Ils étaient trois. Ils sont maintenant cinq à tirer la sonnette d’alarme. Aux Nations unies, deux rapporteurs spéciaux supplémentaires se sont joints à leurs collègues pour signer une nouvelle déclaration le 3 décembre appelant la France à renoncer à sa proposition de loi sur la sécurité globale, du moins dans sa version actuelle. Encore une fois, l’article 24 concentre les principales critiques.
« La simple réécriture de l’article 24 ne résoudra pas ses défauts et cette disposition n’est certainement pas la seule dans la proposition de loi qui porte atteinte aux droits de l’homme », préviennent les cinq experts, alors qu’est survenue au Parlement une étrange séquence au cours de laquelle la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale a suggéré de revenir sur ce qu’elle a voté.
Dans sa rédaction actuelle, l’article 24 punit la diffusion malveillante d’images des forces de l’ordre, notamment sur les réseaux sociaux, si celles-ci portent atteinte à l’intégrité physique ou psychique d’un policier ou d’un gendarme. Si la majorité jure qu’il ne nuira pas à la liberté d’informer, ses effets sur le terrain pourraient bien être néfastes pour la presse mais également pour tous les citoyens.
Les deux nouveaux experts onusiens à prendre la parole sont Nils Melzer, rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et Agnes Callamard, en charge des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.
Ils se joignent à Irene Khan, Clément Nyaletsossi Voule Fionnuala Ní Aoláin, qui s’occupent respectivement de droit à la liberté d’opinion et d’expression, des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association et de la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte contre le terrorisme.
La réécriture, un « bon signe », mais insuffisant
C’est la deuxième fois que des membres du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme se penchent sur ce texte. Déjà mi-novembre, un courrier adressé a mis en garde sur les atteintes potentielles aux libertés causée par cette législation. Elle pourrait « conduire à une certaine immunité, produisant une situation d’impunité pour des actes contraires aux droits de l’homme », écrivaient-ils alors.
Dans leur prise de parole du 3 décembre, c’est-à-dire une dizaine de jours après le vote à l’Assemblée nationale de la proposition de loi, les cinq experts ont toutefois vu comme un « bon signe » le fait que des parlementaires entendent réécrire cet article 24 — c’est le cas des sénateurs de droite, notamment. Mais, ajoutent-ils, « il faut aller plus loin et repenser l’objectif de la proposition de loi dans son ensemble ».
Au-delà de l’agitation dans l’enceinte parlementaire française, les cinq experts onusiens ont aussi affiché leur consternation face à l’actualité récente dans l’Hexagone, avec d’une part la police qui « a démantelé violemment un camp de migrants » à Paris, et d’autre part le tabassage « intolérable » d’un producteur de musique noir, Michel Zecler — deux évènements qui ont été captés en vidéo, et montré l’importance des images.
Les experts acquiescent. Ce sont « des rappels incontestables du fait que les images vidéo des abus policiers captées par le public jouent un rôle essentiel dans la surveillance des institutions publiques, ce qui est fondamental pour l’État de droit ». Dès lors, ils appellent donc à une « évaluation complète » de la compatibilité de la loi avec le droit international, et se disent disponibles pour « toute assistance technique ».
Il reste à savoir si Paris saisira cette main tendue et si une jonction sera faite avec la commission indépendante — pour profiter de l’expertise de ces rapporteurs spéciaux — que le Premier ministre a annoncée, au départ pour statuer sur l’article et tenter de sortir de cette controverse. Sauf qu’en faisant cela, il a déclenché une crise politique en suggérant que des personnalités non élues rédigent un article de loi.
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