Le 22 octobre, quelques jours avant le début du deuxième confinement national de la France, Lucas* et son collègue se rendent dans un restaurant situé en banlieue de Saint-Étienne. Un restaurant fréquenté par beaucoup d’employés des entreprises voisines, installé dans une zone commerciale, entre un studio télé et un magasin vendant poêles en fonte et cheminées.
« Un resto pas mal du tout pour manger le midi, avec plat du jour et service rapide et plutôt agréable », explique-t-il. Lucas et son collègue travaillent non loin de là, et y vont occasionnellement. Ce jour-là, comme le demandent les consignes du gouvernement pour faciliter le traçage des contacts et lutter contre la pandémie de Covid-19, ils laissent leur numéro de téléphone au restaurant, en écrivant leur numéro à la main, dans un carnet. Mais quelques jours après le début du confinement, le lundi 9 novembre, un peu avant 10h, Lucas et son collègue reçoivent un SMS de la part de ce même restaurant.
« Plateaux repas et pizzas à emporter », peut-on lire sur le texto, qui contient également un lien vers la page Facebook du restaurant ainsi que son numéro de téléphone.
Pendant 3 semaines, tous les lundis, à la même heure, ils recevront ce même message. Ils n’avaient jamais donné auparavant leur numéro de téléphone à des fins publicitaires, et n’ont à aucun moment donné leur accord pour être mis dans des listes de diffusion. Lucas affirme également n’avoir jamais réservé de table chez eux, et en est convaincu : le seul moyen pour le restaurant d’avoir eu accès à son numéro de téléphone, c’est par ce carnet.
Une pratique illégale
Contactée par Numerama, la CNIL explique pourtant que la pratique n’est pas du tout autorisée. Obligée de statuer en urgence en octobre lors de l’annonce de la mise en place du traçage de contact dans les restaurants, la commission nationale est formelle : « les informations collectées dans les “cahiers de rappel” doivent uniquement être utilisées pour faciliter la recherche des “cas contacts”, lorsque les autorités sanitaires en font la demande », explique-t-elle sur son site.
Le gendarme français des libertés individuelles précise également dans son rapport que « toute autre utilisation (par exemple : inviter les clients à une soirée à thème, faire des promotions sur les menus proposés, transmettre les données à des partenaires commerciaux, envoyer un questionnaire de satisfaction aux clients, etc) est strictement interdite ». Or, c’est exactement ce qu’a fait le gérant du restaurant dans lequel Lucas s’est rendu. De plus, la CNIL précise que pour toute communication professionnelle par SMS, comme le démarchage, des annonces ou encore des messages publicitaires, il faut un consentement explicite du client, qui doit également pouvoir facilement dire non, ce que Lucas et son collègue n’ont pas pu faire. D’autant plus que l’on peut imaginer qu’il est sûrement loin d’être le seul à avoir reçu ce genre de SMS. Un cas d’école et un exemple assez parlant de ce qui est considéré comme inapproprié par la CNIL.
Au bout de 3 semaines, Lucas a finalement entrepris de transférer le SMS au 33700, le service de prévention des spams par SMS. Cette semaine, ni lui ni son collègue n’ont reçu de message de la part du restaurant.
« On essaie de garder la tête hors de l’eau »
Contacté par Numerama, le gérant du restaurant explique qu’il n’était pas du tout au courant de l’illégalité de ces SMS, et se montre inquiet : « On a un fichier client depuis 6 ans, qui compte 950 noms », indique-t-il, et « c’est pour eux qu’on a fait une campagne de SMS, pour sortir la tête de l’eau, et assurer des livraisons le midi ». Il ajoute ne pas savoir comment les numéros de Lucas et de son collègue ont pu se retrouver dans cette liste, mais reconnaît qu’il est possible que « 2 ou 3 numéros aient pu se retrouver dans son fichier client ».
Il explique : « J’essaie juste de sauver mon restaurant et les 35 emplois en envoyant le menu de la semaine aux clients », explique-t-il au téléphone, surpris et excédé. Il précise également qu’il « suffit d’envoyer sur “stop SMS” pour ne plus jamais en recevoir, c’est simple. Et si ça l’embête tant que ça de recevoir une fois par semaine un message, je trouve que c’est grave », conclut-il. Il nous confirme également ne pas avoir relancé d’opération cette semaine, ce qui pourrait expliquer pourquoi Lucas et son collègue n’ont pas reçu le SMS hebdomadaire.
Le gérant indique également qu’il s’agit de la première fois qu’il est contacté pour ce problème, que ce soit par des clients ou par des journalistes. Il n’a pas non plus été contacté par le 33700, ou par la CNIL.
Si cette histoire illustre les dérives possibles concernant les données renseignées dans les carnets Covid des restaurateurs, il semblerait que le problème soit relativement isolé, et que la majorité des restaurateurs n’ont pas abusé de cette récolte de données personnelles. La CNIL explique ne pas avoir pour l’instant reçu de plainte à ce sujet, mais indique néanmoins que des contrôles sont en cours.
Cette histoire démontre surtout la difficile adaptation des restaurateurs face aux consignes sanitaires mises en place en octobre par le gouvernement, ainsi qu’une volonté de sauvegarder leur activité en cette année extrêmement difficile. « On ne sait toujours pas quand on va pouvoir rouvrir », a conclu le propriétaire du restaurant, désemparé.
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