Alors qu’elle a voté l’article 24 quasiment comme un seul homme, la majorité parlementaire emmenée par La République en marche (LREM) veut maintenant réécrire cette disposition très controversée.

En principe, le travail parlementaire est censé se faire avant de voter la loi, pas après. C’est pourtant à ce très étrange exercice que la majorité parlementaire entend se livrer. Alors que la proposition de loi sur la sécurité globale a été adoptée à l’Assemblée nationale le 24 novembre, voilà que les patrons de La République en marche (LREM), du MoDem et d’Agir disent vouloir une « réécriture totale » de son article 24.

L’article 24 punit la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre. Si la majorité jure qu’il ne nuira pas à la liberté d’informer, ses effets sur le terrain pourraient bien être néfastes pour la presse mais également pour tous les citoyens.

La manière dont la principale force politique à l’Assemblée nationale compte s’y prendre est floue. En effet, ce n’est plus au niveau de la chambre basse du Parlement que cela se joue, mais au Sénat, la chambre haute. Le texte doit être examiné à partir de janvier 2021. Or ici, ce n’est pas LREM qui est en position de force, mais Les Républicains (LR). Et rien ne dit que la droite entendra coopérer avec LREM.

Une réécriture au Sénat, mais pas celle qu’espère peut-être LREM

L’hypothèse la plus plausible consisterait en un travail de réécriture qui surviendrait en commission des lois et en séance publique, avant le vote du texte par les sénateurs. Or, si l’article 24 est adopté dans une rédaction différente de celle choisie par l’Assemblée nationale, il faudra une commission mixte paritaire (sept députés et sénateurs) pour trouver une formulation unique.

Et pour que la version du Sénat triomphe, il sera attendu que les députés présents dans cette commission mixte paritaire cèdent face aux sénateurs. Cette commission pourrait aussi devoir trancher de nombreux autres articles de loi, si plusieurs pans du texte de la sécurité globale sont adoptés dans des termes différents. Or, rien ne dit que sur les autres dispositions, les députés reculent.

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Christophe Castaner, qui a été ministre de l’Intérieur, est désormais président du groupe LREM à l’Assemblée nationale. // Source : Mathieu Delmestre

Cette initiative soulève plusieurs questions d’ordre politique. Il n’est pas sûr d’une part que le Sénat apprécie la façon dont il est traité, à savoir une simple chambre d’enregistrement pour corriger les errements de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. Les élus LREM pourraient aussi trouver à y redire, car le parti se retrouve malmené par l’exécutif au gré de ses tentatives de rattrapage sur cet article.

Cette séquence est du pain béni pour l’opposition qui appuie sur l’amateurisme de la majorité. « L’exécutif et sa majorité vont d’erreur en erreur », a lâché Bruno Retailleau, qui préside Les Républicains au Sénat. « N’en déplaise aux députés LREM, l’article 24 est toujours dans le texte qui a été transmis mardi dernier au Sénat. Conformément à la Constitution, sa réécriture dépend donc désormais du Sénat. »

En outre, tous ces efforts de réécriture pourraient en fait ne servir à rien. Le Premier ministre Jean Castex a fait savoir courant novembre qu’il saisira le Conseil constitutionnel pour lui demander de contrôler la conformité de l’article, et de la proposition de loi sur la sécurité globale en général, à la Constitution. Or, l’instance est susceptible de prononcer une censure partielle, voire totale, au nom de la liberté d’informer.

C’est cette menace sur la presse qui a poussé le professeur de droit Dominique Rousseau, qui officie à la Sorbonne, à dire « qu’écrire l’article 24 de la loi sécurité globale était une erreur. Le faire réécrire par la Commission nationale consultative des droits de l’homme [une idée abandonnée depuis, NDLR] est une autre erreur, une insulte au Parlement et un piège pour cette commission ».

Et de conclure : « Ce n’est pas d’un nouveau stylo dont l’article 24 a besoin, mais d’une gomme. »

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