« Je sais que cela suscite beaucoup d’interrogation », reconnait d’emblée Élisabeth Moreno. Et en effet, lors de la conférence de presse organisée pour les un an du Grenelle des violences conjugales, peu de questions portent sur les accomplissements, et beaucoup sur le 3919, le numéro national d’aide téléphonique pour les victimes de violences conjugales.
Le sujet s’est hissé sur le devant de la scène depuis le 16 novembre, avec une tribune publiée sur le Monde, « Demain, qui répondra aux appels des femmes victimes de violences ? » La raison de la tribune : la gestion du 3919, gérée depuis près de 30 ans par la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), qui va être mise en concurrence par le gouvernement. Une annonce qui préoccupe toutes les associations d’aide aux victimes ainsi que les médias, au point qu’elle a monopolisé presque toute la conférence de presse, à laquelle Numerama a assisté.
Et la ministre a beau avoir tenté de rassurer sur les intentions du gouvernement, la mise en concurrence inquiète toujours autant, et les associations ne sont pas convaincues par ses promesses.
Un passage par une mise en concurrence « obligatoire »
Cette mise en concurrence vient pourtant à la base d’une bonne nouvelle : l’apport de subventions supplémentaires, afin de pouvoir assurer le service d’écoute 24h sur 24, 7 jours sur 7, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais voilà, pour recevoir une telle subvention, l’état doit obligatoirement passer par un marché public, et une mise en concurrence. « Dès que l’État prend en charge 100 % du financement d’un service, on a pas d’autre choix que de passer par un marché public », a justifié dès le début Élisabeth Moreno. « Je ne fais pas la loi, je la respecte ». L’avocate Fleur Jourdan, interviewée par le site Rockie sur la question, le souligne aussi : il fallait que le gouvernement en passe par là, sous peine que la décision d’attribuer les subventions à la FNSF ne soit cassée par la Cour des comptes.
Il reste que la position du gouvernement déçoit les associations, qui critiquent une décision « incompréhensible ». « Le numéro 3919 appartient à la FNSF », nous explique Françoise Brié, sa porte-parole. « Nous avons été à l’initiative de sa création, c’est une mission d’intérêt public, et un tel service ne peut pas dépendre d’un appel d’offres. On est très inquiètes. Le 3919 c’est aussi tout un ensemble d’association partout en France. L’attribuer à quelqu’un d’autre, ça déstabiliserait toute l’organisation.»
L’association envisageait jusque-là de saisir le Conseil d’État afin de demander l’annulation du marché public et d’instaurer des conventions pluriannuelles d’objectifs, comme c’était le cas avant, mais il faudrait pour cela que le ministère soit d’accord pour le saisir également, ce qui n’est pas le cas.
« Tout ne doit pas passer par le marché »
En dépit de la déception des militantes, la ministre a tenté de rassurer, en promettant notamment que seules d’autres associations travaillant dans les secteurs du social et du solidaire pourraient postuler, et qu’aucune entreprise à but commercial ne serait retenue. « L’État a l’intention d’améliorer ce service, pas de le dégrader », a-t-elle insisté. « L’objectif principal est de recueillir les appels des victimes, certaines vont simplement appeler pour avoir un conseil, d’autres vont parler pendant 1 heure. Il ne s’agit pas de parler de combien d’appels sont passés, il faut s’assurer que toutes les femmes qui ont besoin de parler soient entendues ».
Mais là encore, les assurances du gouvernement ne convainquent pas. « La restriction des associations à celles du secteur solidaire et social est un bon début, mais ça reste quand même une mise en concurrence », note Françoise Brié. « La soumission au marché public a un impact sur le coût des prestations, qui pourrait nous obliger à des durées d’appels réduites ». Même déception chez l’association Nous Toutes, partenaire de la FNSD. « On n’est pas du tout rassurées par ces annonces », explique Pauline Baron, la coordinatrice de l’association, contactée par Numerama au téléphone. « Réserver le marché aux associations, très bien, mais on ne sait pas si les répondants seront bien formés. On a l’habitude du gouvernement, qui dit que c’est la grande cause du quinquennat, et dont les actions ne sont jamais au niveau », assène-t-elle.
Surtout, c’est la logique du gouvernement qui interpelle les associations et les féministes. « Leur argument c’est ‘on n’a pas le choix’ mais ma conviction, c’est que c’est un gouvernement libéral de droite qui pense que le marché est le meilleur instrument pour réguler, ce qui est faux », juge la militante Caroline De Haas auprès de Numerama. «On ne peut pas être dans une démarche de rentabilité sur les services sociaux. À chaque fois qu’il y a eu des mises en concurrences sur des numéros de téléphone de ce type, comme en Espagne ou en Italie, ça a été catastrophique ». L’exemple de ces deux pays revient souvent. Il est difficile de trouver des informations sur l’organisation de ces services dans leur pays respectif, mais Françoise Brié parle d’une « instabilité » des lignes téléphoniques depuis leurs mises en concurrence. Et les changements à répétition rendent le problème encore plus complexe à gérer.
La situation risque-t-elle pour autant de devenir aussi instable en France qu’en Espagne et qu’en Italie ? « C’est difficile de savoir », estime Françoise Brié, « pour l’instant, notre préoccupation principale reste cet appel d’offres à remporter », explique-t-elle. « Mais même si nous gagnons le marché, rien ne dit que dans 3 ans, quand il faudra renouveler le contrat, on sera à nouveau choisies. »
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