant un usage excessif et gratuit de la force, avec des coups portés aux réfugiés, mais aussi à plusieurs journalistes qui se trouvaient près des évènements. Paradoxalement, cette expulsion sans ménagement a révélé tout l’intérêt de pouvoir filmer et diffuser des opérations de police.
La suite, en pire, dans la loi contre les séparatismes ?
Il reste à savoir quel sort sera réservé à l’article 24 au cours de l’examen de la proposition de loi sur la sécurité globale, car quelques étapes doivent encore être franchies — dont la saisine probable du Conseil constitutionnel, qui pourrait retoquer cette disposition et un certain nombre d’autres pans de la loi. Son éventuelle disparition pourrait toutefois n’être qu’une victoire de courte durée. Le journaliste Gauthier Vaillant, de La Croix, signale que la mesure sera déplacée dans la loi contre les séparatismes.
Ce pourrait être pire. Outre un durcissement général des sanctions, l’article concernera d’abord tous les agents publics et non plus seulement les forces de l’ordre, mais en plus il sera en plus ancré dans le code pénal et non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Selon le journaliste Pierre Januel, c’est « une très mauvaise nouvelle pour les journalistes, qui ne bénéficieront plus de la protection de la loi de 1881 et pourront être envoyés directement en comparution immédiate ».
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