C’est terminé pour Donald Trump. Dans un message publié le 9 janvier, Twitter annonce avoir pris la décision de suspendre définitivement le compte du président sortant des États-Unis. Il s’agit d’un revirement complet de la politique du réseau social, qui au départ s’était montré réticent à trop modérer le chef de l’État américain, compte tenu de son statut de personnage public.
« Après avoir examiné de près les récents Tweets du compte Donald Trump et le contexte qui les entoure, nous avons suspendu définitivement le compte en raison du risque de nouvelles incitations à la violence », est-il annoncé. Il est fait référence ici aux évènements du 6 janvier, quand des émeutiers ont pris d’assaut le Capitole des États-Unis, encouragé par un Donald Trump enfermé dans une réalité parallèle.
Au fil des derniers mois, Twitter est intervenu graduellement sur le compte de Trump, d’abord en apposant des labels pour nuancer les allégations du président américain, puis parfois en masquant par défaut certains de ses messages. À la suite des scènes insurrectionnelles à Washington, Twitter avait franchi une nouvelle étape en procédant à la suppression de trois tweets considérés comme dangereux.
« Dans le contexte des événements horribles de cette semaine, nous avons clairement fait savoir mercredi que de nouvelles violations des règles de Twitter pourraient entraîner cette même ligne de conduite », poursuit le compte Twitter en charge de la sécurité du réseau social. À la suite du 6 janvier, le site avait décidé une première exclusion temporaire de 12 heures de Donald Trump.
Un tournant pour les réseaux sociaux, arrivé tard
De fait, cette décision marquera sans doute un tournant — même s’il apparaît aussi que la rigueur retrouvée des plateformes en matière de modération contre Donald Trump, alors qu’elles l’ont largement toléré au cours des quatre années de son mandat tumultueux, est aussi une façon pour elles de sauver la réglementation américaine, si précieuse, qui les exonère de toute responsabilité quant aux contenus publiés.
Elle marquera aussi un tournant dans l’impression que laisseront les grandes plateformes dans leur capacité à faire taire des voix, y compris les plus puissantes. Cela posera sans doute des questions en matière de liberté d’expression. Cependant, des spécialistes du droit ont fait remarquer que le premier amendement de la Constitution des États-Unis ne garantit pas le droit à s’exprimer sur une plateforme privée.
Compte tenu toutefois de l’évènement, Twitter a écrit un billet de blog pour l’occasion. Le site rappelle que ses règles « existent pour permettre au public d’entendre directement les représentants élus et les dirigeants mondiaux, » et« reposent sur le principe selon lequel les citoyens ont le droit de demander des comptes au grand jour ». Mais le site rappelle que ses règles n’étaient pas un totem d’immunité.
« Nous avons clairement indiqué, il y a des années déjà, que ces comptes ne sont pas au-dessus de nos règles et ne peuvent pas utiliser Twitter pour inciter à la violence », lit-on encore. Ce bannissement, en tout cas, fera date. On s’en souviendra comme du jour où de tous les chefs d’État du monde, c’est bien le président américain en exercice qui a été le premier à subir une telle sanction. Vertigineux.
Twitter a-t-il eu raison de faire taire Trump ?
Depuis cet épisode, un débat fait rage sur les pouvoirs importants qu’ont désormais les réseaux sociaux et sur l’interprétation à donner à la liberté d’expression, d’aucuns faisant remarquer par exemple que le premier amendement de la Constitution des États-Unis ne garantit pas le droit à s’exprimer sur une plateforme privée, car celle-ci n’est pas un service public. Wired disait en 2018 que « free speech is not free reach » (la liberté d’expression, ce n’est pas le droit d’avoir accès à une vaste audience). D’ailleurs, il peut toujours prendre la parole, autrement.
« Twitter suspend régulièrement des comptes nocifs et dangereux. Celui de Trump en était un », argue ainsi le journaliste Jérôme Godefroy, soulignant que Twitter n’est ni un service public ni bénéficiaire d’un monopole dans le domaine de la communication. Cependant, d’aucuns font observer que certaines de ces plateformes privées sont devenues tellement grandes qu’elles sont maintenant en situation de quasi-monopoles et qu’il n’y a pas de réelles alternatives vers lesquelles se replier.
« Et si le problème n’était pas qu’une entreprise privée fasse le choix de supprimer un contenu ou un utilisateur qui a enfreint ses règles, mais que des entreprises privées entretiennent des plateformes si grandes qu’on a la sensation qu’elles sont un service public ? », écrit ainsi la journaliste Lucie Ronfaut. « Le fait que ces plateformes soient en position de quasi-monopole – avec pas de réelles alternatives – contraint fortement notre capacité à choisir », ajoute Olivier Desbiey, qui officiait par le passé à la CNIL.
La disparition de Donald Trump de Twitter soulève par ailleurs d’autres questions, note Enikao : « couper le sifflet à un chef d’État ? Qui plus est, du territoire sur lequel on est établi ? – Pourquoi si tard ? (article 230, en fait) – Modération et ligne rouge : où met-on le curseur ? Comment interpréter ? ». Le journaliste Xavier Eutrope, lui, conclut par un pas de côté. « Twitter propose un service fondamentalement mal construit, sans outil de modération efficace et qui ne s’intéresse pas au bien-être de ses utilisateurs. Les problèmes sont là depuis des années, les victimes sont nombreuses ».
(mise à jour du sujet avec des éléments complémentaires)
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