Il ne reste plus que quelques heures avant que le verdict ne soit officiel, mais tous les indicateurs semblent déjà pointer dans la même direction. Tipeee devrait bien, le 31 décembre 2020, verser près de 150 000 euros à TProd, la boîte de production à l’origine du film Hold-Up, qui a fait grand bruit au mois de novembre dernier.
Selon nos informations, l’entreprise, via son service client, aurait rassuré certains participants par mail que « le créateur de la page Documentaires TProd recevra le 31 décembre les tips qui lui ont été faits en novembre » et de préciser que « l’argent n’est pas bloqué », mais qu’il s’agissait des délais de versement habituels.
Tipeee est une plateforme française qui aide de nombreuses personnes, notamment des vidéastes ou influenceurs, à financer un projet ou un contenu grâce aux dons d’internautes. Au mois de novembre 2020, TProd, la société de production du réalisateur Pierre Barnérias, a récolté sur Tipeee la somme de 159 000 euros, auprès de plus de 8 300 participants.
Selon les conditions générales d’utilisation de la plateforme, Tipeee soustrait une commission de 8 % pour ses services du montant total récolté, avant d’effectuer le versement « le dernier jour ouvré du mois », soit le 31 pour le mois de décembre. Celle-ci s’élèverait donc à environ 12 700 euros pour le montant récolté en novembre par TProd. Les producteurs du film Hold-Up devraient ainsi recevoir environ 145 000 euros avant la fin de l’année.
Pourquoi cette information était-elle si attendue ?
Les plateformes ont contribué au succès de Hold-Up
Déjà, parce qu’il s’agit « de l’un des plus importants montants, sinon le plus important, investi à ce jour sur Tipeee, en un délai aussi réduit », avait commenté le fondateur Michael Goldman auprès de BFM Tech le 12 novembre — à ce moment-là, la somme n’était « que » de 100 000 euros.
D’autre part, parce que le film Hold-Up a généré une immense polémique à sa sortie, à cause de son contenu aux accents conspirationnistes concernant la crise sanitaire liée au coronavirus, que de nombreux journalistes se sont attelés à décortiquer minutieusement, sur le fond et sur la forme, analysant notamment les mécanismes de rhétorique utilisés pour susciter de l’émotion au-delà des faits.
Le succès de Hold-Up — dont nous avons parlé du fond dans un autre article —, qui était censé sortir en salles de cinéma, mais n’a pas pu à cause de la pandémie de coronavirus, a été nourri par les plateformes de financement participatif en ligne. Celles-ci, comme Numerama l’avait analysé en novembre dernier, se sont ensuite trouvées dans l’embarras devant les montants astronomiques que l’équipe du film est parvenue à lever grâce à elles.
Il y a d’abord Ulule, la plateforme française de financement participatif grâce à laquelle ont été engrangés 183 000 euros en un mois et demi, par le soutien de 5 232 personnes. Gênée d’avoir aidé à financer une œuvre qui « contrevient à sa mission de diversité et ouverture », la firme a décidé de reverser ses 10 % se commission à une association « de défense de l’information ».
Tipeee se veut « non politisé »
Ensuite, il y a Tipeee, qui a maintenu pendant ces dernières semaines un flou sur ce qu’elle allait faire du projet de Tprod. En novembre, la page de l’entreprise affichait une fenêtre pop-up qui indiquait qu’il n’était pas garanti que les montants récoltés soient reversés aux producteurs de Hold-Up : « Nos équipes sont en contact avec les organismes compétents pour juger de la licéité des contenus proposés par le créateur et de la légitimité à les faire financer sur la plateforme (…) D’ici à ce que nous obtenions une réponse formelle, nous vous invitons à la prudence », pouvait-on lire.
À BFM Tech, Tipeee avait confirmé fin novembre avoir validé « en interne » le projet mais attendre des retours du « gouvernement » et « plusieurs organismes compétents » pour juger de cette fameuse « licéité des contenus proposés ». « En fonction de ces retours, nous pourrions procéder à la clôture de la page et au remboursement des contributions », avait émis la plateforme.
Ce n’est visiblement pas ce qu’il se passera.
Non seulement Tipeee aurait confirmé à des contributeurs le versement des fonds, comme nous le révélions en début d’article, mais la page de TProd est toujours bien active à la date du 30 décembre 2020 — une somme bien moins importante de 2 400 euros a été « tipée » ce mois-ci. Autre changement : la fenêtre pop-up de Tipeee ne fait plus aucune mention de consultation d’organisme ou de licéité des contenus proposés. Seul s’affiche un avertissement invitant « à la prudence quand vous consultez ces contenus », renvoyant vers un lien du site officiel du gouvernement dédié aux Fake News.
Contacté à plusieurs reprises, Tipeee n’est pas revenu vers nous avec un commentaire sur cette décision. Il ne nous est donc pas possible de préciser si la plateforme décidera, comme Ulule, de reverser sa commission sur ce projet à une association. En cas de retour, nous mettrons à jour cet article.
Historiquement, cette décision n’est pas surprenante.
Comme nous le montrions dans une enquête de 2018, Tipeee est une plateforme très utile pour un grand nombre de créatifs et de vidéastes, mais elle est aussi critiquée pour les capacités de financement qu’elle offre à des personnalités controversées, dont certaines partagent des contenus conspirationnistes, tandis que d’autres basculent même dans l’incitation à la haine. En réponse, Tipeee a toujours tenu une ligne éditoriale axée sur une prétendue « absence de politisation » : « N’importe qui a le droit de créer une page Tipeee. À partir du moment où nos règles et conditions générales sont respectées et que personne n’a été mis en cause par la justice française sur un contenu, nous n’avons pas vocation à sélectionner les créateurs en fonction de ce qu’ils pensent » , nous avait expliqué le directeur général de la plateforme.
La plateforme a pourtant à deux reprises supprimé une page appartenant à des membres de Génération identitaire, le mouvement jeunesse du parti d’extrême droite Les Identitaires : la première fois en septembre 2018, en refusant d’expliquer pourquoi, puis en 2019, expliquant qu’il s’agirait d’une demande de son prestataire de paiement.
Une plainte contre Vimeo ?
Interrogé au sujet du versement de Tipeee par Numerama, le réalisateur Pierre Barnérias confirme n’avoir pas encore reçu l’argent, mais se montre patient, sachant la date limite au 31 décembre. Il explique que ce montant lui permettra d’être « moins à l’agonie », justifiant de grandes dépenses pour réaliser ce qu’il appelle un « documentaire de cinéma », un « documentaire où il y a un point de vue dans la narration ». Il refuse toutefois le terme de fiction, et nous met au défi de trouver « une seule chose fausse dans Hold-Up ».
Depuis la diffusion de Hold-Up, plusieurs personnalités présentes dans le film s’en sont désolidarisées, tandis que l’Institut Pasteur a fait savoir qu’il souhaitait porter plainte en diffamation contre le réalisateur. Ce dernier nous a également assuré avoir engagé des démarches pour porter plainte en diffamation contre certains médias, réfutant catégoriquement le terme de « complotiste ». Il indique aussi qu’une plainte aurait été envoyée en direction de Vimeo, la plateforme de VOD qui avait hébergé et vendu son film pendant 24h avant de faire marcher arrière.
Contacté par Numerama, Vimeo n’est pas encore revenu vers nous.
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