Quels sont ces fichiers ?
Le gouvernement a fait publier au Journal officiel du 4 décembre 2020 trois décrets qui élargissent la liste des données pouvant être recueillies dans trois fichiers de police qui ont maintenant quelques années, puisqu’ils ont été créés pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, en 2009 (pour PASP et EASP) et 2011 (GIPASP). Ces trois fichiers, ou traitements de données à caractère personnel sont les suivants :
- Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP) ;
- Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP) ;
- Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP).
Dans une fiche explicative de 2018, le ministère de l’Intérieur signale que ces fichiers, en tout cas PASP et GIPASP, « concernent des personnes dont l’activité individuelle ou collective indique qu’elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique », en particulier celles « susceptibles d’être impliquées dans des actions de violences collectives », par exemple en ville ou lors de rencontres sportives.
Combien de personnes figurent dans ces fichiers ?
Les statistiques évoluent régulièrement, à mesure que les bases de données accueillent de plus en plus de monde. Selon un décompte du ministère de l’Intérieur daté du début du mois de novembre 2020, le PASP comptait 60 686 entrées, le GIPASP 67 000 et l’EASP 221 711. Potentiellement, un même individu peut tout à fait figurer dans les trois fichiers à la fois.
S’ils existent depuis une dizaine d’années, les trois fichiers ont été alimentés de façon notable au cours des dernières années. Il a en effet été constaté une hausse de 50 % des inscriptions au cours des trois dernières années, période où il s’est justement déclenché le mouvement des gilets jaunes — le sommet de la mobilisation ayant eu lieu entre la fin 2018 et le début 2019.
Que trouve-t-on dans ces fichiers ?
Puisqu’il s’agit de ficher des individus, on trouve évidemment dans les bases de données des informations à caractère personnel (par exemple les nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité, etc.), mais aussi les motifs de l’enregistrement, les activités susceptibles de porter atteinte à la sécurité publique ou à la sûreté de l’état, les activités sur les réseaux sociaux, les facteurs de dangerosité, etc.
Mais ce ne sont pas ces points particuliers qui font débat aujourd’hui. C’est la mise à jour contenue à l’article 3 des décrets PASP et GIPASP, puisqu’il est question d’inscrire aussi les opinions politiques, les convictions philosophiques, religieuses et / ou l’appartenance syndicale — le fichier EASP n’inclut pas directement ces informations, mais son décret lui permet de s’appuyer sur les informations de PASP et GIPASP.
Auparavant, les dispositions législatives que modifient ces décrets se contentaient de dire qu’il était possible de signaler si une personne « a des activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales » (par exemple ici avec l’article R236-23 du Code de la sécurité intérieure, dont il s’agit de l’ancienne version, avant sa modification par le décret GIPASP).
Des données de santé « révélant une dangerosité particulière » peuvent aussi figurer dans ces traitements, notamment les « données relatives aux troubles psychologiques ou psychiatriques ». Ces informations, comme celles relatives à la politique, à la religion, au syndicalisme ou à la philosophie, sont des données personnelles particulières, qui sont considérées comme plus sensibles que les autres.
Que dit la CNIL ?
Compte tenu de ce que contiennent ces fichiers, et du but poursuivi avec les trois décrets, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a rendu le 25 juin 2020 un avis sur PASP, GIPASP et EASP. Mais plus intéressant encore que ce que dit l’autorité en charge de veiller au bon usage des données personnelles dans ses délibérations est peut-être son communiqué du 11 décembre 2020.
La CNIL déclare qu’elle n’a pas pu se prononcer sur cette modification, car elle « ne figurait pas dans le projet qui lui avait été soumis »
Dans celui-ci, elle explique en effet qu’elle n’a pas eu toutes les cartes en main pour juger. Ainsi, elle relève que les « activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales », dont l’inscription était déjà prévue par les trois fichiers, sont maintenant remplacées par des « opinions » politiques, des « convictions » philosophiques, religieuses et une « appartenance » syndicale.
Ainsi, la CNIL explique qu’elle « ne s’est pas prononcée sur cette modification, qui ne figurait pas dans le projet qui lui avait été soumis ». Dès lors, ses trois délibérations, qui déjà faisaient remarquer le périmètre « trop étendu » de certaines catégories de données ou la rédaction « très large » de certains passages (comme les activités sur les réseaux sociaux), ne sont plus guère pertinentes.
Comment sont justifiés ces changements ?
Le ministère de l’Intérieur plaide une simple « évolution terminologique qui recouvre les mêmes réalités » ; « collecter des données sur une activité politique ou religieuse conduit par définition à préciser la nature de cette opinion ». En outre, ces décrets « ne remettent pas en cause l’équilibre nécessaire au caractère proportionné » du traitement de ces données, qui ne sont collectées que si elles sont « indispensables. »
Dans sa fiche explicative de 2018, le ministère fait observer d’ailleurs que le PASP et le GIPASP sont gérés respectivement par la police et la gendarmerie, et qu’ils font appel à un référent national pour « veiller à l’application des dispositions concernant les mineurs » et pour formuler des recommandations aux responsables du traitement des fichiers. Il est assisté de personnels administratifs et juridiques.
Quelles sont les craintes ?
Sollicitée par France Info, Virginie Gautron, maîtresse de conférences à l’université de Nantes et spécialiste des questions liées aux fichiers de police, pointe le danger d’un fichage trop large d’individus qui ne sont pas concernés par les buts premiers de ces fichiers. En outre, la rédaction des décrets est telle qu’elle pourrait permettre d’inscrire un individu dedans sans qu’il y ait besoin d’un élément matériel spécifique pour le justifier.
« Les principes de proportionnalité et de nécessité ne sont pas remplis», prévient la pénaliste. «Si ces fichiers devaient être soumis à la Cour européenne des droits de l’Homme, la France risquerait d’être condamnée », du fait du grand nombre de données recueillies, mais aussi de leur sensibilité, puisque les informations politiques, religieuses, syndicales et philosophiques bénéficient d’une protection accrue.
La Quadrature du Net est aussi alarmée par ce « fichage massif des militants politiques ». Dans un article publié le 8 décembre, l’association fait un pas de côté en dressant un tableau plus large de la situation, avec la loi sur la sécurité globale ou encore le fichier des traitements d’antécédents judiciaires (TAJ), où la sécurité intérieure entend « faire passer la surveillance policière à une nouvelle ère technologique. »
Que dit le Conseil d’État ?
Il a été annoncé le 4 janvier 2021 que le Conseil d’État, plus haute juridiction de l’ordre administratif français, a validé cet élargissement des fichiers de renseignement. Elle avait été saisie en urgence par plusieurs grands syndicats (comme la CGT et Force ouvrière), y compris les centrales de la sphère judiciaire (le Syndicat de la magistrature ou le Syndicat des avocats de France).
Selon les éléments rapportés par l’AFP, il apparaît que le Conseil d’État a rejeté les requêtes contre ces trois décrets. D’après lui, cet élargissement aux opinions politiques, aux convictions religieuses, à l’appartenance syndicale et à la sensibilité philosophique ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’opinion, de conscience et de religion ou à la liberté syndicale.
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