« Stop Amazon », « Noël Sans Amazon », « Boycottez Amazon », « Sauve ton Commerçant ». Ces dernières semaines, les initiatives et les actions contre le géant américain se multiplient en France, et les politiques se sont emparés de ce sujet. Une problématique d’autant plus sensible que le pays est à peine en train de sortir progressivement d’un confinement d’un mois, et que les fêtes de fin d’années, lors desquelles certains commerçants réalisent la majorité de leurs chiffres d’affaires, sont presque là.
Au milieu de critiques justifiées contre Amazon, on trouve un grand nombre d’attaques politiques ou de revendications militantes. Des amalgames de plusieurs griefs, qui sont parfois difficiles à démêler et à dérouler. Alors, que reproche-t-on vraiment à Amazon ? La question est plus souvent plus complexe qu’elle n’en a l’air.
Numerama fait le point.
Amazon ne paie pas d’impôts en France
Pendant longtemps, cette phrase a été vraie, tout du moins en partie : Amazon est connu pour ses pratiques « d’optimisation fiscale ». L’entreprise a pendant longtemps fait passer une grande partie de ses résultats et de ses bénéfices par ses filiales situées dans des paradis fiscaux, ou à la fiscalité plus souple qu’en France. En 2019, de nombreux journaux et associations avaient été révoltés d’apprendre que la firme n’avait payé que 10 millions d’euros d’impôts malgré un chiffre d’affaires et des bénéfices records.
La nouvelle avait ému au point que le PDG d’Amazon France, Frédéric Duval, avait des mois plus tard rendus publics les résultats de l’entreprise, et annoncé qu’elle avait finalement versé 250 millions d’euros au FISC en 2018, pour un chiffre d’affaires de 4,5 milliards euros. En 2019, ses revenus ont à nouveau été rendus publics : pour un chiffre d’affaires de 5,7 milliards euros, Amazon a payé 420 millions d’euros en impôts à l’État français. Ce n’est pas tout : la firme avait également accepté de payer 200 millions d’euros en 2018 pour solder ses arriérés d’impôts.
L’évasion fiscale est pratiquée par toutes les entreprises étrangères et par de nombreuses autres grandes entreprises : dans un rapport publié en 2018, l’ONG Oxfam pointait du doigt les pratiques de certaines des plus grandes entreprises du CAC 40.
Par leur caractère opaque, les chiffres exacts du montant de l’évasion fiscale en France sont difficiles à calculer. Le gouvernement a cependant estimé qu’elle coûtait chaque année plusieurs milliards à la France, et près d’une centaine de milliards au niveau européen, ce qui montre l’omniprésence du problème. Mais sa solution ne se trouve pas entièrement chez Amazon : une grande partie de l’optimisation fiscale repose sur des mécaniques économiques supra-nationales légales — et leur réforme éventuelle pour mieux redistribuer localement les richesses devra prendre en compte les spécificités d’un marché mondialisé.
Amazon traite mal ses employés
Amazon est accusé de mal traiter ses employés, et ce depuis longtemps : dès 2014, en France, les premiers articles montrent que le géant de la vente n’est pas tendre avec ses salariés. Que ce soit aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne ou en France, partout, un constat s’impose : les salariés d’Amazon sont épuisés, travaillent dans des conditions affreuses, ne sont pas assez protégés, et certains sont même trackés en permanence. Les mauvaises conditions de travail ont été d’ailleurs la source des revendications pour faire fermer Amazon France pendant le premier confinement.
En France, Amazon est loin d’être le seul à traiter durement ses salariés. Une grande partie des employés du secteur logistique et de la grande distribution se plaignent de très mauvaises conditions de travail et de salaires ridicules. En 2016, un article du Monde parlait des préparateurs de commande, dont le rôle est de rassembler les différents produits d’un colis en courant dans tout l’entrepôt afin de pouvoir l’expédier dans les temps, comme « les nouveaux mineurs ». Et c’est un fait, les employés d’Amazon ne sont pas les seuls : les employés d’un drive de supermarché sont privés de pause en 2015, un salarié d’un drive Leclerc était viré de son poste en 2014 parce qu’il n’était pas assez rapide.
Les exemples sont nombreux, mais ne dédouanent pas Amazon de ses propres pratiques : tout au mieux constate-t-on que la logistique des entrepôts est un problème social à grande échelle.
Amazon est mauvais pour l’environnement
L’impact d’Amazon sur l’environnement est désastreux, conclut le rapport publié en 2019 par les organisations Attac, Les Amis de la Terre, Droit au Logement, et l’Union syndicale Solidaires. À elle seule, la branche Amazon Web Service (les serveurs web) aurait émis 55,8 millions de tonnes de gaz à effet de serre dans le monde en 2018, soit l’équivalent des émissions du Portugal. C’est sans compter les gaz rejetés par les milliers de camions de livraison allants et venants entre les entrepôts et les centres de tri. Pour chaque centre logistique Amazon implanté, on estime une circulation accrue : un camion toutes les 5 minutes, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24 pour un centre près de Metz, 600 camions par jour pour le site de Senlis.
Et il n’y a pas que les camions qui posent problème. Les entrepôts eux-mêmes sont de plus en plus pointés du doigt à cause de leur taille titanesque (on parle de 8 terrains de football pour l’entrepôt de Senlis), de leur hauteur (18 mètres de haut, soit l’équivalent d’un immeuble de 6 étages pour le projet Amazon près du Pont du Gard), mais aussi, pour leurs implantations. Des dizaines d’hectares de terres agricoles sont ainsi chaque année bétonnés pour pouvoir construire les centres Amazon, une catastrophe écologique pour les espèces locales, déboussolées par ces énormes bâtiments, mais également pour les sols. L’artificialisation à outrance des sols et des terres cause de graves problèmes, comme les glissements de terrain et les inondations.
Les conséquences de l’implantation d’Amazon peuvent être particulièrement nocives pour l’environnement et très visibles pour les voisins, mais elles ne sont pas nouvelles. L’installation depuis des dizaines d’années de gigantesques centres commerciaux en dehors des centres villes a eu exactement le même impact qu’Amazon. On repense notamment au projet gargantuesque d’Europa City, finalement abandonné en 2019 après des années de protestation d’associations locales. En connaissance de toutes ces dégradations environnementales potentielles, ce sont finalement les autorités locales qui ont le dernier mot et délivrent des permis de construire — à un Amazon, à un concurrent ou à un centre commercial.
Il faut également mettre en perspective la pollution générée par Amazon. Une enquête du journal anglais The Guardian publiée en 2019 montrait que les 20 entreprises les plus polluantes au monde étaient responsables de plus d’un tiers des émissions carbone. Parmi elles, les grands noms de l’industrie pétrolière, dont Saudi Aramco (décrétée la plus polluante au monde, avec 59,26 milliards de tonnes de CO2 rejetées dans l’atmosphère depuis 1965). Le français Total y est, 17e, avec 12,35 milliards de tonnes de CO2 rejetées. Amazon ne pollue pas assez pour figurer dans la liste.
Amazon détruit des emplois
Les arguments les plus percutants d’Amazon contre ses détracteurs restent le nombre d’emplois que la plateforme créerait chaque année. Le groupe se vante ainsi d’avoir créé plus de 130 000 emplois à travers la France depuis son implantation dans le pays, en 2000, et « plus de 9 300 CDI à la fin de 2019 ». Elle précise également avoir aidé indirectement à la création de 110 000 emplois, principalement dans les filières de la logistique et du transport, selon une étude du cabinet Keystone.
Pourtant, ces chiffres sont de plus en plus critiqués, particulièrement depuis la publication d’une note d’analyse par le député du XIXe arrondissement parisien et ancien secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi. Il démontre entre autres qu’Amazon aurait détruit plus d’emplois qu’il n’en aurait créés, et estime à 7 900 le nombre de postes perdus pour la seule année 2018. Un chiffre obtenu par le député en « en déduisant les embauches d’Amazon et des vendeurs tiers aux suppressions d’emplois dans le commerce physique », comme il l’explique dans son rapport. Ainsi, toujours selon les calculs du député, pour chaque emploi créé en France par Amazon, 2,2 seraient détruits dans les commerces traditionnels.
Mais, encore une fois, il faut noter que l’exode et la disparition des commerces des centres-villes ont débuté il y a des années. L’implantation de gigantesques centres commerciaux dans les périphéries des villes, initiée dans les années 1970, continue de battre des records en France.
« En Europe, la France possède le deuxième plus grand nombre de centres commerciaux après le Royaume-Uni. Le marché est en plein essor, avec la construction de nouveaux projets et la rénovation des structures existantes. En France, le nombre de centres commerciaux a augmenté ces dernières années », détaille une étude du cabinet d’étude Businesscoot, parue en 2020. Un secteur en pleine croissance donc, qui participe depuis de nombreuses années déjà à la désertion des centres-villes, comme le notait déjà Le Figaro en 2017. Franck Gintrand, le délégué de l’Institut des territoires, estime ainsi qu’un emploi créé dans un grand centre commercial équivaut à 3 emplois détruits en centre-ville. Une dynamique qui été donc déjà instaurée depuis des années, et qui a d’ailleurs certainement aidé Amazon à s’implanter encore plus dans les habitudes de consommation des Françaises et des Français.
Enfin, Amazon a participé à la transformation numérique du commerce avec sa Marketplace. Récemment encore, Patrick Labarre, en charge de la Marketplace d’Amazon France, expliquait au micro d’Europe1 permettre à « plus de 11 000 entreprises de vendre sur Amazon et d’exporter à l’étranger », ce qui leur permet de « réaliser à travers Amazon 350 millions d’euros de chiffre d’affaires ». Il estime également que ces 11 000 PME ont généré 13 000 emplois. « On désenclave les régions », se vante également Patrick Labarre. Sans aller jusqu’à dire qu’Amazon permet à des milliers de petits artisans de vivre en France, il faut reconnaître que la plateforme aide énormément certaines PME à réaliser leurs chiffres d’affaires grâce à sa logistique et à son service client impeccable.
Amazon détruit ses invendus
Amazon participe-t-il au gâchis de certains produits ? C’est sûr. Épinglée par un reportage du magazine Capital, sur M6, en 2019 sur la destruction de produits invendus, la plateforme américaine et ses méthodes avaient choqué les téléspectateurs. Pourtant, si la firme détruit bien à grande échelle des produits encore parfaitement utilisables, elle n’est encore une fois pas la seule à le faire.
La logistique à flux tendu a toujours exigé des grandes surfaces, comme les hypermarchés, qu’elles écoulent énormément de stock en très peu de temps, à tout prix. Les chaînes logistiques mises en place par ces entreprises fonctionnent peu ou prou de la même façon que celle d’Amazon : stocker coûte plus cher que de détruire. Cette manière de s’approvisionner est d’ailleurs très bien résumée dans un article du blog spécialisé MiniMachines, qui explique les mécanismes que la grande distribution a mis en place depuis des années, et que les nouveaux services de vente à distance, comme Amazon ou encore Alibaba, ont perfectionné et révolutionné.
Le problème n’est donc pas nouveau, et la seule différence aujourd’hui entre Amazon et les grandes surfaces comme E.Leclerc ou Carrefour, c’est que les hypermarchés signent de plus en plus d’accords anti gaspillage avec les associations afin que la nourriture ne soit plus jetée. Essentiel, mais insuffisant : c’est toute la chaîne qui est conçue autour de ce gaspillage qu’il faut repenser.
Amazon sera bientôt en position de monopole
Le poids d’Amazon est énorme, il faut le reconnaître. La plateforme règne en maître sur le secteur de l’e-commerce français, selon une étude de la FEVAD, la fédération du e-commerce et de la vente à distance. Paru en février 2020, le rapport nous apprend qu’Amazon occupe la première place du marché, avec plus de 27 millions d’utilisateurs, loin devant la Fnac et ses 13 millions de clients. Une bonne nouvelle cependant : sur le top 10 des entreprises, on retrouve 7 entreprises françaises.
Amazon occupe encore la première place pour les ventes à distance dans le secteur de la culture, de la mode, de la beauté, des meubles et décoration, des jouets, pour les marketplaces, et de l’électronique. La firme ne se fait battre que dans des secteurs de niche, comme la réservation de billets, et dans le domaine de l’alimentaire, ou elle est en troisième position.
En dehors de la vente à distance cependant, Amazon est complètement dépassé, et est bien loin des géants de la distribution que sont E.Leclerc et Carrefour, les leaders du secteur. Sur 2019, E.Leclerc a réalisé un chiffre d’affaires de 48 milliards d’euros, Carrefour 38 milliards, loin devant les 5,7 milliards d’Amazon, qui passe pour un nain face à l’industrie du commerce française.
Amazon a un problème de contrefaçon
Dernier reproche couramment fait à Amazon : la contrefaçon. Et c’est un vrai problème pour le groupe américain, qui a d’ailleurs lancé une unité spéciale en juillet 2020 ayant pour seul but de lancer des actions en justice contre les enseignes vendant des produits de contrefaçon sur son marketplace. Un problème de très grande ampleur et qu’Amazon a du mal à endiguer, et ce depuis déjà des années. La situation est telle que la marketplace Amazon France a été placée sur la liste noire des revendeurs par la Maison-Blanche cette année, malgré les mesures mises en place en début d’année par le groupe.
Et ça, une simple recherche pour des AirPods vous prouvera que le géant n’a rien résolu.
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